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24/12/2004
Les Etats-Unis vus par les journaux africains

Les États-Unis… vus d’Afrique

(MFI) Partout dans le monde, les élections présidentielles de novembre dernier aux Etats-Unis et le duel Bush-Kerry ont été suivis avec attention, parfois avec inquiétude. On trouvait bien sûr un reflet de cet intérêt dans la presse africaine. Sélection de quelques contributions de nos confrères en Côte d’Ivoire et au Sénégal, qui tentent d’éclairer ce que pourrait être l’avenir des relations afro-américaines…




Fraternité Matin (Côte d’Ivoire) :
Regards sur la démocratie américaine

Deux membres de la Commission électorale indépendante (CEI) de Côte d’Ivoire étaient aux Etats-Unis pour suivre les dernières élections. Le regard qu’ils portent sur la campagne et la procédure électorale n’est pas, on s’en doute, sans être fortement influencé par les préoccupations nationales.


Invités du gouvernement américain, le Dr Joseph Seka Seka, agrégé en médecine et enseignant à l’unité de formation et de recherche des sciences médicales à Abidjan, et Michel Badia Yoro, ingénieur (option électricité et mécanique), ancien ministre, ont en commun d’être membres de la Commission électorale indépendante (CEI) de Côte d’Ivoire. En cette qualité, ils ont suivi en partie la campagne électorale pour la présidentielle américaine.

Joseph Seka Seka : « S’agissant de l’organisation des élections, je dirais que les membres des commissions électorales sont élus par les populations. Ils ne relèvent pas du pouvoir. Il n’y a pas de représentation du pouvoir au sein des commissions électorales et les membres ne répondent pas d’un parti politique. Toutes choses qui leur confèrent une véritable indépendance.
Le système du collège électoral, en terme de grands électeurs, actuellement en vigueur, est décrié tant par les Républicains, les Démocrates, que par les autres partis tels les Verts, parce que, disent-ils, il ne reflète pas le résultat réel du vote populaire. Mais, personne n’a l’esprit préparé à un changement de ce système.
S’agissant de la campagne électorale proprement dite, je qualifierais celle-ci de civilisée. Pourquoi ? parce que les candidats s’attaquent sur les actes politiques, évitant toute agression personnelle. Dans le fond, sur les grands dossiers comme l’économie, la santé, le social, la sécurité et l’environnement, les candidats Bush et Kerry promettent les mêmes choses, mais en des termes différents. Il n’y a pas de démarcation sensible.
Que dire de la réaction du peuple américain ? De nombreux Américains n’arrivent pas à faire véritablement la part entre les idées propres aux Républicains (la droite) et celles propres aux Démocrates (la gauche). Le peuple assimile cela à un « essuie-glace ». Entre ces deux grands partis, les Verts n’arrivent pas à émerger. Ceci a pour conséquence de générer une forte proportion d’abstentionnistes et d’indécis…
Dans l’ensemble, ce séjour nous permet de mieux comprendre le système électoral des Etats-Unis, mais aussi le système politique américain. S’il y a des aspects hautement positifs en terme d’avancées démocratiques, ce système renferme aussi quelques faiblesses. Pour des pays en quête de démocratie comme la Côte d’Ivoire, l’on peut s’inspirer valablement des aspects positifs pour enrichir le système ivoirien, un système, qui, finalement, peut être très bon, pourvu qu’il soit accepté et pratiqué par chacun de ses acteurs ».

