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07/01/2005
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Francophonie : les grandes manœuvres institutionnelles
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(MFI) L’année 2005 est une année charnière pour la Francophonie, avec en perspective le lancement d’une grande réforme institutionnelle. Celle-ci, destinée à donner tout son poids à l’organisation internationale de la Francophonie (OIF), devrait marquer un véritable changement d’époque dans le long processus de création de l’ensemble francophone.
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Ce n’est pas l’aspect qui a le plus retenu l’attention des médias : le Xe sommet francophone de Ouagadougou aura été dominé pour l’opinion publique par la question politique, notamment l’examen de la crise en Côte d’Ivoire. Mais ce sommet de transition aura aussi, et peut-être surtout, permis de donner le coup d’envoi d’un grand chantier : celui de la réforme des institutions francophones, qui doit commencer à se concrétiser en 2005.
Traditionnellement, la Francophonie n’aime guère mettre en avant la dimension institutionnelle de son action, jugée peu attractive. Pourtant à Ouagadougou des enjeux importants étaient cette fois en œuvre. Ainsi, apparemment anodine et naturelle, l’insistance avec laquelle les chefs d’Etat, notamment le français Jacques Chirac, ont salué le rôle leader du secrétaire général de l’OIF, le Sénégalais Abdou Diouf, tout en réaffirmant la dimension politique de l’organisation, ont été significatives. Car on est allé cette fois au-delà des déclarations d’intention, jusque là récurrentes : si déjà était dans l’air l’idée que la structure même de l’organisation francophone devait être repensée, pour satisfaire à ses nouvelles missions, il fallait prendre la décision d’une mise en œuvre effective. C’est aujourd’hui chose faite, avec un mandat spécifique donné au secrétaire général de l’OIF.
Donner au secrétaire général de la Francophonie les moyens de son action
Relevons ces quelques lignes qu’il vaut la peine de citer, à la fin de la déclaration présentant le nouveau « cadre stratégique décennal » de la Francophonie : « Il reste… à parachever la réforme institutionnelle engagée au Sommet de Maurice puis de Hanoi. La personnalité juridique de l’Organisation internationale de la Francophonie et le cadre d’exercice des attributions du Secrétaire général doivent être mieux fondés. Les Etats et gouvernements demandent au Secrétaire général de formuler, dans la perspective de la Conférence ministérielle de décembre 2005, des propositions les conduisant à prendre toutes décisions appropriées. » En peu de mots, tout est dit : la Francophonie va changer, elle va changer dans sa nature même, pour donner à son secrétaire général les moyens de son action.
Rappelons, à propos de ce cadre stratégique décennal, que celui-ci se présente comme un projet à long terme, qui aura permis après d’intenses consultations de dégager la philosophie, les grandes orientations et priorités de la Francophonie ; son adoption à Ouagadougou impartit en outre un nouveau rythme de travail (on passe d’une programmation biannuelle à une programmation quadriennale, effective à partir de 2006). Mais le projet supposait, ou comportait en filigrane, un mode de fonctionnement profondément remanié pour traduire ce qui constitue le soubassement de ces réorientations : l’affirmation du rôle politique de l’OIF, et l’avènement de celle-ci en tant qu’entité juridique complète.
Un peu d’histoire, pour comprendre de quoi il s’agit. La Francophonie institutionnelle n’est pas née d’un coup, elle s’est constituée au contraire par couches successives : c’est d’abord la création, en 1970, de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), essentiellement axée sur des programmes de coopération, puis l’instauration à partir de 1986 des sommets des chefs d’Etat et de gouvernement, enfin en 1997, après la création d’une nouvelle entité institutionnelle, l’Organisation internationale de la Francophonie, la création d’une fonction de secrétaire général de la Francophonie. Ces étapes, et le changement de nature qu’elles impliquaient, n’ont pas donné lieu à des aménagements institutionnels de même ampleur : on a plutôt cherché le compromis juridique entre des structures et des modes de fonctionnement à priori peu compatibles. Ainsi, à peine adoptée, la nouvelle charte de la Francophonie (1997), qui ne constituait en fait qu’une révision de la charte de l’ACCT, paraissait déjà peu cohérente à certains observateurs. Les difficultés se sont cristallisées en particulier autour des relations entre l’OIF et son secrétariat général, d’une part, et le principal opérateur de la Francophonie, l’Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF), l’ex ACCT, qui continue à détenir la plupart des instruments d’action (personnel, exécution du budget etc.), quand l’OIF restait à certains égards une coquille fort peu remplie.
