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22/12/2005
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Afrique centrale : Le fléau des écoles clandestines
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(MFI) Cameroun, Congo, Gabon, République démocratique du Congo (RDC)… Un peu partout, les écoles clandestines connaissent un franc succès. Et face à leur prolifération quelque peu anarchique, les pouvoirs publics semblent désarmés.
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« Un poulailler transformé en établissement scolaire, des enfants parqués comme du bétail dans des réduits pompeusement appelés salles de classe… Ce que j’ai vu a marqué mon âme », s’écriait Joseph Ndi Samba, secrétaire national à l’Enseignement privé laïc du Cameroun, qui effectuait une visite surprise dans une école clandestine de Douala, la capitale économique, en début d’année scolaire. Il ajoutait : « Comment peut-on accepter que la jeunesse, fer de lance de la nation, étudie dans des conditions aussi dégradantes et inhumaines ? » Le phénomène est pourtant loin d’être exceptionnel en Afrique centrale, confrontée depuis près de vingt ans à une crise économique aiguë. D’où le choix des écoles clandestines opéré par de nombreux parents soucieux de gérer au plus près leur budget.
Des frais de scolarité anti-crise
Près de 400 écoles clandestines sont recensées au Cameroun, accueillant sur l’ensemble du territoire plusieurs dizaines de milliers d’élèves. Un succès qui s’explique par leurs tarifs, très concurrentiels. Ainsi, « à Brazzaville, leurs frais de scolarité sont inférieurs de moitié à ceux des écoles reconnues officiellement », indique Rosalie Kama, ministre de l’Education nationale du Congo. Soit environ 35 000 F CFA par an dans les lycées privés de Brazzaville contre 17 000 F CFA dans les clandestins. Plus surprenant, leurs clients sont pour l’essentiel des parents démunis qui n’ont pas eu la possibilité d’inscrire leurs enfants à l’école publique – en principe gratuite ! Certains responsables d’établissements publics complaisants attribueraient en fait les places en priorité aux enfants des parents « qui parlent bien », c’est-à-dire qui acceptent de verser un bakchich.
Quoi qu’il en soit, les établissements clandestins mènent une politique agressive en matière de recrutement. Ils approchent les familles et s’installent au cœur des quartiers populaires, parfois au mépris de la carte scolaire qui impose de respecter une certaine distance entre les écoles de même niveau, implantées dans une même aire géographique. « On les appelle écoles de proximité car elles s’implantent à côté des maisons, ce qui arrange beaucoup les parents qui n’ont plus besoin de parcourir de longues distances pour déposer leurs enfants à l’école », affirme Rosalie Kama. Mais la plupart des écoles clandestines ne répondent pas aux normes exigées par le ministère de tutelle. En particulier, elles ne garantissent pas la sécurité des enfants qui les fréquentent. « Certaines sont construites à proximité des champs de tirs, des porcheries ou encore des abattoirs », explique Alain, un enseignant gabonais, à qui « ces écoles malfamées, qui pullulent à Libreville, donnent la nausée ».
La plupart ne disposent pas de terrains réglementaires et refusent de remplir les conditions requises. Pour ouvrir une école maternelle, par exemple, il faut acheter « un terrain de 1 500 m2 minimum, souligne un responsable camerounais. Du coup, les promoteurs préfèrent la solution la moins chère et transforment leur maison d’habitation en école ». Résultat, des cours de récréation inexistantes et aucune infrastructure ludique ou sportive.
Pas d’argent ?
Malgré leur caractère clandestin, ces établissements parviennent à présenter des élèves aux examens et concours officiels en usant de manœuvres frauduleuses. Ils « versent d’importantes sommes d’argent aux responsables d’établissements en règle qui inscrivent leurs élèves aux examens sans mentionner qu’ils viennent d’établissements illégaux. Et en fin d’année, ils ont leurs diplômes comme tout le monde », affirme la ministre congolaise, qui a découvert la supercherie en 2004. Depuis, elle cherche à démanteler le système. En vain. « Je manque, dit-elle, de moyens financiers pour lancer une opération d’envergure. Il faudrait investir tous les quartiers de Brazzaville pendant trois mois en y envoyant simultanément des dizaines d’enquêteurs qui dresseraient un véritable état des lieux avant les examens et concours. Ainsi, nous aurions une idée approximative du nombre de candidats réguliers et nous ne nous laisserions pas tromper par les responsables véreux des écoles officielles »... Au Cameroun, où le manque d’argent est aussi invoqué, une vaste campagne de sensibilisation des parents contre les dangers que ces écoles représentent pour l’épanouissement de leurs enfants, a été entreprise en décembre 2005, sous l’égide du Secrétariat national à l’enseignement privé laïc et avec le soutien du ministère de tutelle. Celui-ci avait pour sa part lancé une opération « coup de poing » au début de l’année scolaire 2005-2006 en vue de fermer ces établissements illégaux dans les principales villes du pays. Une opération d’intimidation qui s’était soldée par un échec...
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Gervais Nitcheu
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