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21/01/2005
L’Afrique du Sud démocratique ou la réinvention d’une nation

(MFI) Ceux qui s’intéressent au changement historique et ceux qui considèrent que l’Afrique est réfractaire à ce changement devraient faire un détour prolongé par l’Afrique du Sud. Loin de tomber dans le grand silence de l’Histoire depuis sa normalisation, l’Afrique du Sud se révèle être un laboratoire du changement.

La nouvelle Afrique du Sud mérite autant sinon plus d’attention que l’ancienne car s’y déroule en temps réel un phénomène rare dans l’histoire : la réinvention pacifique d’une nation. Ce pays raciste et replié sur lui-même s’est transformé en une démocratie multiraciale, animée par un projet de refondation nationale et une soif de changement exceptionnelle. Depuis les premières élections démocratiques, l’Afrique du Sud a connu dix ans de réformes institutionnelles, de mutations économiques, de bouleversements sociaux sous l’égide de l’ANC. Le maître-mot de la nouvelle Afrique du Sud est donc « transformation », une transformation qui vise à supprimer les inégalités héritées de l’apartheid, qui réussit dans certains domaines et échoue dans d’autres, et qui révèle avant tout la vitalité d’une société en mouvement.

Dix ans de changements

Le changement a commencé par être politique et fut qualifié en son temps de « miracle ». Négocié, le transfert de pouvoir de la minorité blanche à la majorité africaine débutait, plus qu’il ne prenait fin, en 1994. La présidence de Nelson Mandela a été toute entière consacrée à l’achèvement de cette tâche : conception d’une nouvelle constitution, suppression des lois racistes et adoption de législations progressistes consacrant l’égalité entre les hommes et les femmes, condamnant toute forme de discrimination et instaurant les mêmes droits sociaux qu’en Europe occidentale. Mais la plus grande réussite de la présidence Mandela a sans aucun doute été la pacification des mœurs politiques, dans un pays en état d’insurrection depuis 1985 et où l’extrême-droite afrikaner et l’Inkatha des Zoulous de Mangosuthu Buthelezi avaient pris les armes. Apparue comme un pari incertain en 1994, la démocratie sud-africaine est un succès incontestable : la violence politique est un souvenir, le séparatisme de l’extrême-droite afrikaner et de l’Inkatha s’est mué en participation institutionnelle, et le scrutin présidentiel d’avril 2004 a démontré une fois de plus que les partis qui avaient tenté de saboter les élections dix ans auparavant ont maintenant accepté la règle du jeu démocratique.
La pacification et la démocratisation ont produit une recomposition du monde politique sud-africain dont l’un des événements majeurs est la disparition des deux dinosaures de « l’ordre ancien » : le « Nouveau » Parti National et l’Inkatha. Incarnant chacun à leur manière l’apartheid, ces deux partis ont réalisé des scores si faibles qu’ils laissent maintenant le champ libre à un système politique de facto bi-partisan. L’Alliance Démocratique (AD) de Tony Leon est le parti d’opposition face à l’ANC dont l’assise est loin de s’éroder (elle a obtenu 68 % des suffrages en avril 2004). La consolidation de la démocratie correspond donc à une certaine modernité politique, très proche du « modèle de Westminter » où deux partis s’affrontent dans l’arène politique.
L’autre changement est celui de l’ordre socio-économique. Pour le « parti de la libération », l’apartheid politique a toujours été lié à l’exploitation économique et sociale. De ce fait, depuis son accession au pouvoir, le rattrapage socio-économique des « communautés historiquement désavantagées » est la priorité de l’ANC. Conçu à la fois comme une politique de réduction de la pauvreté et de création d’une classe moyenne africaine, ce rattrapage repose sur une politique de services publics et de revenus fondée sur « l’affirmative action » et le très controversé « Black Economic Empowerment » (BEE). La discrimination positive est d’abord une politique d’accès au monde du travail tandis que le BEE vise à ouvrir le monde de l’entreprise aux catégories de la population qui en étaient exclues. Par ces politiques, l’ANC cherche à réduire la pauvreté et à élargir, en la déracialisant, une classe moyenne africaine perçue comme la clé de la stabilité du régime. Le gouvernement souhaite renverser la pyramide sociale pour atteindre une situation « à l’occidentale » où la classe moyenne est quantitativement dominante et où la pauvreté est confinée à une fraction minoritaire de la population. Dans un contexte de chômage de masse (31,2 % en 2003) et de croissance faible, cela constitue un véritable défi et le miracle économique qui devait être le pendant du miracle politique se fait toujours attendre.


Une mutation inégale : le changement et ses problèmes

S’il s’est révélé possible de passer en dix ans de la dictature raciale à la démocratie multiraciale, il se révèle plus difficile de passer d’une société à une autre. Depuis 1994, le rattrapage mis en œuvre par l’Etat se traduit par une mutation socio-économique inégale.
Dans la nouvelle Afrique du Sud, la communauté africaine est celle dont le paysage social a été le plus transformé. Une visite dans quelques townships suffit pour apercevoir le fractionnement social de cette communauté. Les populations rurales des anciens bantoustans figurent parmi les perdants par rapport aux populations urbaines des townships : les premiers ont subi un appauvrissement consécutif à la délocalisation des activités industrielles et à l’effondrement des quelques infrastructures publiques des homelands tandis que les seconds ont été les premiers à bénéficier des grands programmes d’extension des logements sociaux et des infrastructures d’eau et d’électricité. De même, les jeunes diplômés en zone urbaine sont intégrés au marché du travail et bénéficient de possibilités d’ascension professionnelle interdites à leurs parents souvent illettrés, pris dans un véritable piège à pauvreté et qui ne vivent que de l’aide sociale. Le paradoxe social de la majorité africaine est qu’elle est simultanément plus riche et plus pauvre car la nouvelle classe moyenne se forme sur un mode inégalitaire. Cette mobilité sociale sélective alimente l’idée qu’une société de classes est en train de remplacer une société de races. Cette nouvelle polarisation sociale est une bonne et une mauvaise nouvelle : bonne parce qu’elle indique une certaine déracialisation de la richesse ; mauvaise parce qu’elle est porteuse de nouvelles inégalités générant leur lot de tensions sociales entre différentes catégories de la population.

Thierry Vircoulon


Thierry Vircoulon est l’auteur de L’Afrique du Sud démocratique ou la réinvention d’une nation, Éditions L’Harmattan, 5-7 rue de l’École Polytechnique, 75005 Paris, 25 euros.



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