Rabat, la capitale du Maroc, a été le théâtre, le 15 décembre dernier, d’une scène horrible : quatre diplômés de l’enseignement supérieur au chômage ont tenté de s’immoler par le feu devant l’immeuble qui abrite les services du ministère de la Santé. En choisissant de se suicider publiquement et de manière aussi violente, ils voulaient interpeller fortement l’ensemble de la société marocaine sur leur sort. Cette manière d’exprimer leur ras-le-bol en dit long sur le degré de désespoir de ces jeunes du royaume chérifien. Ailleurs, sur le continent, ils n’en sont pas encore arrivés à l’utilisation de méthodes aussi radicales ; mais partout, c’est la même frustration. Comme ceux du Maroc, ils estiment, dans l’écrasante majorité des pays africains, que leur vie ne vaut pas grand-chose. Une conviction bâtie au fil des années de chômage et qui ne cesse de se raffermir.
Diplômés plus nombreux, économies moins performantes
Chaque année, des milliers de jeunes titulaires de licences, maîtrises, DEA et autres doctorats viennent allonger les rangs, déjà longs, des diplômés-chômeurs. En République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre), il y avait moins de dix diplômés de l’université en 1958. Trente ans plus tard, le pays en comptait plus de 60 000. Selon les sources universitaires, ils sont près de 150 000 à être arrivés sur le marché du travail en 2005. Pas ou peu de statistiques officielles récentes sur le taux de chômage de ces diplômés de l’enseignement supérieur. Mais tout laisse penser qu’il est en hausse. En raison de la dégradation de plus en plus profonde des économies africaines, la demande globale de main-d’œuvre hautement qualifiée est aujourd’hui, sinon nulle, du moins en chute libre. D’autant plus que le marché de l’emploi n’a pas pu absorber les diplômés des années précédentes. En Afrique du Sud, où le taux de chômage avoisine 30 %, l’économie absorbe par exemple un quart des jeunes diplômés issus des universités les moins cotées – micro finance, informatique ou commerce.
Contrairement aux Etats-Unis, la plupart des emplois qui permettent, aujourd’hui en Afrique, de nourrir une famille n’exigent pas d’études supérieures. Un jeune qui s’arrête avant la classe de terminale et devient vendeur à la sauvette au marché Mokolo, à Yaoundé, ou au marché Sandaga à Dakar, ou encore au marché Total, dans le quartier Bacongo, à Brazzaville, peut nourrir une femme et trois enfants. De même pour un ouvrier sans bagage scolaire. En revanche, le jeune diplômé est presque condamné à galérer.
Les dirigeants multiplient les voeux pieux
Le diplôme universitaire, autrefois considéré en Afrique comme la clé de l’ascenseur social, apparaît plutôt aujourd’hui comme un simple papier destiné à orner les murs. Au point où le sentiment s’est largement répandu que l’université est organisée comme une machine à filtrer les jeunes les plus intelligents pour les préparer à l’inactivité et, par ricochet, les plonger dans la misère. Pour freiner la descente aux enfers des Africains diplômés de l’enseignement supérieur, les propositions se multiplient. Qui ressemblent le plus souvent à des vœux pieux. Certaines sont formulées par les jeunes eux-mêmes. En novembre dernier à Bamako, au cours du premier Forum de la jeunesse africaine, ils ont notamment souhaité le renforcement des programmes nationaux de promotion de l’emploi. Leurs chefs d’Etat, réunis en décembre à l’occasion du sommet Afrique France, ont pris l’engagement devant eux de « réfléchir, avec leur partenaire, la France, aux perspectives d’un partenariat nouveau en faveur de l’emploi de la jeunesse africaine ». Les diplômés-chômeurs attendent de pied ferme que cet engagement se concrétise.
Pour certains experts, dans le contexte de la mondialisation, la solution au chômage des diplômés réside dans l’adaptation des programmes universitaires aux besoins d’une économie en mouvement permanent, mais aussi dans la professionnalisation des filières. Pour d’autres, seul un véritable assainissement de tout l’environnement économique, social et politique de chaque pays du continent peut contribuer efficacement à la réduction du taux de chômage au sein de cette population. Ce qui implique une meilleure gestion des ressources publiques, l’instauration d’un climat de sécurité et le respect des principes démocratiques.
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