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26/12/2003
Médias et journalistes
Burkina Faso (1) : la presse et l’effet « Zongo »


(MFI) L’affaire Norbert Zongo a durablement ébranlé la presse du Burkina. Elle l’a aussi libéré de certaines de ses hantises. Cinq ans après les faits, le paysage médiatique du pays semble en voie de stabilisation.

S’il n’y avait eu « l’affaire », parlerait-on du Burkina Faso ? Dans une Afrique si souvent livrée aux crises, le pays des Hommes intègres fait figure d’un îlot plutôt calme. Le président Blaise Compaoré dirige, son parti règne, sur une scène politique qui est un dosage subtil d’autoritarisme et d’ouverture démocratique, où la période du coup d’État permanent et des luttes de factions semblent bien lointaines.
L’assassinat, dans des conditions sordides, du journaliste Norbert Zongo le 13 décembre 1998, est dans ce tableau un événement qui ne cessera de faire des vagues et semblera même menacer l’assise du régime. Norbert Zongo, 49 ans, directeur de publication de l’hebdomadaire L’Indépendant, est certainement le journaliste le plus populaire de l’époque. Ses analyses et ses enquêtes maintiennent une forte pression politique, alors que les partis d’opposition sont plutôt amorphes. Libéralisée depuis quelques années, la presse privée reste dans son ensemble très timide, car on y craint toujours les réactions du régime, et les principaux titres s’accommodent d’un statu-quo qui leur permet de prospérer.


Investigation et polémique

L’Indépendant sort du lot. Créé en 1993 par cet ancien instituteur, passé par l’école de journalisme de Yaoundé, qui a fait ses armes de journaliste dans la presse d’État, il n’est sans doute pas le grand journal d’investigation décrit plus tard avec une ferveur excessive par les amis de Norbert Zongo, mais il offre une physionomie atypique. Zongo, déjà connu pour son caractère rebelle qui l’a conduit à claquer la porte de l’agence officielle d’information, en est l’éditorialiste (sous la plume d’Henri Segbo) et le principal animateur. Il se signale par sa capacité à faire surgir des « affaires », sur la base de faits parfois négligés par les confrères, qui sont autant de dossiers à charge contre le pouvoir ou l’élite burkinabé. Avec son ton polémique, l’Indépendant est un mélange de tribune et de journal d’information politique qui suscite à chaque parution l’engouement d’ un lectorat de plus en plus important.
Le traitement de l’information pratiqué dans l’Indépendant est parfaitement illustré par le feuilleton politico-judiciaire qui sera fatal à son fondateur : David Ouédraogo est l’un de ces employés de François Compaoré, le frère du président de la République, arrêtés et interrogés en décembre 1997 pour une banale affaire de vol par des membres de la garde présidentielle. Torturé, il décède peu après. Norbert Zongo s’empare du cas David Ouédraogo, s’insurge contre l’intervention des militaires dans une procédure qui aurait dû rester judiciaire, revient tout au long de l’année sur l’affaire, à laquelle il consacre la quasi-totalité de ses dernières « unes ». Or, Norbert Zongo s’est déjà attaqué dans le passé à François Compaoré, et il a reçu au fil des mois des menaces de plus en plus précises. Le dimanche 13 décembre 1998, son véhicule est retrouvé carbonisé sur la route qui conduit à son ranch : à l’intérieur, les corps du journaliste et de trois de ses proches.
Cet acte criminel a un effet ravageur. A-t-on voulu faire taire un journaliste qui, certes, n’était pas simplement un homme de plume mais s’affichait de plus en plus comme un opposant radical, au risque de sortir de son rôle ? Animateur actif du mouvement burkinabé des droits de l’Homme, il avait été jusqu’à créer une association pour combattre l’impunité des assassins de David Ouédraogo. Et pour Norbert Zongo, la presse n’était sans doute qu’un élément particulièrement efficace de la lutte contre le régime et ses pratiques ; son cas est d’ailleurs instructif sur le positionnement parfois ambigu de la presse en Afrique, face à de forts défis de nature avant tout politique. Sa disparition allait en faire un martyr, admiré des jeunes, apprécié parmi ses confrères pour sa gentillesse et sa simplicité.
Les réactions sont immédiates : manifestations d’étudiants dans les rues de Ouaga, cortège de milliers de personnes lors de l’enterrement, meetings, protestations internationales. Jamais l’opposition burkinabé n’aura autant mobilisé et l’on comprend aussitôt que l’affaire prend les proportions d’un sursaut populaire contre le régime, alors que Blaise Compaoré vient tout juste d’être élu pour un second mandat. Le pouvoir accepte dans ce contexte de désigner une commission d’enquête indépendante, qui rendra ses conclusions en mai 99 en désignant plusieurs suspects issus de la garde présidentielle. L’affaire est transmise à la justice, qui cinq ans après le début de la procédure n’aura inculpé qu’un protagoniste, l’ex-adjudant Marcel Kafando, par ailleurs condamné par un tribunal militaire à vingt ans de prison pour « actes de torture et assassinat ». Mais de nouveaux témoignages de membres de la garde présidentielle pourraient, fin 2003, relancer le dossier.


