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05/08/2005
Universités africaines
« Sexe contre note » : un phénomène controversé


(MFI) De nombreuses étudiantes affirment être victimes de harcèlement sexuel de la part de certains enseignants. Ces derniers leur imposeraient des relations intimes comme condition sine qua non d’obtention de bonnes notes. Les recteurs des universités tentent de relativiser le phénomène tout en le condamnant.

En vogue dans plusieurs universités africaines, la formule « sexe contre note » traduit le chantage fait par certains enseignants désireux de profiter des charmes des étudiantes. Egalement très utilisée sur les campus, l’expression « droit de cuissage » : les filles qui laissent les professeurs exercer ce « droit » se voient attribuer des notes de complaisance, en guise de motivation ou de récompense.
Au milieu des années quatre-vingt-dix, Cécile avait 19 ans et un rêve : devenir avocate. La jeune Congolaise était l’une des étudiantes les plus pimpantes de la Faculté de droit de l’université Marien Ngouabi de Brazzaville. Aujourd’hui, elle occupe un poste de secrétaire dans une petite entreprise d’informatique de la capitale. « J’ai interrompu mes études en première année de droit », affirme-t-elle. Et d’expliquer : « Le doc – le surnom donné à Brazzaville aux enseignants d’université, ndlr – de droit civil m’avait proposé de coucher avec lui ; en contrepartie, il devait me donner de bonnes notes dans son UV, l’une de nos matières de base ; j’ai repoussé son offre. »

La vengeance de l’enseignant éconduit

Selon l’ex-étudiante, c’était la première fois qu’une jeune fille refusait la proposition de cet enseignant, qui était en même temps chef de département. « Pour lui, c’était un affront, se souvient-elle. Il a alors décidé de se venger. Il m’a collé des notes ridicules – 0,5/20 – en droit civil à la première session d’examen ; conséquence, je suis allée en session de rattrapage ; là aussi, il a été sans pitié ». Des notes désastreuses qui seraient la cause de son redoublement. Malgré l’échec de Cécile, la colère de l’enseignant ne se serait pas estompée l’année suivante.
La jeune Congolaise a décidé de quitter l’université pour s’inscrire dans un institut de formation en informatique. « C’était la seule solution, soutient-elle. Je ne pouvais pas me plaindre auprès des supérieurs hiérarchiques de cet enseignant ; d’abord, parce que se plaindre, ce n’est pas trop dans notre culture ; et ensuite, quand bien même une fille se plaint d’un tel comportement auprès d’un recteur, ce dernier se retrouve, le soir, autour d’un verre avec le « doc » accusé, pour se moquer d’elle, et mettre sur pied une stratégie pour mieux casser la fille. » A l’université Marien Ngouabi de Brazzaville, peu d’étudiantes acceptent de tenir tête aux « docs ». Elles seraient de plus en plus nombreuses à accepter le « marché » pour passer en classe supérieure et décrocher leur diplôme, véritable sésame au Congo.

Un avertissement et un blâme au dossier

Le droit de cuissage n’est pas l’apanage d’une seule université de par le monde. Au Cameroun et au Gabon, de nombreux témoignages recueillis auprès des étudiantes font état de la montée du phénomène. Aux universités de Yaoundé 2 et Omar Bongo Ondimba de Libreville, de plus en plus de voix s’élèvent, au sein des syndicats d’étudiants, pour fustiger le chantage dont les jeunes filles seraient victimes.
Sans le nier catégoriquement, le professeur Charles Ngombé, ancien recteur de l’université de Brazzaville et, depuis mai 2005, président de l’Agence universitaire de la Francophonie, relativise l’importance du droit de cuissage. « Si l’ampleur de ce phénomène était si grande, cela bouleverserait sans doute les statistiques universitaires, c’est-à-dire les résultats en fin d’année, souligne-t-il. Dans les établissements où les rumeurs sur le droit de cuissage circulent, le pourcentage de filles qui passent en classe supérieure est très faible ; en outre, durant toute la période de mes fonctions à la tête de l’université Marien Ngouabi de Brazzaville, je n’ai eu à interroger qu’un enseignant sur plus de 600. » C’était en 2002. Le professeur Charles Ngombé a questionné un maître-assistant accusé d’avoir fait des avances à une étudiante en pleine salle d’examen. « Il a eu un avertissement et un blâme au dossier ; les faits n’étaient pas suffisamment étayés pour qu’il soit radié de l’université », témoigne-t-il.
Comme Charles Ngombé, le professeur Paul-Gérard Pougoué affirme avoir entendu parler du droit de cuissage. « Mais ce sont des rumeurs, car je n’ai jamais reçu de plaintes d’une étudiante contre un enseignant ; le jour où je recevrai une plainte, si j’ai un seul début de preuve, je vais sévir, l’enseignant indélicat pourra être radié de l’université ; je ne badine pas avec des questions liées à l’éthique, martèle le vice-recteur de l’université de Yaoundé II. Pour l’enseignant, l’éthique est très importante ; elle doit même passer avant la science ; nous exerçons un métier ingrat, c’est en préservant notre dignité que nous restons la tête haute. »

Gervais Nitcheu

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