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08/07/2005
Des négrologues et des négrophobes…

(MFI) Le livre à succès, paru en 2004, du journaliste français Stephen Smith (Négrologie), a scandalisé certains intellectuels, en Afrique et en France. Trois d’entre eux, parmi lesquels l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop, lui ont répondu, dans un ouvrage titré sans équivoque : Négrophobie (1).

Stephen Smith jugera sans doute que c’est trop d’honneur : trois personnes pour le réfuter, et tout un livre pour répondre à son propre ouvrage, paru en 2004 avec un grand succès commercial. Mais l’entreprise des trois auteurs de Négrophobie, en écho au Négrologie du célèbre journaliste, est intéressante car elle offre – sur le ton de la colère – matière à débattre, et le sujet le mérite.
Il y a, pour autant qu’on puisse en juger, du bon et du moins bon dans ce plaidoyer anti-Smith. Il est reproché bien sûr à l’auteur sa thèse d’ensemble : l’Afrique se meurt, et les Africains en sont parmi les premiers responsables. Sont pointés aussi un discours jugé péremptoire et volontiers méprisant, une démarche peu scientifique, un goût de l’anecdote simplificatrice et de grandes libertés prises avec les faits et les chiffres dans sa volonté démonstrative. Tout ceci peut être, en effet, discuté.
Mais les auteurs de Négrophobie peuvent aussi être accusés de pécher…, lorsqu’ils convoquent Machiavel et s’efforcent de discerner une stratégie, une manipulation, derrière des idées qu’ils envisagent comme faisant partie d’une vaste entreprise de déculpabilisation de l’Occident, et singulièrement de la France, sous-tendue par de clairs calculs d’intérêts. On sait comme cette version du « complot » peut devenir obsessionnelle et, finalement, assez vaine. Ils se privent eux-mêmes d’arguments lorsqu’ils discernent du racisme, uniquement du racisme, sous chaque assertion, dès lors qu’elle est négative, ou formulée avec ironie ou légèreté. Et ils donnent peu de clés pour appréhender les maux – qu’ils reconnaissent – de l’Afrique, en dehors de la responsabilité historique des pays développés, essentiellement requis par un pillage méthodique du continent. La thèse de la manipulation extérieure, contre la thèse de l’irresponsabilité africaine, voilà qui met beaucoup de postures idéologiques en présence.


L’Afrique et le politiquement correct

L’éditeur de Négrophobie fait dès le début une observation : si les termes et la méthode employés par Stephen Smith s’étaient appliqués, non pas aux Noirs, mais aux Arabes, il y aurait eu en France un tollé, tout au moins de vives réactions, et c’est sans doute exact. Voilà qui amène à s’interroger sur ce qui est conçu comme tolérable ou « correct » par une société française qui a réservé le meilleur accueil à un livre cité abondamment et positivement dans les médias, récompensé d’un prix, et acheté à des dizaines de milliers d’exemplaires.
Ce succès même est un signe que le livre répondrait à un besoin obscur, que son discours était attendu : les Français auraient été saisis par le délice du « révisionnisme », concluent, peut-être un peu vite, les auteurs. Ils sont toutefois moins à l’aise pour expliquer les réactions – souvent plus partagées qu’ils ne le disent –, constatées parmi les lecteurs africains. « De toute façon, indique Boubacar Boris Diop, l’Africain qui se donne la peine de lire Négrologie a parfois la curieuse sensation de se mêler de ce qui ne le regarde pas… », comme si l’ouvrage s’adressait avant tout aux Occidentaux. Et l’écrivain sénégalais de poursuivre : « l’auditoire est d’autant plus facile à séduire qu’il est mal informé. Le monsieur à la tribune est un spécialiste de cet endroit situé plus ou moins hors de notre planète et qu’on appelle l’Afrique. L’homme a certes l’amitié un peu rude, il crache souvent son venin mais il faut ce qu’il faut. Il ne sera pas dit que, lui, Smith, a regardé le continent africain mourir sans rien tenter pour le sauver… » Négrologie, conclue-t-il, « est en ce sens un récit spéculaire : au miroir des souffrances du continent africain, l’Européen prend la mesure de ses capacités prométhéennes et d’une réussite économique méritée. »
Odile Tobner, de son côté, s’insurge notamment contre une des formules à charge employées par Stephen Smith : « si l’on remplaçait la population… du Nigeria pétrolier par celle du japon pauvre, ou celle de la République démocratique du Congo par celle de la France, il n’y aurait guère de souci à se faire pour l’avenir ni du géant de l’Afrique noire ni de l’ex-Zaïre. » Oui, et « si ma tante avait des roues, elle serait un autobus », persifle-t-elle, avant de constater que l’argument, il est vrai assez court, de l’« incapacité », ou de « la paresse » africaine sert surtout à masquer des problèmes fort compliqués et quelques autres responsabilités…


