Le réseau des cinq bases militaires françaises actuelles – Djibouti (2 800 hommes), Dakar (1 100), N’Djamena (1 000), Libreville (800), et Abidjan 1 000), soit actuellement une dizaine de milliers d’hommes, si on y inclut l’opération Licorne en Côte d’Ivoire, reste unique en son genre. Il a peu bougé depuis la vague des indépendances des années 60 ; il avait fait de la France, durant des décennies, le « gendarme » du continent, surtout dans un contexte de « guerre froide » – rôle que lui laissaient volontiers les Américains.
Les temps ont changé : la France regarde désormais vers l'Europe de l'Est autant que vers son ancien empire du Sud. Elle n'a plus les moyens ni la volonté d'entretenir un dispositif qui est parfois vivement critiqué – on l’a vu en Côte d'Ivoire, ces dernières années –, qui n’a plus l’utilité géopolitique des débuts de la Ve République – l’époque Foccart –, et qui, par ailleurs, coûte cher ...
Le président Chirac avait déjà prévenu il y a quelques mois, lors d'une visite dans l’une de ces bases à Dakar, que la France ne s'accrocherait pas, surtout si on lui demandait de partir. Il consulte en ce moment les chefs d'État africains concernés et pourrait annoncer lors du sommet Afrique-France de Bamako, en décembre, un redéploiement des moyens français autour de trois bases : Dakar, Libreville, Djibouti.
La vocation de ces installations changerait notablement : elles seraient commandées à un niveau supérieur, celui d’un général ; elles s’occuperaient en priorité de tout ce qui est multilatéral, en liaison avec les organisations régionales, et surtout l’Union africaine. Au lieu d'être des « boucliers » au service d'un seul pays, voire des abcès de fixation politiques, ces bases deviendraient des centres de soutien en entraînement et matériel aux « Brigades de paix » que l’Union africaine cherche à mettre en place, dans chaque grande région du continent.
En fait, ce serait une extension du système Recamp (Renforcement des capacités africaines de maintien de la Paix) expérimenté depuis huit ans : des cycles d’entraînement et manœuvres sur deux ans, à tour de rôle dans chaque grande région du continent – Ouest, Centre, Est et région australe – avec la participation de la plupart des pays de chaque sous-région (francophones, anglophones et lusophones mêlés). L’Union africaine a souhaité être associée de manière organique au Recamp V, qui se déroule dans la zone Afrique centrale, mais dont le cycle a été ouvert au siège de l’Union, à Addis-Abeba.
Une reconversion pour les militaires français
Paris a également le souci d’« européaniser » progressivement son dispositif militaire en Afrique, ce qui semble en bonne voie : l’opération « anti-massacres » montée en urgence en Ituri (RDC), en 2004, a montré la voie et les armées de plusieurs pays européens contribuent aux cycles de formation et de manœuvres du programme Recamp.
Pour les militaires français – qui cherchent à se rendre utiles, et à valoriser leur savoir-faire – c’est une reconversion. Avec, en perspective, la fermeture des bases là où elles ne seraient ni utiles, ni souhaitées – on pense à la Côte d’Ivoire, au moins une fois que la crise sera dénouée dans ce pays où la base de Port-Boët, avec le 43e Bima, constitue pour le moment un appui indispensable à l’opération Licorne. Ou encore au Tchad, où la présence française constitue plutôt une opération au long cours (Epervier) qu’une base proprement dite.
Chez ces militaires, en tout cas, on ne rêve plus d’interventions tous azimuts en Afrique. Les lignes de force depuis presque dix ans sont le refus d’ingérence, et l’appui aux organisations régionales en matière de sécurité.
Dans cette optique, les accords de défense passés dans les années 60 (ou années 70 pour Djibouti et les Comores) sont plus ou moins caducs, même si – après plusieurs tentatives – il est apparu plus compliqué et dommageable de demander leur révision, que de les laisser dormir dans les tiroirs. C’eût été envoyer le « mauvais signal » : celui d’un désengagement (qui n’est pas à l’ordre du jour), ou celui d’une surenchère sur les contreparties (qui est toujours possible, comme on l’a observé par exemple à Djibouti)…
Au total, ces accords sont plus une charge qu’ils n’ont d’intérêt géopolitique réel. A la lettre, ils ne prévoient pas d’assistance automatique, sauf en cas d’agression extérieure, avec la marge d’interprétation qui peut exister, comme on l’a vu dans le cas de la Côte d’Ivoire, par exemple. Et Paris n’a plus les moyens ni la volonté d’imposer un dirigeant politique de son choix ; pour ce qui les concerne, les militaires répugnent désormais à « envoyer des messages » ou se mêler de politique locale.
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