Il n’est pas exclu que des considérations de personnes, ainsi que les tiraillements entre pays membres, aient accru les problèmes rencontrés. Les tensions furent manifestes avec le premier secrétaire général de l’OIF, Boutros Boutros Ghali, tandis qu’Abdou Diouf a plutôt tenté de procéder par consensus, ce qui lui a été reproché parfois. Mais c’était aussi un signe que les choses ne pouvaient rester en l’état.
Un cap est désormais franchi
Il y avait sans doute un débat de fond : la mise en œuvre d’une Francophonie des sommets, puis la création de l’OIF, ont accentué l’orientation politique de l’organisation francophone, suscitant d’assez fortes résistances parmi les Etats membres, avec la crainte d’ailleurs non dénuée d’arguments de voir ainsi sacrifiée la sacro-sainte dimension culturelle, et linguistique. Mais la dynamique même créée par l’installation de l’OIF, a fini par émousser les critiques. Dans la dernière période, comme le souligne un observateur français, alors que la question institutionnelle était longtemps restée tabou, les discussions autour de l’adoption du cadre décennal ont libéré la voie, et au fur et à mesure « le texte est devenu de plus en plus ambitieux ». Tout le monde a finalement convenu qu’il fallait donner à l’OIF les moyens de son ambition, et qu’il était souhaitable de rationaliser une « constellation » francophone jugée « beaucoup trop morcelée ».
La direction à suivre est désormais tracée : il s’agit de réorganiser l’ensemble francophone autour de l’OIF et de son secrétariat général, qui a vocation à devenir la principale instance de décision, vers laquelle seraient transférés des fonctions, des personnels, et à qui reviendrait la gestion des finances. Le tout s’organisant idéalement dans un lieu unique, la future Maison de la Francophonie, dont l’inauguration est envisagée à Paris, en 2007. L’AIF verrait quant à elle clarifié son rôle de strict opérateur exécutif. Certains scénarios envisagent même à terme la disparition du poste d’administrateur général de l’Agence. Si rien n’est acquis en la matière, car bon nombre d’Etats membres craignent une dilution de l’AIF, ou du moins de son action privilégiée de coopération, un cap est franchi, un calendrier existe. Ce qui doit se traduire par des actions concrètes : on attend, peut-être dès le mois de mars, les propositions du secrétaire général visant au renforcement des moyens de l’OIF, tandis que doit être mise en chantier la révision de la charte de la Francophonie en vue de la conférence ministérielle prévue fin 2005. Au-delà, on songe à l’adoption d’un nouveau traité fondateur de l’OIF qui donnerait enfin sa pleine personnalité juridique à l’organisation.
Beaucoup dépendra, considère-t-on cependant, de la capacité du secrétaire général à imposer des options qui restent encore mal appréciées dans leurs conséquences concrètes. On a eu quelque illustration de la perplexité actuelle avec le « feuilleton des directeurs » qui a tenu plusieurs mois en haleine la Francophonie officielle : constatant que les mandats de plusieurs directeurs de programmes venaient à échéance fin 2004, l’administrateur général de l’AIF, Roger Dehaybe, dont le mandat vient lui-même à échéance en 2005, avait annoncé leur remplacement. Plusieurs partenaires s’en sont émus, et en faisant apparaître qu’il n’était peut-être pas judicieux de susciter un tel bouleversement, alors qu’on entrait dans une année de transition délicate où l’agence doit formuler ses propositions pour entrer dans le nouveau rythme de programmation quadriennal, il a été suggéré de geler ces décisions.