Michel Badia Yoro : « (…) Bush et Kerry se sont affrontés autour de deux thèmes majeurs : la sécurité des Etats-Unis et la situation économique du pays. Cette restriction du champ de bataille électorale réduit les possibilités d’appréciation des candidats en présence. La question sécuritaire n’est inspirée que par les événements du 11 septembre 2001 et la guerre en Irak. Malheureusement, il n’est proposé par les deux candidats aucune stratégie pacifique qui garantisse cette sécurité.
Les médias, quant à eux, jouent un rôle plus que déterminant dans cette campagne, dans la mesure où ils influencent l’analyse des électeurs, sur les sujets à l’ordre du jour. Il est à remarquer que les méthodes de communication sont très variées, allant des meetings géants aux visites à domicile, ou, le porte à porte. Mais toutes ne s’éloignent pas d’un fil conducteur, celui de toucher directement l’électorat, sans intermédiaires, pendant que les sondages, admis et réalisés durant la campagne, font vaciller les indécis, jusqu’à ce que chacun de ceux-ci se forge et arrête une décision de vote.
La diversité des élections, des méthodes et des commissions électorales dans les Etats fédérés - source d’enrichissement certain -, la volonté de lutter contre la corruption par le financement sur fonds publics de la campagne à hauteur de 74 millions de dollars par candidat officiel et le contrôle rigoureux des dépenses électorales des candidats par la commission fédérale des élections, indiquent que rien n’est parfait sur la planète terre.
Enfin, je constate que toutes les chapelles politiques sont d’accord sur la nécessité d’améliorer le système électoral, qui ne permet pas l’élection du président des Etats-Unis au suffrage universel direct. Les Américains veulent un changement, c’est visible (…)
Quelles leçons puis-je tirer ? Malgré leur diversité, les communautés raciales et toutes les minorités s’acceptent et se respectent, travaillent dans leur propre intérêt et dans celui du peuple. Il se dégage chez toutes les populations, d’origine et d’adoption, une volonté réelle de s’assumer par le travail, de mieux faire, pour mériter la confiance des autres. Les actes de bénévolat, dans la campagne, sont réels et sont surtout le fait des jeunes et davantage encore des femmes. Autre leçon, c’est l’acceptation de la libre discussion, sur tous les sujets d’ordre public, dans le respect mutuel, l’acceptation également par tous du rôle des médias : suivi des élections au quotidien, dénonciation des déviations et imperfections à tous les niveaux, pour le compte des citoyens.
Je voudrais encourager les médias ivoiriens engagés sur le chemin de la perspicacité dans l’investigation, pour éclairer nos concitoyens. La transparence et l’éducation de nos peuples sont une part du chemin de notre progrès ».
Propos recueillis par Alfred Dan Moussa (envoyé spécial)
Fraternité Matin/ MFI



Le Soleil (Sénégal) :
« A l’Afrique de s’organiser pour peser dans les décisions américaines »

Entretien avec Ibra Deguene Ka, ancien ambassadeur du Sénégal aux Etats-Unis

Quelles leçons pourrons-nous tirer, nous Africains, de ces grands moments de la vie politique américaine ?


(…) Les leçons sont multiples. D’abord, concernant la campagne électorale, je pense qu’on est surpris par la complexité du système électoral américain qui est un système indirect. Il y a d’abord le suffrage populaire et ensuite le collège électoral composé de 538 membres. Si un candidat n’a pas 266 voix au collège électoral, il ne pourra pas être élu, même s’il a gagné le vote populaire. Ensuite, on est impressionné par l’organisation des conventions des partis et par la manière dont ces conventions peuvent mettre tous les membres du parti dans un filet debout et également tailler une cote de popularité au candidat, surtout si c’est un candidat charismatique. Le jeu électoral est un exercice démocratique et se passe dans la sérénité et dans une parfaite culture démocratique.

Et les relations avec l’Afrique ?

Il ne faut pas se faire d’illusion. Je dois dire que les Américains, qu’ils soient Démocrates ou Républicains, manifestent un intérêt pour un pays ou un continent chaque fois que leurs intérêts stratégiques sont concernés, chaque fois qu’ils constatent des avancées démocratiques ou des potentialités économiques pouvant créer des alliances politiques.
D’un côté, les Démocrates, de prime abord, semblent plus proches de l’Afrique grâce à leurs liens particuliers avec le Black Caucus. Mais ces Démocrates peuvent avoir des positions souvent analogues à celles des Républicains sur les questions africaines. Concernant cette expérience, j’ai pu constater, sous Bush-père, que les Républicains ont manifesté un intérêt visible pour l’Afrique par le nombre d’invitations de chefs d’Etat à Washington. Parmi ces invitations, il faut noter la visite d’Etat du président Diouf en septembre 1992. C’est un fait rare. A cette visite, avait participé le président Wade, à l’époque dans le gouvernement d’ouverture. Par exemple, durant cette visite d’Etat, le président Bush a fait annuler 60 millions de dollars de dettes sénégalaises concernant le programme PL-483. Mais je dois préciser une chose : que ce soient les Démocrates ou les Républicains, l’intérêt pour l’Afrique doit être principalement suscité par les Africains eux-mêmes.

En quoi faisant ?

En assainissant le climat politique, en organisant des missions commerciales, des semaines culturelles, des expositions itinérantes. Tout cela pour faire connaître les atouts que recèlent les pays africains. Mais, il y a également que l’ambassadeur africain à Washington a un rôle particulier à jouer. D’abord parce que les canaux de la diplomatie classique ne sont pas les mêmes à Washington qu’ailleurs.

