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26/12/2003
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Jacques Chirac veut une loi contre le communautarisme
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(MFI) Le président de la République française Jacques Chirac a tranché le débat sur le port de signes religieux à l’école en demandant l’élaboration d’une loi qui les interdit. Dans un discours solennel prononcé le 17 décembre 2003, il a rappelé qu’en France la « laïcité est au cœur de la République » et que face à l’apparition « de revendications identitaires », il s’agit aujourd’hui de continuer à la « faire vivre ».
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« Quelle France voulons-nous ? Pour nous, pour nos enfants ? » Selon Jacques Chirac, c’est à cette question que renvoie le débat engagé depuis plusieurs mois en France autour du respect de « la laïcité, de l’intégration, de l’égalité des chances, des droits des femmes ». Refusant de « modifier les frontières de la laïcité, pierre angulaire de la République », le chef de l’Etat a confirmé qu’il fallait interdire, à l’école, le port « de tenues ou de signes qui manifestent ostensiblement l’appartenance religieuse » et qu’une loi était « nécessaire » pour y parvenir. Elle devrait être mise en œuvre dès la rentrée prochaine.
C’est aussi par la loi qu’il faut, selon le président de la République, « rappeler les règles élémentaires du vivre ensemble » en mentionnant l’interdiction pour un patient de refuser « par principe, de se faire soigner par un médecin de l’autre sexe », lorsqu’il s’adresse à l’hôpital public. Le chef de l’Etat demande, de la même manière, au ministre du Travail d’engager des consultations auprès des chefs d’entreprises et de soumettre, « si besoin », au Parlement « une disposition » leur permettant de réglementer le port de signes religieux.
Un Observatoire de la laïcité
D’une manière générale, le chef de l’Etat s’est prononcé en faveur de l’élaboration d’un « Code de la laïcité » qui réunirait tous les principes et règles, et serait remis à l’ensemble des fonctionnaires et agents publics lorsqu’ils entrent en fonction. Dans le même ordre d’idée, Jacques Chirac a annoncé la création d’un Observatoire de la laïcité dont la mission sera d’alerter « sur les risques de dérive ou d’atteinte » à ce principe.
Ces décisions, le président de la République les a prises après avoir largement « consulté ». Le rapport de la commission Stasi qu’il avait chargée de réfléchir sur la laïcité et à laquelle il a tenu à rendre hommage, l’a évidemment inspiré. Le chef de l’Etat a toutefois rejeté l’instauration de deux jours fériés supplémentaires pour les fêtes juive et musulmane. Jacques Chirac a aussi tenu compte du constat inquiétant réalisé par les différentes enquêtes concernant les dérives communautaires dont les affaires de voile islamique à l’école sont un symptôme.
« L’islam a toute sa place en France »
Jacques Chirac a aussi voulu montrer qu’il était conscient des raisons qui expliquent ces dérives, qui ne se trouvent pas simplement dans la religion – il d’ailleurs rappelé que l’islam avait toute sa place en France – mais aussi dans les phénomènes d’exclusion sociale. C’est pourquoi il a dénoncé l’existence de « ghettos à l’urbanisme inhumain » que l’on trouve dans les « quartiers » où la notion « d’égalité des chances » n’a plus de sens. Il a encore rappelé que « tous les enfants de France sont les fils et les filles de la République » et que dans cet esprit, il est indispensable de « refonder » la politique d’intégration pour ne pas laisser de côté les jeunes issus de l’immigration qui se heurtent souvent à des discriminations du fait de leur origine.
Les réactions à ses propos n’ont pas tardé. Pour certains, il a été trop loin, pour d’autres pas assez. Mais pour la plupart, le chef de l’Etat a bien parlé des valeurs républicaines, au premier rang desquelles figure la laïcité. Du côté de l’opposition socialiste aussi, c’est plutôt la satisfaction qui prévaut. Jacques Chirac a aussi obtenu une très forte adhésion auprès des femmes. Fadela Amara, la présidente de l’association « Ni putes, ni soumises » qui se bat pour faire respecter les droits des femmes dans les cités, a fait part de sa satisfaction. Concernant les représentants des différentes religions, qui étaient plutôt opposés à l’adoption d’une loi, les propos de Jacques Chirac ont dans l’ensemble eu un effet apaisant.