Thierry Perret
Comment Jacques Chirac voit l’avenir de la Francophonie
« Nous avons doté la Francophonie de moyens accrus, de programmes originaux et d’institutions nouvelles. Ces réformes ont donné à notre communauté une ambition et une visibilité sans précédent. Bientôt l’ensemble de nos opérateurs s’installeront autour de notre Secrétaire général - incarnation de la vocation politique de notre organisation et garant de la cohérence de son action - dans un siège de prestige, la Maison de la Francophonie, avenue de Saxe, au centre de Paris, à proximité immédiate de l’Unesco.
Notre mouvement fait l’objet d’un intérêt croissant. Il comprend cinquante-six membres et observateurs. Sept autres pays s’apprêtent à nous rejoindre. Cet intérêt est le signe que notre Organisation répond à une attente. Nous sommes dans un monde où s’affirment des communautés linguistiques de plus en plus conscientes d’elles-mêmes. Démontrons par notre détermination politique, par notre dynamisme économique, par notre volonté de progresser sur tous les fronts du développement durable, notre vitalité, notre créativité et notre capacité à apporter au monde contemporain des réponses et des projets à la hauteur des défis qu’il lui faut relever. »
(Discours prononcé au Xe sommet de la Francophonie)
Politique, trop politique ?
On pourrait reprendre et adapter le slogan rendu célèbre dans les années 80 par un publicitaire français : « Ne dites pas à ma mère que je travaille dans une organisation internationale, elle croit que je milite pour une association de défense de la langue. » Ainsi pourrait être caricaturé le dilemme déjà ancien de la Francophonie : une institution dont on dit volontiers qu’elle fut créée pour défendre le français dans le monde (alors que le dessein était probablement dès l’origine bien plus vaste). Et qui tente aujourd’hui de se donner un profil d’organisation internationale aux prérogatives et ambitions dignes d’une petite ONU… avec des moyens à l’échelle, ce qui sert évidemment d’argument aux opposants à l’évolution actuelle.
Tout ceci, cette ambiguïté permanente, est peut-être en germe dans l’identité même conférée par une langue commune qui reste, par son histoire, son enracinement et sa structure même, singulière : le français, langue de culture, mais aussi langue du droit, de la démocratie et des droits de l’homme… Le français dont il faut bien voir encore qu’il est langue majoritairement africaine, sur un continent dont les aspirations des populations les portent précisément à cultiver, avant toute chose, la dimension du politique. Le politique, source aussi de toutes les mutations, et de nombreux drames, qu’on ne peut observer sans chercher à y apporter remède.
Le paradoxe, auquel il faudra bien sûr que la Francophonie trouve une réponse, c’est que l’affirmation de l’identité francophone en tant que réalité politique au sens large, concerne des pays qui pour nombre d’entre eux n’ont pas fait jusqu’ici le meilleur usage du gouvernement des hommes. D’où, d’un côté, l’importance prise par la promotion de la démocratie, des droits de l’homme, de la gouvernance, de la culture de paix… dans un ensemble francophone où l’on peut considérer que les progrès en la matière sont infinitésimaux. D’où aussi, c’est l’autre versant, la tentation encore forte du repli sur des territoires où l’action serait moins frustrante : la langue, la vie culturelle (plus que la culture), comme éléments de consensus où des résultats concrets, mais limités, peuvent être obtenus.
Il n’est pas sûr que la Francophonie pourra trancher entre deux dynamiques également nécessaires. Un équilibre est sans doute à trouver, une certaine prudence est de mise, notamment dans l’édification de l’ensemble politique de la Francophonie. Celle-ci risque, et ce n’est qu’un exemple, d’apparaître comme bien abstraite et s’éloignant à l’excès de ses racines, à multiplier les adhésions de pays membres n’ayant qu’un rapport fort lâche à la langue. Il ne manque pas d’observateurs pour déplorer, ces dernières années, maintes adhésions de circonstance, notamment en Europe… quand il est facile en regard de démontrer que l’effort pour le français tend à se dissiper là où la langue française est un réel enjeu, y compris d’ailleurs en dehors de la Francophonie officielle.