Qu’est-ce qui en fait la particularité ?

Le diplomate doit se rendre à l’évidence qu’à Washington les cercles de décision sont constitués par une sorte de chaînons, et l’ambassadeur doit essayer d’ouvrir un anneau de cette chaîne pour entrer dans le réseau. Et une fois qu’il est dans le réseau, il peut s’appuyer sur tous les autres anneaux pour régler toutes sortes de problèmes. Il doit également travailler avec le Congrès et se faire une position au niveau des Sénateurs et des Congressmen et avoir parmi eux des amis sûrs. Souvent, le département d’Etat demande à l’ambassadeur du Sénégal de l’aider auprès du Congrès pour faire passer un dossier.
L’ambassadeur doit également agir au niveau de certaines institutions telles que le Pentagone pour accroître l’assistance militaire à son pays, ou l’USAID pour le financement des projets dans son pays. Pour positionner son pays et attirer les investissements, l’ambassadeur a également besoin d’agir auprès des universités, des gouverneurs, des églises, des maires (jumelages). En somme, il a la charge de vendre l’image de marque de son pays, en intéressant ses partenaires, mais aussi essayer de se présenter chaque fois comme un interlocuteur écouté sur les questions africaines. Enfin, un aspect important est à souligner : l’ambassadeur doit tout faire pour inviter dans son pays des personnalités influentes. C’était le cas avec Jesse Jackson en 1991, Ron Brown en 1992, Colin Powell, etc. Voilà ce qui peut susciter un intérêt du pays de l’Oncle Sam pour le Sénégal.

(…) Bill Clinton, le Démocrate, a effectué un périple de deux semaines en Afrique. Une première. A quoi peut-on attribuer ce choix ?

Je crois que le président Clinton est un président très ouvert aux questions africaines. Pendant l’année et demie où j’étais à ses côtés, j’ai senti qu’il était très attentif aux sollicitations des ambassadeurs africains, qu’il avait des relations particulières avec le Black Caucus. Mais il faut aussi avouer que le président Clinton avait un collaborateur de premier choix, feu Ron Brown, qui certainement l’avait bien conscientisé sur les questions africaines. Ron Brown, qui a fait d’abord le voyage de l’Afrique en 1991 en sa qualité de président du Comité national démocrate, après avoir visité six pays africains dont le Sénégal, n’a pas manqué de sensibiliser le président Clinton sur les potentialités d’une coopération avec l’Afrique.

Vous avez aussi été président du groupe africain des ambassadeurs. Quels types de relations ont été tissées entre votre groupe et les autorités américaines ?

La première chose que les ambassadeurs africains ont à faire dans un univers politique aussi complexe que celui de Washington, c’est de se rendre à l’évidence qu’un pays africain, à lui seul, ne peut rien entreprendre pour l’Afrique et pour lui-même. D’où la nécessité de se retrouver au sein d’un groupe africain, de concertation pour dégager des stratégies africaines en direction des interlocuteurs américains. Evidemment, le succès des activités du groupe dépend souvent de la personnalité du président du groupe et de ses relations particulières avec le département d’Etat, le Congrès, les groupes de pression et les personnalités-ressources sur les plans politique et économique. Je dois dire que nous avons fait avancer beaucoup de dossiers africains grâce au groupe d’ambassadeurs composé d’ambassadeurs de très grand talent.
Entretien réalisé par Habib Demba Fall et Amadou Gaye
Le Soleil/MFI