« L’affaire » libère la presse… et la divise

Une chose est sûre : l’affaire Zongo a contribué à libérer la presse burkinabé, et au-delà a eu une influence certaine sur le climat politique du pays. Dès le mois de décembre 1998, la journée « presse morte » organisée par la profession manifeste une prise de position nouvelle ; de nombreux confrères se mobilisent afin que la vérité soit faite et apportent leur contribution pour que le journal de Norbert Zongo, menacé par la perte de son fondateur, puisse survivre. Le Centre national de la Presse (CNP), fondé notamment par l’Association des journalistes du Burkina (AJB), en mai 1998, est rebaptisé Centre Norbert Zongo en 1999, et cette structure associative entreprend maintes actions pour entretenir la mémoire de leur confrère, en maintenant la pression sur l’opinion publique. Une option qui éloigne d’ailleurs certains des journalistes de la place, peu désireux de s’afficher avec une structure qui croise le fer avec le pouvoir.
Quelques années plus tard, le paysage médiatique s’est stabilisé. Si l’affaire Zongo n’est plus aussi fréquemment évoquée, les Burkinabé lui reconnaissent une vertu cathartique. « Avant, les gens avaient peur… elle a libéré presque toute la nation ; on a vu des membres de la garde présidentielle arrêtés ; on s’est dit que tout était désormais possible. Même au sein du parti au pouvoir, la contestation a pu naître », relève un observateur. La presse pour sa part est devenue nettement plus incisive. Parmi ceux qui s’étaient mobilisés autour de l’affaire, certains ont pu créer de nouveaux organes de presse, tel l’Événement, un hebdomadaire apprécié pour sa rigueur, animé par un ancien journaliste de la télévision, Newton Ahmed Barry. Il est vrai aussi que le drame et ses conséquences ont cristallisé une division de la presse en deux camps : celui du pouvoir et celui de l’opposition, avec des publications affichant un caractère nettement partisan. Ces discordances se sont apaisées et quelques années plus tard le paysage médiatique, un temps bouleversé par le traumatisme de « l’affaire », s’est stabilisé. Plus ouverte, moins alignée, davantage consciente aussi de ses carences et de la nécessité de s’unir, la presse burkinabé vise désormais à plus de maturité.

Thierry Perret
(avec Alpha Barry à Ouagadougou)



RSF : contre l’impunité

(MFI) Lancée il y a 17 ans, l’ONG Reporters sans frontières est devenue une composante importante du paysage des médias dans le monde entier, où elle s’appuie sur de nombreuses sections locales. En Afrique, dès lors que le phénomène de libéralisation de la presse a pu se développer au tournant des années 90, l’organisation est très tôt apparue comme un des principaux soutiens extérieurs pour les journalistes menacés dans l’exercice de leur métier, aux côtés d’organisations telles la Fédération internationale des journalistes (FIJ), ou à un degré moindre l’association mondiale des journaux (AMJ). RSF s’est notamment illustrée dans la défense de personnalités des médias, tel Pius Njawé au Cameroun. Le traitement de l’affaire Zongo reste toutefois exemplaire : dès son assassinat, RSF a multiplié les missions et les interventions pour obtenir la mise sur pied d’une commission d’enquête et le lancement d’une procédure judiciaire. Elle a publié, en décembre 2003, un nouveau rapport sur l’affaire Zongo, consultable sur le site internet suivant : www.rsf.org



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