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28/10/2005
Universités en Afrique : l’illusion du modèle américain

(MFI) Difficile d’ignorer l’admiration que plusieurs responsables africains de l’enseignement supérieur manifestent aujourd’hui à l’endroit de la puissance financière et intellectuelle des universités américaines. Dans de nombreux Etats d’Afrique au sud du Sahara, les réformes universitaires voudraient consacrer le modèle importé du pays de l’oncle Sam. Au mépris, le plus souvent, de réalités locales complexes.

Fini, le modèle universitaire de l’ancienne puissance coloniale en Afrique francophone ? Dans nombre de pays du continent, les dirigeants politiques ne font plus mystère de leur ambition de transformer les établissements de l’enseignement supérieur en clones des universités américaines. Ils justifient cette politique par la recherche de l’efficacité. De ce point de vue, peu de doute : les universités américaines sont les meilleures. Du moins selon le classement des 500 premières universités du monde, publié en septembre 2005 par celle de Shanghaï. Au top 20 figurent 17 institutions américaines ! « Ces universités doivent leur efficacité à ce qu’elles apportent une réponse aux contradictions majeures qui traversent l’organisation du savoir : l’équilibre, tout d’abord, entre compétition et coopération ; l’arbitrage, ensuite, entre recherche fondamentale et recherche appliquée », commente l’universitaire français Daniel Cohen.

Une ambition paradoxale

Le modèle américain a deux caractéristiques, dont la première est la puissance. Aux Etats-Unis, les universités se présentent comme de véritables “multinationales” du savoir, capables de traiter d’égal à égal avec le monde politique et le monde industriel. Cette puissance procède de leur nature : ces lieux d’enseignement répondent à la fois aux impératifs de la science et à la demande de formation de la société, en général, et du marché de l’emploi en particulier. Deuxième caractéristique du modèle américain : l’autonomie financière. Au pays de l’oncle Sam, les universités disposent du nerf de la guerre. Leurs fonds proviennent des droits d’inscription, très élevés, et de dotations financières propres.
La plupart des réformes engagées en Afrique visent à faire des universités publiques des institutions structurées et autonomes, à l’instar de leurs consœurs d’outre-Atlantique. Seulement voilà : l’ambition affichée par les responsables politiques africains se heurte à deux obstacles majeurs. Le premier est, paradoxalement, le manque de volonté de la part même des initiateurs des réformes et de ceux chargés de les mettre en œuvre. L’américanisation des universités peut s’avérer une aventure à haut risque : n’étant pas souvent des références en matière de démocratie, les dirigeants assimilent l’idée de l’autonomie des universités à un risque élevé de déstabilisation de leurs régimes, sinon à un suicide politique. De tout temps, les campus ont été perçus comme de hauts lieux de contestation du pouvoir. Dans certains pays, les mouvements estudiantins ont largement contribué au combat pour l’instauration de la liberté. Parce que ces institutions représentent une menace potentielle, les dirigeants africains préfèrent donc finalement les garder sous leur contrôle.


La mort des universités d’Etat

Le deuxième obstacle à la reproduction du modèle américain en Afrique est la morosité économique ambiante. Dans la plupart des pays subsahariens, la majorité de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. L’inscription des universités dans une logique d’autofinancement impliquerait une augmentation considérable des frais de scolarité et, par ricochet, l’exclusion d’une bonne partie des bacheliers africains de l’enseignement supérieur. Au bout du compte, cela pourrait aboutir à la mort des universités d’Etat. Car depuis le début des années quatre-vingt-dix, ces institutions sont fréquentées presque exclusivement par des personnes issues des couches sociales moyennes sinon modestes. Les enfants de la “haute société” étudient soit dans les filiales africaines d’universités privées anglo-saxonnes, soit en Europe ou en Amérique.
Au regard de ces réalités politiques et socio-économiques, force est de constater que les universités africaines ne sont pas prêtes à fonctionner suivant le modèle américain. Elles devraient s’atteler à chercher leur propre voie, conciliant les réalités locales avec une mondialisation désormais impossible à occulter. Pour l’heure, une solution reste à l’étude : il s’agit d’une proposition contenue dans la Déclaration sur l’université africaine pour le troisième millénaire. Selon ses auteurs, réunis à Nairobi en février 2001, « les gouvernements africains doivent continuer d’assumer la principale responsabilité dans la prise en charge de leurs universités avec le concours d’autres partenaires, y compris le secteur privé. (…) ». Dans le même temps, ils demandent qu’une large autonomie institutionnelle soit accordée à ces universités.

Gervais Nitcheu

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