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17/09/2004
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Cameroon Tribune : la renaissance
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(MFI/UPF) Le quotidien officiel a fêté cette année son trentième anniversaire. Sous la houlette de la directrice générale de la Sopecam, Marie-Claire Nnana, une journaliste professionnelle, le titre, qui appartient à 100 % à l’État, retrouve un certain tonus en ouvrant prudemment ses colonnes à l’opposition.
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Si les femmes sont loin d’avoir atteint la parité dans les médias camerounais, elles y détiennent cependant un poste très prisé : Marie-Claire Nnana, une journaliste formée à l’ESJ de Lille, est directrice générale de la Sopecam, la société d’État éditrice du quotidien bilingue Cameroon Tribune, propriétaire aussi d’une imprimerie et de la seule rotative de Yaoundé. Déjà directrice du journal, elle a été nommée à ce poste en juin 2002, après le limogeage de Jérôme Mvondo, coupable de négligences dans la préparation des documents nécessaires aux élections législatives…
Le fauteuil est à haut risque. Une dizaine de directeurs généraux se sont succédés en trente ans. Il est vrai que, dans un pays qui a connu le monopartisme, puis s’est ouvert progressivement à la démocratie, faire évoluer la presse d’État sur la même voie est un exercice difficile. En tout cas surveillé de près par les autorités politiques.
Marie-Claire Nnana le sait, mais sait aussi qu’elle a la confiance des plus hauts dirigeants. « Nous sommes un service public », précise-t-elle, notant que le parti au pouvoir, le RDPC, a son propre bi-hebdomadaire, L’Action, qui, lui, publie des critiques très dures sur les opposants.
Cameroon Tribune reste bien sûr un organe au service de la communication de l’État. « C’est notre mission », dit la « DG ». Mais, en quelques années, son contenu a nettement changé. Même la photo de Paul Biya qui, traditionnellement, occupait la manchette de « une », a disparu. Cela s’est fait en 2000, après une intervention directe du directeur général auprès du Président de la République.
Un lectorat en progression
« Lui aussi était journaliste. Il y a plus de hardiesse dans la ligne éditoriale, plus de liberté de ton quand c’est un journaliste qui est aux commandes. Quand ce sont des administrateurs civils, proches du parti au pouvoir, le journal s’en ressent… », note Marie-Claire Nnana. Aujourd’hui, le quotidien publie régulièrement une rubrique, « La vie des partis politiques », dans laquelle il donne la parole à l’opposition, y compris la plus radicale. « Sans donner notre avis », ajoute-t-elle. Quant aux analyses de la rédaction sur les grands dossiers en débat, elles doivent être « prudentes », dit-elle, mais refuse d’y voir de l’autocensure.
Cette ouverture du journal, liée au processus politique en cours, ajoute à sa notoriété bien établie. Bien que certains titres de la presse privée soient devenus de sérieux concurrents, Cameroon Tribune parvient à conserver son lectorat et même à le développer un peu. Le quotidien tire actuellement à 20 000 exemplaires et compte 8 000 abonnés, ce qui en fait le premier titre du pays. Pour la vente au numéro, la distribution, assurée sur l’ensemble du territoire, est confiée à Messapresse, une filiale des NMPP dont la Sopecam possède 2 %. Le taux d’invendus se situe aux alentours de 25 %.
On est loin bien sûr des 80 000 exemplaires quotidiens d’avant 1990, lorsque les deux éditions, l’une en français, l’autre en anglais, n’avaient quasiment aucun concurrent. Le choc de « la session des libertés » a été terrible pour le groupe public. « Nous n’avons pas été préparés au pluralisme et cela est intervenu en pleine crise économique… », explique Marie-Claire Nnana. La Sopecam a dû faire des coupes sombres, fusionner les deux éditions, supprimer un hebdomadaire de détente, mettre en sommeil son agence de presse, saborder sa branche « livres », réduire la pagination de Cameroon Tribune. « Nous sommes descendus jusqu’à huit pages », se souvient la « DG ». « Depuis 1995, nous relevons la tête ».
Aujourd’hui, Cameroon Tribune paraît en moyenne sur trente-deux pages tabloïd, dont douze à quinze consacrées à la publicité. Pour la Sopecam, qui assure elle-même la régie, c’est la principale source de revenus, avant même les travaux d’imprimerie. La périodicité attire les plus gros annonceurs – les opérateurs de télécommunications notamment –, ainsi que la plupart des appels d’offres. Le journal, qui, depuis ses déboires, bénéficie d’une importante subvention d’exploitation, sert aussi en quelque sorte de publication officielle : il insère gratuitement les communiqués de la Présidence et du Premier ministre, mais facture ceux de l’administration.
Peu à peu, la situation économique s’est améliorée, mais elle reste fragile, même si la Sopecam vise l’autonomie financière dès 2005. La masse salariale est très importante : 1,2 milliard de francs CFA. La société emploie trois cents personnes et offre des salaires de bon niveau, nettement plus élevés que ceux de l’administration. « Ils ont été multipliés par trois depuis cinq ou six ans », dit Marie-Claire Nnana.
