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28/06/2004
Les constitutions en Afrique : réviser, pourquoi, comment ?

(MFI) Un vent de révision souffle sur les constitutions africaines. Après le Tchad, le Bénin pourrait réviser la sienne, et c’est toujours la limitation du nombre de mandats présidentiels qui occupe les esprits. Peut-on réviser une constitution, et comment ?

Le 26 mai dernier, par 123 voix (sur 155), l’Assemblée nationale tchadienne a donc adopté la révision constitutionnelle qui prévoit, entre autres dispositions, la suppression de la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels. Le président Idriss Déby peut ainsi briguer un troisième mandat de cinq ans à la prochaine élection de 2006… et au-delà. La protestation de l’opposition après le vote (à main levée), et le recours déposé devant le conseil constitutionnel ayant peu de chances d’être entendu, c’est donc un nouvel épisode dans l’histoire déjà riche des modifications constitutionnelles dont le continent africain semble s’être fait une spécialité. Avant Idriss Deby, on note que les présidents Ould Taya (Mauritanie), Ben Ali (Tunisie), Lansana Conté (Guinée), Omar Bongo (Gabon), ou encore Gnassingbé Eyadéma (Togo) ont profité d’une telle révision constitutionnelle leur permettant de se faire réélire.

Une des caractéristiques des constitutions adoptées à partir des années 90 en Afrique francophone est d’avoir limité dans bien des cas le nombre de mandats présidentiels. Cette option, qui n’est pas la plus fréquemment observée ailleurs dans le monde, avait un objectif assez évident : il s’agissait, face à des chefs d’État installés depuis plusieurs décennies, de provoquer, au besoin en la forçant, une alternance du pouvoir. Mais si les constitutions ont été mises en place dans un contexte de fragilisation des anciens systèmes politiques, la situation a évolué, et le rapport de forces s’est modifié. La relative facilité avec laquelle les révisions constitutionnelles de ces dernières années ont été digérées le montre suffisamment. Et les protestations de la communauté internationale sont restées modérées. Dans le cas le plus récent, on a noté ainsi que le ministre français de la Coopération, Xaver Darcos, a pu apporter sans grandes circonvolutions son soutien à la décision de l’assemblée nationale tchadienne.

Révision structurelle… ou conjoncturelle ?

Tout en notant que les constitutions africaines ont souvent été adoptées dans l’urgence, et qu’un certain toilettage peut être rendu nécessaire, Jean Du Bois de Gaudusson, spécialiste français du droit constitutionnel, rappelle qu’« une constitution se change, en effet, et c’est parfaitement conforme à l’État de droit ; si l’on fait référence au cas français, on s’apercevrait qu’une constitution peut se changer assez souvent, dès lors que les procédures sont respectées et que la révision s’effectue dans les formes républicaines » (1). C’est l’idée défendue par un homme politique tchadien, l’ancien Premier ministre Kassiré Koumakoye, qui note que « toute constitution étant une œuvre humaine, elle est faite pour être adaptée à l’évolution de la société. Dès l’instant que la constitution elle-même prévoit qu’on doit la réviser, la question posée est : est-ce que la révision engagée respecte les normes constitutionnelles ? ». A quoi répond l’avocat et homme politique béninois Robert Dossou : « une action peut être dans la ligne de la légalité la plus pure et se révéler parfaitement illégitime. La légitimité, c’est la conformité à la conscience du moment… »

Robert Dossou fait également une distinction entre ce qui pourrait s’apparenter à une révision structurelle (consistant en une refonte profonde du texte constitutionnel), et une révision conjoncturelle, inspirée par des considérations politiques. Or, et même si elle est incluse dans un ensemble d’autres modifications, la révision des mandats présidentiels risque fort d’apparaître comme éminemment conjoncturelle et, ainsi que l’affirme Zeus Ajavon, juriste et homme politique togolais, « avant tout politique… il faut voir pourquoi les mandats présidentiels ont été limités, à l’époque où l’on rédigeait les constitutions, dans un contexte donné. Est-ce que ce contexte a changé ? » Le contexte, si on l’entend bien, étant celui-ci : pas plus qu’hier l’alternance n’est tellement en vigueur en Afrique. Mais aujourd’hui on manipule les textes…

Le contexte ne justifie pas tout

La révision constitutionnelle au Tchad a en tout cas réveillé un débat très animé, lancé depuis l’an passé au Bénin où des voix se sont élevées pour prôner là encore une réforme… permettant à Mathieu Kérékou de se représenter. La controverse s’est cantonnée à la presse, mais elle a été passionnée, suscitant autant d’argumentations imaginatives que de réactions hostiles. Quelques grands leaders politiques, tel l’ancien président Nicéphore Soglo, soupçonnés de trouver quelque intérêt à la révision, sont pour leur part restés cois. Un professeur de droit, Victor Topanou, résume, de son point de vue, le problème : « Un président qui n'a pu réaliser ses ambitions pour le pays en dix ans ne saurait les réaliser en quinze ans, voire plus. Ce faisant, il serait sage de laisser sa place à une nouvelle équipe plus inspirée et mieux aguerrie ».

La question constitutionnelle est donc politique, politique avant tout. Certains peuvent défendre l’idée de proroger les actuels mandats présidentiels au nom de la stabilité : cet argument a dû, pour l’extérieur, jouer dans le cas du Tchad, pays à peine sorti de plusieurs décennies de guerres, dans une région en pleine tourmente. Au Bénin, la question se pose différemment, si l’on reconnaît que ce pays a mérité son image de laboratoire de la démocratie. Où toute cuisine constitutionnelle peut apparaître comme un retour en arrière très symbolique. Enfin, souligne Jean du Bois de Gaudusson, le contexte ne justifie pas tout : « en démocratie, il y a une morale du constitutionnalisme, qui fait qu’on ne peut pas utiliser, même régulièrement, tous les mécanismes constitutionnels pour atteindre n’importe quel objectif. C’est le principe du constitutionnalisme démocratique, de poser un certain nombre de limites, pas forcément d’ailleurs inscrites dans la constitution. »

« Vous posez la question de la stabilité, mais de quoi parle-t-on ? », relève enfin Robert Dossou. « Les Africains ont tendance à voir la stabilité comme personnalisée… c’est le cas si Pierre ou Paul restent au pouvoir. Et il y a la stabilité institutionnelle : c’est celle que nous essayons de construire ! ». C’est le même Robert Dossou qui a cette formule imagée pour parler de la constitution : « c’est à la fois le concentré de l’histoire d’un peuple et la plate-forme de ses espérances. » A l’heure des révisions en chaîne de la constitution, où vont les espérances africaines ?

Thierry Perret

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