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29/04/2005
Je vous écris, Monsieur Chirac…

(MFI) Dans son dernier livre, Aminata Traoré (1) s’adresse au Président des Français pour dénoncer une politique française en Afrique qu’elle rend responsable des crises vécues par le continent, sous l’égide de l’« ordre cynique » de la mondialisation.

Il n’est pas sûr que Jacques Chirac ait le goût de lire cette « Lettre au Président des Français à propos de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique en général ». Il y trouverait une analyse et des commentaires acerbes sur la politique de la France en Afrique. Connue pour sa passion et la vigueur de ses prises de position, l’ancienne ministre de la Culture et du Tourisme du Mali, devenue une figure de l’altermondialisme, n’use pas de détours dans un propos qui est une dénonciation en règle, menée au pas de charge, de la responsabilité française dans les crises en Afrique.

Le « non » de l’Afrique

Actualité oblige, l’auteur s’empare du débat né en France autour du référendum sur la constitution européenne pour dire « Non »… Si l’Afrique était consultée sur « la nature et les desseins de l’Europe », elle devrait se prononcer au référendum pour le « non », une manière d’affirmer son autonomie et son refus des ingérences, pour enfin « vivre debout ». Là est le plaidoyer principal du livre, qui appelle à une « libération économique, politique et culturelle » de l’Afrique, prise en otage par la « mondialisation libérale », et par la politique ambiguë des grandes puissances, la France en premier lieu.

L’auteur salue à plusieurs reprises les prises de position de Jacques Chirac en faveur des pays pauvres et de l’Afrique, et ses dénonciations d’une mondialisation inique, que ce soit au Sommet de la Terre de Johannesburg, ou au récent sommet de Davos. Mais cette reconnaissance vise surtout pour Aminata Traoré à mettre la France face à ses contradictions, notamment en matière de coopération : « si l’aide ne parvient pas à juguler la pauvreté, c’est précisément parce qu’elle sert des réformes économiques destructrices du tissu social et des écosystèmes. » Elle dénonce ainsi avec vigueur l’ordre de « l’économie libérale, prétendument ouverte, et le système politique dit démocratique qui l’accompagne », servis par des élites africaines « formatées », complices de stratégies qui, après la guerre froide et le sommet de la Baule, « ont fait monter nos pays à bord d’engins électoraux détraqués. »

Mais les Africains peuvent-ils dire « non » ? Le livre tendrait à prouver le contraire, qui tout en allant à contre-courant des tendances actuelles, reformule sans ambiguïté le vieux reproche des intellectuels africains sur la dépendance du continent et la responsabilité des puissances extérieures dans ses crises : « N’en déplaise aux négationnistes de la mémoire noire, la situation actuelle de l’Afrique… est inintelligible en dehors de la violence politique, militaire et symbolique » exercée contre elle par les nations occidentales dans l’histoire. Toutefois l’accusation est ici revue à la lumière du phénomène de la mondialisation : « Je me refuse, Monsieur le Président, à dissocier la crise ivoirienne de celle du Togo, et toutes les deux de la marche forcée de l’humanité vers un monde régi par le profit ».

Aminata Traoré s’efforce de mettre au jour les racines de la crise ivoirienne. Elle rappelle, après bien d’autres, l’extraversion d’un pays devenu l’un des modèles de l’économie africaine de « plantation ». La colonisation a initié le système, Félix Houphouët-Boigny l’a reproduit et renforcé, en nouant un pacte d’alliance avec l’ancien colonisateur. C’est ce système qui a entraîné des migrations massives de populations, comme le signalait autrefois l’économiste tiers-mondiste Samir Amin, système dont la régression dès la décennie 1980 serait à la base des violents antagonismes sociaux surgis ces dernières années. L’ivoirité, fruit ultime de la mondialisation capitalistique ? C’est en effet la perception d’Aminata Traoré, qui laisse alors entendre que les Jeunes Patriotes ivoiriens, lorsqu’ils s’en prennent à la communauté française en novembre 2004, ne font au juste que symboliser la nouvelle révolte des peuples africains !

Pour expliquer comment on en est venu à un tel paroxysme de la crise ivoirienne, l’auteur semble ici suivre la thèse d’une « punition » de la France à l’encontre d’un leader, Laurent Gbagbo, qui n’entendait pas perpétuer les vieilles allégeances économiques. L’intervention militaire des Français et la conclusion des accords de Marcoussis sont vues à travers cette grille de lecture plutôt simplificatrice : « En admettant que l’ancienne puissance coloniale n’ait pas armé la rébellion, force est de constater à partir de ces accords qu’elle a légitimé une rébellion née d’un coup d’Etat manqué ». Tout ceci se fonde sur un postulat, que l’on sait aujourd’hui contesté (notamment par les intéressés) : les Français ont besoin de la Côte d’Ivoire, où leurs intérêts restent immenses.

L’essayiste retrouve des accents plus convaincants lorsqu’elle évoque les angoisses de la jeunesse, « sans repères ni perspectives d’avenir », obsédée par le départ vers l’Occident, et que l’on entend fêter bruyamment à Bamako l’obtention par un des siens du visa tant espéré. On rappellera alors que le prochain sommet Afrique-France se tient à Bamako en décembre prochain, et que le thème retenu pour cette édition est celui de… la jeunesse. En préconisant une « rupture » avec la « conception de la politique africaine (de la France) fondée sur le profit et le mépris », Aminata Traoré n’espère sans doute pas être écoutée des puissants de ce monde. Son livre est un livre de combat, dût-elle passer pour affirmer ses convictions par des raccourcis hasardeux, dont certains risquent de scandaliser. Mais là est probablement l’effet recherché.

(1) Lettre au Président des Français…, éditions Fayard, 2005.
Les autres livres d’Aminata Traoré : L’étau, ed. Actes Sud, 1999 ; Le viol de l’imaginaire, ed Fayard/Actes Sud, 2002.

Thierry Perret




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