Près de deux ans après son arrivée à la tête de la Sopecam, Marie-Claire Nnana voit l’avenir avec une certaine sérénité. Elle a signé avec la Mission de réhabilitation des entreprises publiques un contrat-plan de trois ans, avec pour objectif le rééquilibrage de la gestion. « Nous sommes sur le bon chemin », dit-elle, avant de rappeler que l’État, lui, s’est engagé à financer de nouveaux matériels. La prochaine étape pourrait bien être un renouveau éditorial. La « DG » veut continuer à développer Camnews, la nouvelle agence de presse du groupe, ainsi que le site web du journal, qui est le premier du pays, avec plus de 5 000 visiteurs par jour. Elle envisage aussi la création d’un magazine mensuel panafricain, « un Jeune Afrique subsaharien », explique-t-elle, et d’un bimensuel, destiné aux diverses régions du Cameroun et réalisé par l’ancien réseau de correspondants de l’agence de presse.
Serge Hirel
MFI/La Gazette de la Presse francophone
L’Esstic, « L’Ecole » de Yaoundé, creuset des journalistes africains
(MFI/UPF) Créé en 1970 par Hervé Bourges, intégré ensuite au sein de l’Université, le centre de formation camerounais souffre de finances trop faibles pour ses missions. Chaque année, pourtant, une quarantaine d’étudiants journalistes vont grossir les rangs de la profession.
« L’Ecole ». Lorsqu’en Afrique, un journaliste prononce ce mot, tous ses confrères comprennent qu’il s’agit du centre de formation professionnelle de Yaoundé. Un peu comme en France, « l’Ecole », c’est l’ESJ de Lille, qui a au moins un point commun avec sa consœur camerounaise : avoir eu un même directeur, Hervé Bourges.
L’actuel président international de l’UPF est en effet à l’origine de l’Esijy (Ecole Supérieure Interétatique de journalisme de Yaoundé), devenue, au fil du temps et des statuts, l’Essti (Ecole Supérieure des Sciences et techniques de l’information), puis, depuis 1991, l’Esstic, le « c » constatant l’ajout dans l’enseignement d’un volet « communication ».
L’Esstic, aujourd’hui, est l’un des cinq établissements de l’université Yaoundé II et son budget dépend donc largement des crédits accordés par l’Etat, les droits d’inscription des étudiants restant symboliques (50 000 francs CFA pour un Camerounais). « Les moyens publics sont très limités. Au total, nous disposons cette année d’environ 200 millions de francs CFA », dit Marc-Joseph Omgba, qui dirige l’Esstic depuis 1993.
Des locaux dégradés
Il est à la tête d’une quarantaine d’enseignants permanents, tous professionnels de l’information et diplômés de l’Université, dont une vingtaine sont aussi en poste dans l’administration, et d’un nombre identique de vacataires, pour la plupart des salariés des médias publics. « Beaucoup sont aussi des anciens, dit Marc-Joseph Omgba. Nous élaborons ensemble les programmes d’enseignement, que nous devons soumettre au conseil d’administration de l’Université et au ministère de la Communication ».
Le dévouement de cette équipe force l’admiration quand on connaît ses conditions de travail. Faute de financement suffisant, y compris de la part des différentes coopérations, l’École a vu ses locaux se dégrader peu à peu. Si le studio de radio numérique, offert par l’Unesco, est aux normes modernes, le plateau et la régie de télévision ne sont plus qu’un souvenir et le parc informatique est obsolète, hormis la dizaine d’ordinateurs récemment offerts par la France. Des ordinateurs théoriquement réservés aux « documentalistes ». Car l’Esstic, depuis dix ans, à moyens quasi constants, doit aussi former des étudiants à d’autres métiers que le journalisme. Elle compte en réalité cinq filières – journalisme, relations publiques, édition, publicité et documentation – et son effectif atteint les 440 élèves.
La section « journalisme » reste la plus importante, avec 140 étudiants répartis en trois promotions. Quelques étrangers, une dizaine de Tchadiens, quatre ou cinq Gabonais, figurent parmi eux et chaque promotion comporte une dizaine de professionnels déjà entrés dans le métier. Toujours à la recherche de stages en entreprise pour ses étudiants - ils sont obligatoires pour obtenir le diplôme, Marc-Joseph Omgba veut aussi accroître son offre en matière de formation permanente, financée souvent par des organisations internationales, et n’hésite pas à solliciter l’aide de parrains, telle l’opérateur de téléphonie mobile MTN.
Objectif le plus proche : relancer les filières de formation au journalisme sur deux et cinq ans, aujourd’hui abandonnées faute d’argent, et ainsi concevoir un Dess de journalisme. « Aujourd’hui, nous avons l’impression que la coopération française ne veut pas nous aider à enseigner le journalisme. S’il le faut, nous monterons d’autres dossiers », dit sobrement le directeur de l’Esstic…
S. H.
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