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27/05/2005
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Guinée-Bissau : un scrutin à risques
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(MFI) Deux anciens présidents chassés du pouvoir par les armes doivent s’affronter lors de la présidentielle du 19 juin 2005 : Kumba Yala, un civil issu des urnes, et Nino Vieira, ancien chef de l’Etat issu du PAIGC. Un scrutin à haut risque dans un pays dont l’histoire souvent tragique est jalonnée de conflits aux dimensions multiformes.
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Située en zone tropicale, la Guinée Bissau est bordée au sud et à l’est par la Guinée et au nord par le Sénégal. A l’ouest, sa façade atlantique est large et très découpée et sa superficie, une des plus petites du continent (36 120 km2), varie selon la marée. Sa partie continentale est presque sans relief, parsemée de marécages. Elle est sillonnée par des rivières (Cacheu, Corubal) dont les estuaires forment des rias profondes en partie navigables. Proche de la côte, l’archipel des Bijagos comprend une vingtaine d’îles. Sa population, de 1 493 000 habitants (estimations ONU à la mi-2003), s’accroît au rythme de 3 % par an. Elle vit pour un tiers dans les villes, concentrées à l’ouest, essentiellement à Bissau (365 876 habitants), la capitale, principale place commerciale et industrielle. Au nord vivent les Balantes (32 %), apparentés aux Diolas de Casamance, ainsi que les Mandjaks (14,5 %), et à l’est, en région de savane, les Peuls (22 %) et les Malinkés (13 %).
Une histoire dominée par le mouvement nationaliste
Les Portugais abordent ses côtes en 1446. Le royaume du Gabou, lié à l’empire du Mali, contrôle le littoral jusqu’au début du 17e siècle. La traite des esclaves vers l’Amérique du Sud est assurée par les colons puis par les grumetes, des trafiquants espagnols. Considérée comme une extension continentale de l’archipel du Cap-Vert, la Guinée portugaise devient une colonie en 1879. Ses frontières sont fixées par une convention franco-britannique en 1886. La pénétration, lente et difficile, s’achève en 1936. Des centaines de campagnes militaires sont nécessaires pour écraser les révoltes.
Un mouvement nationaliste, indissociable de ceux de l’Angola et du Mozambique, voit le jour en 1956. Dirigé par Amilcar Cabral, un métis capverdien, le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) entame en 1963 une guérilla anticoloniale. L’indépendance de la République de Guinée-Bissau est reconnue par le Portugal le 10 septembre 1974, après la Révolution des Œillets qui met fin à la dictature salazariste. Entre temps, Cabral est assassiné à Conakry en 1973. Son frère Luis est nommé président. Il est renversé en novembre 1980 par Joao Bernardo Vieira, dit Nino, un grand chef maquisard. Les Capverdiens et les Métis sont exclus du Parti. Vieira prend ses distances avec l’influence cubaine et soviétique. Dix ans plus tard, en 1994, il est élu de justesse lors du premier scrutin pluraliste.
Quand, le 5 juin 1998, Nino limoge son chef d’état-major, Ansumane Mané, pour « négligence » dans une affaire de trafic d’armes avec les irrédentistes casamançais, le pays bascule. Mané déclenche une guerre civile qui prend un tour régional avec l’envoi de troupes sénégalaises et guinéennes pour soutenir Vieira. Les médiations successives (OUA, CEDEAO, ONU, UA) ne parviennent pas à stopper la valse politico-militaire. Kumba Yala est élu démocratiquement en janvier 2000. Mané, héros des maquisards, tente de le renverser en novembre avant d’être abattu par les forces loyalistes. Mais le régime de Yala, décrié, est renversé en septembre 2003 par le général Verissimo Seabra Correia - assassiné fin 2004. Dans ce contexte, la présidentielle s’annonce à hauts risques. Le Bureau d’appui des Nations unies (BANUGBIS) s’inquiète de la candidature de Kumba Yala, interdit de toute activité politique pour cinq ans par la Charte de transition. De leur côté, les autorités de transition sont préoccupées par la candidature de Nino Vieira (indépendant) - arrivé triomphalement à Bissau le 8 avril à bord d’un hélicoptère militaire affrété par la Guinée-Conakry, après six ans d’exil au Portugal.
Economie : dans l’attente de la stabilité
La Guinée-Bissau est entrée dans la zone franc en 1997, peu avant les conflits qui ont achevé de mettre à genou l’économie du pays – essentiellement rurale. Les cultures, notamment les rizières, sont en friche, tandis que les bateaux de pêche étrangers pillent les riches fonds marins. La production de sa seule richesse, la noix de cajou (90 % des recettes d’exportation nationales, 12 % de la production mondiale) a augmenté (91 350 tonnes en 2001), mais son exportation souffre de la fluctuation des cours dictée par les importateurs asiatiques et de la baisse du dollar, autant que de la contrebande.
La dette extérieure atteint 699 millions de dollars en 2003 et le pays est classé parmi les plus pauvres du monde, avec une espérance de vie de 45 ans. Près de 90 % de sa population vit avec moins de 1 dollar par jour (256 dollars en 1996). Les salaires des fonctionnaires et d’une partie de l’armée accusaient en février 2004 jusqu’à huit mois d’arriérés.
Les partenaires financiers comme les institutions financières internationales attendaient un retour à la stabilité pour poursuivre les programmes de relance. En février, une dizaine de pays, principalement européens, ont débloqué une aide (notamment le Portugal, 1 million d’euros) dans le cadre de la gestion économique d’urgence des Nations unies. Les bailleurs se sont aussi engagés à combler son déficit budgétaire (26 millions d’euros, hors charge de la dette extérieure). Le FMI a récemment constaté des progrès en cours et devrait établir un programme de référence avant la conférence des donateurs de l’automne 2005. Enfin, le Président Lula a accordé un don de 500 000 dollars au Fonds spécial de la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP), destinés à la restructuration des forces armées.
Antoinette Delafin
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