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10/12/2004
Madagascar :
Presse : entre libéralisme et conformisme, le règne de… l’autocensure


(MFI) La presse et les médias malgaches offrent un aspect apparemment original en Afrique francophone : le dynamisme est réel, du moins en quantité ; la répression y fut toujours faible, comparée à d’autres situations. Pourtant, le secteur est fragile, et son impact discutable.

Dans un pays à bien des égards atypique dans la zone francophone, la presse de Madagascar offre un profil à la fois singulier et habituel : la singularité vient d’une tradition de presse plus affirmée, qui remonte à la période des mouvements nationalistes, sans véritable rupture à l’indépendance, la censure n’intervenant réellement qu’à partir de 1975 avec l’instauration du régime « socialiste-révolutionnaire » de Ratsiraka. Le secteur est ainsi resté plus diversifié qu’ailleurs, tandis que la formule très répandue du bilinguisme donnait à la plupart des journaux cette physionomie assez unique, caractérisée par l’alternance d’articles en français et en malgache, qui a peut-être attiré un lectorat, toutes proportions gardées, plus populaire.
La présence importante de la publicité commerciale dans leurs pages est aussi un trait original des publications malgaches, dans une presse francophone qui a rarement réussi à créer des passerelles avec le milieu des entreprises. Le développement exponentiel du secteur radiophonique, à partir des années 90, fournit un autre indice du dynamisme des médias dans la Grande Ile, même si tout cela reste très relatif, car ici aussi les bases économiques demeurent précaires.


Du Courrier à L’Express, une libéralisation par à coups

De la fin des années 20 à 1947, la presse d’opinion malgache traverse une période de grande effervescence, qualifiée parfois d’ « âge d’or du journalisme », qui connaît un brutal coup d’arrêt avec les manifestations et la féroce répression de 1947. La renaissance est progressive dans les années 50 sous l’égide des mouvements politiques, tandis qu’une presse gouvernementale s’impose avec, notamment, le Courrier de Madagascar, premier journal « moderne », en français, qui atteindra les 50 000 exemplaires, avant de céder la place en 1972, lors du renversement de Philibert Tsiranana, à Madagascar Matin, l’un comme l’autre offrant cette particularité d’avoir l’Etat français comme actionnaire. Une situation qui perdure avec Didier Ratsiraka, jusqu’à la phase de privatisation du milieu des années 80 : la création de Midi Madagasiraka et de Madagascar Tribune (en 1989) sonne la fin de règne pour Madagascar Matin.
En dépit de nombreuses créations peu durables, et à côté des journaux parfois fort anciens publiés en malgache (Imongo Vaovao, Maresaka…), ou de périodiques comme le catholique Lakroan’i Madagasikara, ou encore le mensuel La Revue de l’Océan indien, le tableau est par la suite resté remarquablement stable, si l’on excepte le lancement, à côté des deux principaux titres privés, de L’Express de Madagascar en 1995, quotidien qui réussit à son tour à s’imposer avec un style plus vivant et un positionnement libéral, puis récemment du titre Les Nouvelles, entièrement en français, qui portait à huit le nombre de quotidiens. Pendant la dernière décennie, le développement de la radio a été, quant à lui, impressionnant. A la suite de la radio d’opposition, La Voix du Peuple, qui avait ouvert le bal en 1991, des dizaines de radios locales se sont créées, d’abord sans base légale, en privilégiant informations de proximité et débats avec les auditeurs. La télévision s’est mise de la partie, et l’on recensait à la mi-2004 pas moins de 229 stations de radio (dont 26 stations publiques, pour environ 120 privées émettant légalement) et 27 chaînes de télévision (dont 21 stations privées), huit journaux quotidiens (dont cinq paraissant partiellement en français et le sixième entièrement en français). Côté effectifs, à la fin de 2003, l’Ordre des journalistes comptait 694 journalistes…
Alors rédacteur en chef de L’Express, avant de prendre la tête des Nouvelles, Christian Chadefaux pouvait souligner en 2002, sans grande surprise, combien l’édifice de la presse malgache restait cependant fragile(1). Première observation : le journal reste pour une grande majorité de Malgaches un produit de luxe, avec un prix de vente au numéro autour de 1 000 francs malgaches, soit une équivalence de 0,15 euro… quand le prix du kilo de riz, denrée de base de l’alimentation, est autour de 0,40 euro. Dans ces conditions, un bon chiffre de diffusion pour un quotidien oscille autour de 10 000 exemplaires, la publicité -omniprésente dans les contenus des journaux- étant un complément nécessaire à l’équilibre des comptes. L’entreprise de presse étant par nature, sinon déficitaire, du moins en situation très précaire, les salaires sont faibles et demandent à être arrondis par des « compléments licites (per diem de mission ou de formation) ou illicites (pots de vin) », ne serait-ce que pour couvrir les frais professionnels des journalistes. La corruption ordinaire est donc répandue, ainsi que l’allégeance aux intérêts partisans ou privés, deux phénomènes qui encouragent l’autocensure des journalistes.
Faible lectorat, faible crédibilité : la presse malgache n’a qu’un impact très mesuré sur le public, et c’est ce qui expliquerait l’apparente magnanimité des autorités, ce quelque soit le régime concerné : « à quoi bon… censurer une presse dont l’audience se limite à quelques dizaines de milliers de lecteurs ? Et qui n’est que très rarement solidaire… dans sa condamnation d’un scandale », relève notre observateur. Le pouvoir, à Madagascar, si l’on excepte la courte période des années 75-80, s’est peu illustré par la répression à l’encontre des journalistes, quand celle-ci s’épanouissait ailleurs. Mais c’est que l’autocensure pourvoyait largement aux besoins de « régulation », et cette autocensure renvoie à la réalité sociale malgache : « Jamais affranchi de son ethnie d’origine, et dans celle-ci d’une caste ou d’un rang, qui lui impose une solidarité absolue… le journaliste malgache, à de rares exceptions près, est donc constamment tenu à un devoir de réserve social. Celui qui tente de rompre avec ses racines pour servir un idéal, des vertus différentes que celui ou celles que lui impose son terreau naturel, a plus de chance de se voir… proscrit par l’opinion que d’être reconnu pour ses qualités professionnelles… » (2)