En Europe, des pays comme la Roumanie (francophone) ou le Portugal (non francophone) sont des réservoirs de francophonie où celle-ci connaît un déclin plus ou moins prononcé. Les exemples pourraient être multipliés, qui plaident pour une Francophonie davantage conçue, comme le suggère un diplomate, par « cercles concentriques », des pays les plus proches où existent une « langue française et une francophonie actives », aux moins volontaristes, entendons ceux qui ne font « aucun effort pour le français », et sont là pour ainsi dire en… touristes. Autant de considérations qui devraient militer en faveur d’une Francophonie toujours plus puissante, toujours plus pragmatique.
T. P.
Démocratie et droits de l’homme : des chantiers majeurs
La Délégation à la démocratie et aux droits de l’homme est devenue une des plus importantes directions de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie. Non seulement parce qu’elle gère des programmes de nature très variée en matière d’appui à la démocratie et aux droits de l’homme, qui l’ont notamment conduit à être l’initiateur principal de la fameuse Déclaration de Bamako, laquelle reste à ce jour comme le « code de conduite » de la Francophonie pour tout ce qui concerne l’approfondissement de la démocratie et de l’Etat de droit. Mais la Délégation fournit aussi un soutien direct au secrétaire général de l’OIF pour toutes les initiatives politiques (médiations, concertations, envoi de représentants spéciaux de la Francophonie et suivi des grands dossiers). Plus que d’autres, elle illustre d’ailleurs, avec cette double dimension, la dichotomie parfois peu lisible qui s’est établie entre l’OIF et son opérateur principal, l’Agence intergouvernementale de la Francophonie, et que la future réforme institutionnelle doit solutionner.
Comme les autres grandes directions de l’AIF, la Délégation aux droits de l’homme et à la démocratie (DDHD pour les initiés), dirigée par la française Christine Desouches, vise en 2005 à harmoniser les actions déjà programmées avec la nouvelle programmation quadriennale. Les principales options sont toutefois connues : il s’agit en particulier de parachever la mise en place du complexe processus d’Observation permanente de la démocratie et des droits de l’homme qui doit permettre à la Francophonie d’être à la fois une base de ressources sur l’état de la démocratie en Francophonie, et de produire des outils d’évaluation de celle-ci, le tout devant permettre d’approfondir les modes d’intervention de la Délégation.
Celle-ci est déjà active en matière d’accompagnement des élections, pour tout ce qui a trait à la médiation et la résolution des conflits, tandis qu’elle fournit un appui direct aux institutions de la démocratie, telles les cours constitutionnelles, et à des projets diversifiés touchant à l’éducation et à la diffusion de la culture de la démocratie. 2005 pourrait voir des initiatives spécifiques en direction des partis politiques, ainsi qu’un examen des questions d’état civil et d’élaboration des listes électorales, en préalable aux élections dans les pays francophones.
Un axe important d’intervention réside dans le partenariat avec les autres organisations internationales : telle l’ONU, pour la réflexion sur la prévention des conflits et l’alerte précoce ; ou l’Union africaine et le Nepad dont il s’agit de soutenir les grandes actions en termes d’amélioration de la gouvernance.
Le lancement récent d’un site internet dédié aux actions de la DDHD est considéré par ses responsables comme une étape importante, spécialement en vue de la mise en place de l’observatoire, déjà évoqué. Fortement étoffée, après être passée d’une dizaine à une trentaine de collaborateurs, l’équipe de la Délégation apparaît comme une des plus volumineuses directions opérationnelles de la Francophonie, parfois qualifiée de « bras armé », tout au moins d’« instrument privilégié » du secrétariat général de l’OIF… où l’on se soucie aujourd’hui de formuler des propositions pour adapter les mécanismes, financiers ou administratifs, de la Francophonie aux nécessités d’intervention qui relèvent bien souvent de l’urgence.
Site de la DDHD : www.democratie.francophonie.org
T. P.
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