Le Soleil (Sénégal) :
Au-delà du scrutin, les attentes de l’Afrique


(…) Sur l’Afrique noire, la stratégie démocrate (aura) privilégié deux axes sensés faire la différence avec le camp républicain. Le premier concerne la lutte antisida pour laquelle d’administration Bush a fait un certain nombre d’avancées en faveur des Africains. Cependant, cette lutte est pour Kerry « la plus grande obligation morale de notre temps ». Le second axe est fourni par la situation au Soudan et le rôle que les Etats-Unis doivent y jouer. Pour Kerry, Bush ignore le « génocide », alors qu’il faut « retenir les leçons du Rwanda » C’est dire que du côte des Démocrates comme de celui des Républicains, emporter le vote africain-américain reste une priorité, pas seulement pour le nombre de voix supplémentaires que cela permettait d’engranger, mais surtout pour le gain psychologique voire affectif que cela permet d’obtenir au sein de la communauté noire et du continent africain.
Force est de reconnaître qu’une telle analyse, quoique partielle et parcellaire, n’en révèle pas moins une tendance historique : celle de la présence de plus en plus visible des Africains-américains et du continent africain dans le vote américain. Elle le sera encore plus, cette fois, au regard des nouveaux enjeux liés au contexte géopolitique international, à la mondialisation qui induit des ajustements tant au niveau des Etats qu’au niveau de tous les continents. Elle le sera surtout du fait que l’Amérique devra se tourner davantage vers l’Afrique, ce continent de plus de 300 millions de consommateurs encore à la périphérie du « monde utile ». L’Amérique des prochaines décennies devra forcément intégrer l’Afrique dans son vaste réseau de partenaires, face à une Europe de plus en plus unitaire voire autarcique, et une Asie de plus en plus autosuffisante tant sur le plan technologique que financier. Il va de soi que les candidats à la Maison-Blanche (n’ont pas ignoré) ces tendances lourdes qui se dessinent et qu’ils ont l’impérieuse obligation de prendre en compte dans leur feuille de route.
Selon une étude de la Banque mondiale intitulée « l’Afrique peut devenir compétitive », un créneau important existe sur le marché américain pour les produits africains. Cette étude affirme aussi que dans les pays où les programmes d’ajustement ont permis l’amélioration de l’environnement économique, les producteurs d’articles d’habillement (prêt-à-porter) sont devenus compétitifs vis-à-vis de leurs concurrents asiatiques.
De telles conclusions ont, de toute évidence, des implications importantes pour le développement de l’Afrique. Dans la mesure où les exportations africaines sont compétitives, l’étude indique qu’au-delà de tout ce qu’on avait cru avant, les investisseurs étrangers, les entreprises commerciales et les acheteurs qui, tous, ont été d’importants éléments catalyseurs du développement en Asie et en Amérique Latine ont un très grand rôle à jouer en Afrique.
Des zones de compétitivité ont été créées dans certaines parties d’Afrique du fait principalement de l’ajustement structurel. En plus, il existe aux Etats-Unis des marchés qui sont particulièrement sensibles aux produits africains, ce qui représente une opportunité unique pour les exportateurs du continent. Les efforts d’ajustement devraient être soutenus afin d’élargir ces zones de compétitivité, de même que le climat des affaires, y compris l’infrastructure, doit être amélioré de telle sorte que les bénéfices générés par l’amélioration de la compétitivité ne soient annihilés par le coût élevé à supporter pour entreprendre une affaire.
Il va de soi que de nombreuses difficultés subsistent au niveau de l’entreprise, qu’il faudra surmonter à travers des initiatives comme celles préconisées par la Banque mondiale. Les Etats Unis devraient y aider pour faire de l’Afrique un partenaire au même titre que les autres continents. Un tel soutien devrait passer par une assistance technique pour une formation sur le terrain dans les domaines de la production, du contrôle de qualité, de la gestion du planning de production, de l’évaluation des besoins courants en matières premières, et de la livraison de la marchandise à temps à un point établi au préalable. Il devrait également passer par la mise en place d’un fonds de roulement facilement disponible pour que les entreprises soient en mesure d’exécuter immédiatement des commandes importantes et d’adapter éventuellement leur technologie.
Une bonne gestion prenant en compte les exigences de qualité dans un environnement de forte concurrence sur les marchés internationaux (est requise), un meilleur accès aux informations est aussi nécessaire, particulièrement celles relatives aux systèmes de vente en détail à l’extérieur, à la position des acheteurs sur les marchés, et à la situation de ceux qui font de meilleures propositions d’achat. Les exportateurs qui veulent pénétrer les marchés d’articles d’habillement ou autres produits ont aussi besoin de ce genre d’informations, ainsi que de celles qui se rapportent aux quotas.
Il va sans dire que le futur chef de l’Exécutif américain sera attendu en Afrique sur ce terrain de l’intégration économique du continent dans un marché mondial qui l’a souvent écrasé de son unilatéralisme et de sa pensée unique. C’est cette Amérique généreuse et volontariste, chevillée à la démocratie et au respect des libertés individuelles et collectives, ouverte à tous les apports « fécondants de l’humanité » que l’Afrique attend au soir du 2 novembre.

Mamadou Kassé
MFI/Le Soleil


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