Ouverture et régulation

Pourtant, des évolutions sont discernables qui ne porteront sans doute leurs fruits qu’à moyen ou long terme. L’installation au pouvoir, en mai 2002, de l’homme d’affaires et ancien maire d’Antananarivo, Marc Ravalomanana, après une éprouvante période de tensions politiques, a inauguré une ère politique où le pouvoir se déclare attaché au respect des libertés fondamentales, dont celle de la presse. On rappellera qu’un des moments forts du bras de fer ayant opposé Ravalomanana à l’ancien président Ratsiraka fut la marche, en janvier 2002, de ses partisans sur la radio télévision d’Etat, accusée de servir de manière univoque les intérêts du régime en place. Et la campagne électorale de 2001 s’était largement jouée par médias interposés, grâce à l’existence de radios et de télévisions privées proches des candidats.
Partisan déclaré du libéralisme, désireux d’offrir un profil « moderne » de communicateur, le président n’a garde d’oublier qu’on n’est jamais mieux servi en la matière que par soi-même : on a donc pu relever, avant et après les élections malgaches, maintes créations de médias proches de Marc Ravalomanana, à commencer par ceux générés par son propre groupe, Tiko, qui détient avec MBS (Madagascar Broadcasting System) une télévision, une radio et, depuis octobre 2003, un quotidien : Ny Gazety Androany (Le journal du jour). L’une des grandes réformes aussitôt engagées par le régime a ensuite concerné le secteur de la communication. En présentant dès 2002 le projet de nouveau code de la communication, le ministre de tutelle de l’époque avait précisé quels étaient les maîtres-mots de la démarche suivie : « dépolitisation, efficacité et professionnalisation », ceci devant garantir un exercice vertueux de régulation du paysage médiatique, qui s’il a parfois donné des inquiétudes aux journalistes, a eu au moins le mérite de les associer assez largement à la discussion. Il reste à faire adopter par le Parlement un code qui supprime notamment les dispositions les plus répressives, notamment les peines de prison en matière de délit de presse, et instaure une instance de régulation sous la forme du Conseil national de régulation de la communication.

(1) Afrique contemporaine, n° 202-203, avril-septembre 2002
(2) Christian Chadefaux, op. cité


Thierry Perret


La presse malgache, miroir de la société

Entretien avec Christian Chadefaux, rédacteur en chef du quotidien Les Nouvelles


MFI : La presse à Madagascar donne le sentiment d’être diversifiée. Pourtant, vous considérez que c’est un secteur qui reste très fragile au plan économique ?