Altermondialisme et afro-optimisme

Ces exemples sont loin d’épuiser la matière d’un livre qui se clôt par une longue analyse des rapports entre Stephen Smith, accusé de propagandisme, et le Rwanda, par François-Xavier Vershaeve, le président de l’ONG Survie, qui retrouve ici un thème de prédilection. Une des réserves suscitées par Négrophobie est justement qu’on reconnaît certains des positionnements classiques des auteurs, identifiés dans la mouvance autrefois tiers-mondiste, désormais vouée à l’altermondialisme et ses scénarios systématiques.
Une autre lecture, moins entachée de postulats, de Négrologie aurait pu faire apparaître combien son auteur est resté prisonnier de schémas – et même d’un style d’écriture – assez convenus, et qu’il trahit une vision univoque de l’Afrique : celle d’un envoyé spécial de la presse française sur ces grands terrains de manœuvre (guerres, combats politiques, endémies galopantes…) où il est peu aisé de discerner ce qui constitue la matière vivante – et forcément complexe – d’un continent aujourd’hui malmené. Lorsque notre confrère décrète que l’afro-optimisme – qui n’est qu’un slogan – « est un crime contre l’information », il ne prouve rien mais permet de rappeler quel est le statut de l’information aujourd’hui : une stratégie encore largement occidentale de production et de consommation des nouvelles qui a les plus grandes difficultés, malgré ses prétentions, à se penser comme « relative ». Un Africain aurait pu lui répliquer, assez banalement : nous existons malgré tout ; avons-nous d’autre choix que l’afro-optimisme ?

(1) Négrophobie, par Odile Tobner, Boubacar Boris Diop, François-Xavier Verschave, Editions Les Arènes, 3 rue Rollin, 75 005 Paris, arenes@arenes.fr, 19,80 euros.

Thierry Perret


François-Xavier Verschave : le livre se referme

(MFI) François-Xavier Verschave est décédé le 29 juin 2005, à l’âge de 59 ans, des suites d’un cancer. Economiste de formation, il travaillait pour une commune près de Lyon (France), comme responsable des questions d’économie, d’emploi et d’innovation sociale. François-Xavier Verschave était surtout connu comme auteur et comme fondateur de l’association Survie qu’il a présidée ces dix dernières années. Cette association poursuit trois objectifs principaux : que « l’argent de l’aide publique au développement serve réellement à lutter contre la misère et la faim »; que soit mis « un terme aux dérives souterraines et déshonorantes de la politique franco-africaine » ; que soient prévenus « les dangers d’une banalisation du génocide ». François-Xavier Verschave a défini lui-même ce combat comme « celui d’abord de ne pas nuire à autrui, et en particulier aux peuples africains ». Il était également le directeur de publication des lettres mensuelles éditées par Survie, Billets d’Afrique et d’ailleurs, et Afrique info.
François-Xavier Verschave est l’auteur de nombreux pamphlets, dossiers et ouvrages dans lequel il épinglait minutieusement, à partir d’une masse énorme de documentation, petits et grands travers de la politique française en Afrique. Parmi ces livres : Complicité de génocide ? La politique de la France au Rwanda (La Découverte, 1994), La Françafrique, le plus long scandale de la République (Stock, 1998), Noir silence (Les Arènes, 2000), qui a été tiré à 45 000 exemplaires, Noir procès (Les Arènes, 2001) qui revient sur le procès que les présidents Idriss Déby, Omar Bongo et Denis Sassou-Nguesso lui ont intenté à la suite de la parution de Noir silence, et Noir Chirac (Les Arènes, 2002).




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