« La loi de l’Etat est notre loi »
Chez les musulmans, toutefois, certains restent très fermement opposés. C’est notamment le cas du secrétaire général de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF, fondamentaliste), Fouad Alaoui, qui n’a vu dans l’allocution du président et dans la proposition de légiférer, qu’une « volonté de réduire la liberté religieuse musulmane ». Cette position rejoint l’opinion d’une partie des musulmans qui ont le sentiment que le débat sur la laïcité offre un prétexte pour stigmatiser leur communauté. Dans ce contexte tendu, Dalil Boubakeur, le président du Conseil français du culte musulman, a tenté de dépasser ses réticences : « Il nous appartient en tant que responsables musulmans d’expliquer la position du président… La loi de l’Etat est notre loi ».
Valérie Gas
« Au Sénégal, ce débat apparaît comme franco-français »
(MFI) Selon El Hadj Kassé, Directeur général du quotidien dakarois Le Soleil, la question de la laïcité n’a jamais vraiment posé problème au Sénégal.
MFI : Y a-t-il, dans l’opinion sénégalaise, un impact du débat sur la laïcité et le voile islamique en France ?
El Hadj Kassé : Quelques confrères ont repris des dépêches relatives ce débat, mais ce fut très marginal. De Dakar, ce débat apparaît comme franco-français. Ce qui est d’ailleurs apparemment paradoxal, car nous avons une forte communauté en France. Apparemment parce que, au fond, le débat religieux, en tout cas tel qu’il est posé en France, n’a vraiment jamais eu lieu au Sénégal. Mises à part des séquences comme dans les années 80 où la révolution islamique avait inspiré des groupuscules, ou encore récemment avec le débat sur le Code du statut personnel, le Sénégal n’a jamais connu une telle polémique. Ceci s’explique sans doute par le fait que l’islam sénégalais est plutôt profondément « confrérique ». D’où l’impossibilité d’un unique centre de commande ou d’un leadership suffisamment consensuel.
Où en est ce débat sur le Code du statut personnel ?
Il semble être clos depuis que le Président de la République a fait sa sortie, au mois de mai dernier, réaffirmant le principe de la laïcité qui anime l’Etat sénégalais dans le respect des confessions religieuses et de l’équilibre entre les différentes communautés. Il faut préciser que ce débat a été très peu suivi, sauf évidemment dans certains milieux restreints. Passé une tonalité médiatique forcée, ce fut un débat marginal qui a fait long feu. Les initiateurs le reprendront-ils ? Je ne sais pas. Mais l’opinion, de façon générale, semble en dehors d’une telle question, le Code de la famille en vigueur ayant jusqu’ici permis de gérer les conflits ou la succession. D’ailleurs, ce sont les femmes qui revendiquaient l’amélioration de certains aspects de ce Code et l’actuelle constitution, votée en janvier 2001, a introduit plusieurs nouvelles dispositions pour constitutionnaliser des droits des femmes. D’une façon générale, la laïcité de l’Etat n’a jamais été vraiment contestée au Sénégal. La première constitution du Sénégal indépendant a été votée massivement ainsi que celles qui ont suivi.
Au Sénégal, y a-t-il des problèmes sur les signes religieux (croix, voile, etc.) à l’école ou dans les services publics ? Quels sont les jours fériés chrétiens ?
Non. Jusqu’ici la religion, sauf en périodes électorales pendant lesquelles des guides religieux se manifestent pour soutenir tel ou tel candidat (fait de plus en plus rare d’ailleurs), le débat religieux, sous la forme de controverses, est très marginal, passées les séquences dont je viens de parler. J’ajoute que les fortes connexions familiales, professionnelles et ethniques amoindrissent fortement les chances d’un tel débat. Dans les administrations, dans les écoles comme dans d’autres lieux professionnels, des gens portent des signes religieux, mais ces marques distinctives attirent très peu l’attention. Je rappelle que malgré une nette majorité musulmane, le Sénégalais a voté Senghor (chrétien) contre Lamine Guèye (musulman), que des candidats à l’élection présidentielle porteur d’un discours nettement religieux ont été sanctionnées plutôt par des résultats insignifiants, que les fêtes religieuses, musulmanes ou non sont célébrées par tout le monde, que toutes les épouses des trois chefs d’Etat qui se sont succédés sont de religion chrétienne mais personne ne l’a jamais relevé. Il faut d’ailleurs faire remarquer que les fêtes chrétiennes sont plus nombreuses que les fêtes musulmanes (ascension, pâques, noël, nouvel an, etc.).
Propos recueillis pas Philippe Quillerier-Lesieur
« En Tunisie, le débat sur le voile alimente les conversations »
(MFI) Trois questions à Taïeb Zahar, directeur de la publication de l’hebdomadaire tunisien Réalités.
MFI : Parle-t-on, en Tunisie, du débat sur la laïcité et le voile islamique en France ? Dans quels termes ?