Christian Chadefaux :
Effectivement, elle « donne le sentiment d’être diversifiée », alors qu’au fond elle l’est peu. Une presse n’est jamais que le reflet d’un milieu, et la société malgache est très policée, très raffinée, régie par de nombreuses convenances qu’un Malgache ne peut pas transgresser. Par exemple on ne montre jamais du doigt, ou alors l’index recourbé, plié en deux... ! Dans un pays où la vie politique est floue, sans idéologie marquante et dominante, sans clivage de pensée, gauche/droite par exemple, il est clair que la presse ne peut être que généraliste et globalement consensuelle, en dépit des quelques flèches que décochent à tour de rôle les différents journaux, histoire d’afficher leur pseudo indépendance. En réalité aucun journal ne traite à fond d’un sujet, ne mène une investigation aboutie. Autre exemple, on ne cite jamais le nom des gens que l’on épingle, on procède de façon allusive mais suffisamment claire pour que le lecteur sache de qui il s’agit…
La fragilité économique de la presse malgache tient au prix de vente des journaux, environ 0,07 centimes d’euros, pour des coûts de fabrication qui, hors salaires, sont plus élevés que ceux de la presse européenne en raison du fret, de la taxation des matières premières et des faibles quantités de papier, de plaques offset, d’encre, bref de consommables, tous importés. Or le pouvoir d’achat actuel de la population malgache ne permet pas d’augmenter ce prix de vente. Il faut savoir qu’actuellement l’achat d’un seul titre 25/26 jours par mois représente 10% du salaire minimum légal. C’est énorme. Il en résulte que l’équilibre financier d’une entreprise de presse repose dangereusement sur les recettes publicitaires. Elles représentent 75% de son chiffre d’affaires et les ventes à l’exemplaire seulement 25 %.

On observe en général un climat peu répressif à l’égard des journalistes malgaches. Mais le secteur manque visiblement d’encadrement : les autorités actuelles ont semble-t-il le désir de faire avancer les choses, et que peut-on dire du code de la communication en cours d’élaboration ?

Si le climat est effectivement peu répressif c’est sans doute que la presse effleure, reste superficielle, et ne menace pas le pouvoir. L’autocensure est généralisée, ensuite à cause d’entorses fréquentes à l’éthique professionnelle, d’un taux élevé de corruption de la profession, les journalistes jouissent de peu de considération dans l’opinion. Si tel ou tel titre dénonce un scandale, le lecteur pense immédiatement que l’auteur de l’article a été payé pour le faire. La modicité des salaires - environ 75 euros par mois - est à l’origine de nombreux accommodements avec l’information.
On ne connaît toujours pas la dernière mouture du futur Code de la communication qui sera prochainement soumise au vote du Parlement. Même si les peines de prison pour délits de presse sont supprimées, il n’est pas certain que cette loi soit moins répressive que la précédente, en raison de nombreux interdits qui tissent une lourde chape d’intimidation. Et, surtout, la constitution des délits et leur gravité sont laissées à l’appréciation des juges, alors que tous les sondages donnent la justice comme le milieu le plus corrompu du pays.


Quels sont les titres qui proposent le traitement le plus équilibré de l’information ? Et quelle est l’ambition d’une publication comme « Les Nouvelles » ?

L’Express de Madagascar, créé en 1995 par Herizo Razafimahaleo, a marqué une nette évolution de la presse malgache et une avancée réelle dans le traitement plus professionnel de l’information. Il y a encore des efforts à faire. A la décharge des journalistes qui souhaitent faire normalement le métier, la société malgache reste très fermée, très secrète. Impossible, par exemple, d’obtenir le chiffre d’affaires d’une entreprise.
Dans ce paysage, un quotidien comme Les Nouvelles, réellement ouvert à toutes les tendances et à toutes les opinions, qui offre peut-être un traitement plus équilibré de l’information, même si ce n’est pas très payant sur le plan commercial, est qualifié d’élitiste et commercialement pénalisé pour cette tendance à tirer vers le haut !
Il faut souligner qu’il s’agit du premier quotidien entièrement en français depuis l’indépendance du pays (1960) et du premier journal d’ouverture sur le monde avec cinq pages d’information internationale (monde, France, économie, culture et sport) dans chaque édition, ce qui a très certainement beaucoup plus contribué à son succès immédiat, en plus de sa qualité d’impression, que son contenu rédactionnel national, d’un niveau globalement identique à celui des autres titres.
Enfin, il convient de souligner, car c’est cela l’événement dans la presse malgache, le succès spectaculaire du quotidien entièrement en malgache Taratra, lancé par le même groupe et en même temps que Les Nouvelles, qui « explose » avec 25 à 30 000 exemplaires de ventes quotidiennes, confirmant mon sentiment de toujours que l’avenir et le développement de la presse à Madagascar passeront obligatoirement par des journaux dans la langue nationale.
On attend, par ailleurs, pour les prochaines semaines l’impact de l’arrivée des Mauriciens de L’Express (de Maurice) dans le capital de L’Express de Madagascar, en raison du haut niveau de professionnalisation de la presse mauricienne. La concurrence va devenir rude sur un marché étroit !

Propos recueillis par T. P.




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