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16/09/2005
Côte d’Ivoire : de l’exclusion au chaos

(MFI) A la veille de la présidentielle prévue pour le 30 octobre 2005, quatre livres éclairent sous des angles contradictoires la crise qui, le 19 septembre 2002, aboutit à la partition de la Côte d’Ivoire.

Avec Géopolitique de la Côte d’Ivoire, Christian Bouquet, professeur de géographie politique à Bordeaux 3, propose « une relecture commentée et critique » très documentée des événements qui, ces dix dernières années, ont fait plonger dans le chaos un pays a priori à l’abri des turbulences. Il décrit de manière clinique les étapes du « repli identitaire », parallèle à la succession du président Félix Houphouët-Boigny. Dans le contexte néolibéral imposé par les bailleurs de fonds, la rente issue du cacao ne pouvait plus cimenter le melting pot voulu par le vieux chef et, dans ce contexte, ses successeurs ont mis en application le concept « réducteur et xénophobe » de l’ivoirité. Georges Toualy, professeur d’économie et de gestion en France, plaide dans Réflexion sur la crise ivoirienne pour la poursuite de la politique de Refondation du Front populaire ivoirien (FPI) et du président Laurent Gbagbo. Le « caractère excluant de l’ivoirité » n’apparaissait nulle part dans sa définition originelle, estime-t-il, affirmant qu’il a été « exploité de manière malsaine » par le président Henri Konan Bédié avant de devenir, après le coup d’Etat du général Robert Gueï, « le fonds de commerce » des partisans d’Alassane Dramane Ouattara, ancien Premier ministre et leader du Rassemblement des républicains (RDR), ainsi que de certains intellectuels français.
Me Lanciné Gon Coulibaly, relate dans Côte d’Ivoire, au cœur du bois sacré sa propre « descente aux enfers » lors de l’affaire qui l’opposa entre 1975 et 1993 à la « machine à écraser » du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA), parti unique jusqu’en 1990. L’ancien député-maire de Korhogo affirme, au contraire de son compatriote, que ce « concept portait en germe dès le départ tout ce qui allait déliter notre cohésion et notre unité nationale. Il fallait être totalement aveugle pour ne pas voir venir à travers l’idéologie véhiculée par ce terme le mépris, la méfiance, la haine et finalement la déchirure du tissu national ». Enfin, Guillaume Soro, secrétaire général des Forces nouvelles, explique dans Pourquoi je suis devenu rebelle les raisons qui l’ont poussé à prendre les armes, parmi lesquelles l’ivoirité, « version tropicale de la préférence nationale » et « véritable arme de destruction massive ». « Il s’agissait de faire des immigrés autant de boucs émissaires, de disqualifier une large partie des habitants de Côte d’Ivoire du jeu politique. Et comme les Maliens et les Burkinabè ne suffisaient pas à assouvir leur soif de haine, c’est jusqu’à leurs concitoyens du Nord que s’est étendue leur vindicte ».


Créer un creuset national ?

En Côte d’Ivoire, « les facteurs de crise sont multiples et s’entrecroisent dans le temps et dans l’espace », explique Christian Bouquet. Selon le recensement de 1998, le pays, à 57% rural, compte 16 millions d’habitants implantés surtout dans la moitié sud, dont 3 millions à Abidjan. Il est peuplé de 60 ethnies, plus les étrangers, évalués à 26% du total. Une mosaïque fragile faite de quatre grandes familles linguistiques qui débordent au-delà des frontières coloniales : les Baoulé au Sud-Est et à l’Est, dont sont issus Houphouët et Bédié ; les Malinké (Sénoufo et Dioula) au Nord, d’où vient Ouattara ; les Krou (Bété) au Sud-Ouest, dont est issu Gbagbo ; et les Mande (Yacouba), à l’extrême Ouest, d’où venait Gueï. « En reprenant la logique communautariste, (…) les étrangers pris en compte dans leur ensemble constituent des majorités relatives ou des minorités fortes dans un certain nombre de régions, [situées] entièrement dans les provinces rurales de la moitié sud du pays. » Mais l’ancienneté de la migration fait que « près de la moitié (47,3 %) sont nés sur le territoire ivoirien », relevant de la deuxième et de la troisième génération. Selon les critères européens, le pourcentage d’immigrés serait ramené à 13,7 %. D’où la question : « Y a-t-il eu une véritable volonté de créer un creuset national ? » Houphouët-Boigny avait accordé « les mêmes droits aux étrangers de la sous-région (…) qu’aux Ivoiriens » pour l’accès à la terre et aux élections, rappelle Christian Bouquet. Le vote étranger constituait un « formidable réservoir de voix pour le PDCI ». L’opposition incarnée par Laurent Gbagbo obtint de l’Assemblée le retrait du droit de vote aux non Ivoiriens en 1994 et la restriction des conditions d’éligibilité à la présidence (art. 49 du code électoral : être né de père et de mère ivoiriens de naissance, n’avoir jamais renoncé à la nationalité, résider de façon continue sur le territoire dans les cinq ans précédant le scrutin).

La question de la citoyenneté

Dès lors, la question de la nationalité d’Alassane Ouattara « allait définitivement empoisonner la vie politique ivoirienne ». Directement visé, ce dernier quitta la même année le PDCI pour créer le RDR. En 1998, une loi foncière abolit le principe selon lequel la terre appartient à celui qui la travaille, répondant à la revendication d’autochtonie, le « pendant rural de l’ivoirité ». La Constitution adoptée en 2000 par référendum dans la confusion confirma les conditions précédentes d’éligibilité. Les principes d’exclusion ainsi posés, la question de la citoyenneté allait ressurgir, les élections devant être réservées aux « Ivoiriens de souche ». Dénonçant « la vaste fraude à la carte nationale d’identité », les autorités engagèrent une vérification des papiers délivrés depuis 1990. La chasse aux Dioulas et aux étrangers, auxquels les premiers sont progressivement assimilés, prit de l’ampleur. A la veille des élections départementales en juillet 2002, « le grand chantier de l’identification des Ivoiriens, et donc des électeurs, avait pris beaucoup de retard (…) et les critères de délivrance semblaient reposer davantage sur le patronyme et sur le faciès que sur le filiation ». Au point que le RDR, à la veille du scrutin estimait « que 1,2 millions d’électeurs (sur 5,5 millions) seraient privés de vote » tandis que le ministre de l’Intérieur en admettait 700 000. Deux mois plus tard, la rébellion éclatait.

Antoinette Delafin


Géopolitique de la Côte d’Ivoire, Christian Bouquet. Armand Colin, 315 pages.
Côte d’Ivoire. Au cœur du bois sacré, Lanciné Gon Coulibaly. Préface de Alpha Oumar Konaré ? L’Harmattan, 312 pages.
Réflexion sur la crise ivoirienne. Vivre en paix dans un Etat-nation souverain, Georges Toualy. Préface de Sery Bailly. L’Harmattan, 184 pages.
Pourquoi je suis devenu rebelle, Guillaume Soro. Hachette, 174 pages.




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