Taïeb Zahar : Plus que les médias, le débat sur le port du voile à l’école alimente les conversations à Tunis. Ce débat est hyper médiatisé en France, beaucoup moins dans les autres pays européens qui n’échappent pas à cette pratique. Ils nous interpelle puisque nos constatons également en Tunisie la réapparition du voile islamique, pratique que l’on croyait révolue à jamais après la confrontation entre le pouvoir et les intégristes à la fin des années 80.
Il faut signaler que le voile a été à l’époque un signe d’appartenance militante au mouvement islamiste en Tunisie.
Je pense que, même si ce débat sur la laïcité de l’école n’est pas canalisé dans les médias, la majorité des gens est pour le respect de la neutralité de l’école. Et donc pour la promulgation d’une loi interdisant le voile à l’école.
En Tunisie, pays pionnier en matière de droits de la femme, à quoi peut-on attribuer ce retour du voile, ces dernières années ?
Il n’y a pas une seule explication mais plusieurs. Je pense que c’est la conséquence de l’onde de choc du 11 septembre 2001. on a constaté une radicalisation du discours identitaire. La première cause est donc une recherche identitaire, le port du voile est une matière d’affirmer l’identité.
La deuxième cause, c’est la mondialisation de l’information. Les chaînes satellitaires arabes qui sont très suivies en Tunisie véhiculent une image, un modèle, de manière militante ou induite. Tel est le cas de cette journaliste de la chaîne Al Jazira qui, du jour au lendemain s’est mise à porter le voile.
Enfin, c’est aussi la marque d’un regain de religiosité.
Comment définiriez-vous les rapports entre l’islam et l’Etat tunisien ?
Ce sont des rapports complexes qu’on pourrait difficilement expliquer en quelques phrases. Disons que, aussi bien en Tunisie que dans les autres pays arabes, l’Etat « gère » l’islam : existence d’un ministère du Culte, nominations des imams.
En Tunisie, sous l’impulsion de l’Etat, l’islam « officiel » est un islam d’ouverture et de tolérance.
Il faut également rappeler que l’Islam ne peut être accaparé par aucun parti politique, il ne peut constituer en Tunisie un programme d’action ; et donc un parti religieux ne peut pas y voir le jour.
Propos recueillis par Philippe Quillerier-Lesieur
Les journaux algériens et marocains suivent le débat avec intérêt
Le Matin, Algérie : « Au fond, la France découvre qu’il y a des forces fondamentalistes (et d’autres plus particulièrement politiquement intégristes) qui s’activent au grand jour comme à Karachi, au Caire, à Alger ou Rabat. Le risque de cet immense débat-défouloir est celui de faire accroire qu’il y aurait une « communauté musulmane » (…) qui se transformerait, ainsi, en opposition à la société laïque. L’autre risque est celui de faire apparaître toute nouvelle mesure coercitive comme une entreprise de stigmatisation de l’islam. Autant de pain béni pour l’avenir du fondamentalisme ! »
L’Expression, Algérie : « Le débat sur le voile aura eu le mérite de laisser s’exprimer tous les points de vue dans un esprit de tolérance absolu. Les musulmans, les agnostiques, les athées...ont joui du principe démocratique qui n’est pas offert à leurs coreligionnaires dans les pays musulmans. C’est grâce à la liberté d’expression, à la République des droits que la France a réussi à faire se parler entre elles des opinions contradictoires, à sauver sa cohésion. Et ce n’est que par la laïcité que les croyances de chacun seront respectées ».
Le Matin du Sahara, Maroc : « La polémique rappelle étrangement celle que nous avions vécue, il y a quelques années, à propos du fameux plan d’intégration de la femme au développement (…) La comparaison, toutes proportions gardées, est possible. Elle est identique dans la forme. Car ce sont souvent les voix et les paroles extrémistes qui se font entendre lorsque le débat touche aux convictions idéologiques et religieuses ».
L’Economiste, Maroc : « L’affaire était suivie de près au Maroc. Cette décision de Jacques Chirac, qui opte pour une loi, met un terme à une prise en otage de la communauté musulmane forte de cinq millions d’individus. (…)Dans l’inconscient collectif français, la laïcité est un des fondements de l’existence de la République. L’idée de remettre en cause ce principe provoque ni plus ni moins la panique au sein de l’opinion publique ».
Aujourd’hui le Maroc : « La France redessine la laïcité. (…) Ce concept n’est pas la négation des croyances mais leur seul moyen de coexistence pacifique ».
Attajdid (islamiste, Maroc) : « Les musulmans de France sont outrés par ce qu’ils considèrent comme une humiliation ».
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