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14/10/2005
Rwanda : une enquête à charge

(MFI) Sous le titre L’horreur qui nous prend au visage est publié le rapport de la « Commission d’enquête citoyenne » sur le rôle de l’Etat français pendant le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994. Un ouvrage qui livre une version unilatérale, tout en posant une série de questions pour le moment sans réponse.

(MFI) Quelle a été l’action de la France au Rwanda de 1990 à 1994 ? « Nous n’avons pas envoyé une armée pour combattre, nous n’étions pas là pour faire la guerre. Nous ne sommes pas destinés à faire la guerre partout, même lorsque c’est l’horreur qui nous prend au visage », affirmait François Mitterrand le 10 mai 1994 sur TF1 et France 2. Convaincues que « toute la vérité n’a pas été dite sur une possible complicité de l’Etat français dans le génocide », quatre associations (1) ont constitué une Commission d’enquête citoyenne (CEC) en mars 2004. « Les historiens le savent, la mémoire d’un génocide résiste fortement à la négation », estiment Laure Coret et François-Xavier Verschave dans l’avant-propos du rapport qui retranscrit ces travaux, auxquels participaient chercheurs, experts, journalistes et témoins... Un pavé de 600 pages destiné à préparer les Français « à l’idée que leur pays n’a pas agi comme on veut le leur faire croire. » Conviés, les tenants « de la thèse de la non-complicité » n’ont pas répondu à l’appel, d’où l’impression tenace d’une enquête instruite à charge.
« Nous ne sommes pas un tribunal », précise le Président de la CEC, Géraud de la Pradelle, professeur de droit à l’université Paris X. Il s’agit de réunir « des faits en vue d’une simple information [dont certains] mèneront sans doute vers des suites judiciaire ». Présomptions de complicités militaires, financières, diplomatiques, idéologiques, médiatiques, opération Turquoise... Les travaux de la Commission s’appuient sur le livre de Patrick de Saint-Exupéry, L’Inavouable (Les Arènes, 2004), rassemblant ses enquêtes dans Le Figaro entre 1994 et 1998 et des témoignages de militaires. Ses articles auraient provoqué la création en 1998 de la Mission d’information parlementaire pour le Rwanda (MIPR), qui « a conclu au rejet de toute complicité », admettant une « erreur » d’appréciation politique. La Mission s’est arrêtée, affirme Verschave, « chaque fois qu’elle touchait à des points qui pouvaient déboucher sur l’idée d’une complicité active de la France : fourniture de moyens aux criminels, moyens humains ou matériels ».


Le génocide, un dégât collatéral ?

Le premier témoin, Immaculée Cattier, rapporte qu’en 1991, elle a vu « des militaires français [qui] arrêtaient les Tutsis à un barrage routier près de Ruhengeri, sur la base de leur carte d’identité ethnique, et les remettaient aux miliciens en bord de route qui les assassinaient aussitôt. » Des propos choquants qui nécessitent d’être recoupés. D’autant que dans ses conclusions provisoires, la Commission « constate » que « la présence militaire française au Rwanda de 1990 à 1994 paraît avoir été le fait de forces spéciales imbriquées aux services secrets, avec l’appoint de commandos de la gendarmerie. » Ces forces auraient formé « de 1991 à 1993 dans plusieurs camps d’entraînement des milliers d’hommes qui pour beaucoup allaient devenir des encadreurs du génocide ». Au plan financier, le réquisitoire dressé par Verschave, décédé le 29 juin 2005, est sans appel : « l’ensemble des bailleurs de fond, dont la Banque mondiale et la Coopération française, ont financé à vannes ouvertes un régime dont ils savaient qu’il affectait une grande partie de ses versements extérieurs à l’achat d’armes, et en particulier à celui de plus d’un million de machettes ». Commencée en 1990, la guerre aurait été menée « par un concentré de troupes d’élite, le Commandement des opérations spéciales (COS), formalisé en 1992 autour de certaines unités de l’infanterie de marine et de la Légion étrangère, (…) en dehors de tout contrôle démocratique, et même du contrôle militaire ordinaire, puisqu’il a obtenu d’être directement rattaché au Président de la République », affirme la CEC, pour qui la haute hiérarchie militaire serait impliquée.
Gabriel Périès, de l’université d’Ivry, auteur d’une thèse sur « la guerre révolutionnaire », explique les grandes lignes de cette doctrine militaire inventée par les colonels Trinquier et Lacheroy dans les années 1950 après la défaite en Indochine et qui visait à gagner la guerre d’Algérie : déplacement des populations à grande échelle, fichage systématique, création de milices d’autodéfense, action psychologique, quadrillage territorial et « hiérarchies parallèles ». Des recettes transmises et propagées depuis, d’Amérique latine en Asie et en Afrique, en passant par la Bosnie et le Rwanda. Pour la plupart des décideurs français, militaires ou politiques, « la guerre contre le FPR surdétermine tout » et le génocide est « un dégât collatéral », dit la CEC qui reprend à son compte la thèse de l’historien Gérard Prunier selon laquelle « l’Elysée aurait subordonné la mobilisation diplomatique contre le génocide à la réalisation d’objectifs géopolitiques comme la réhabilitation du maréchal Mobutu ».


Une enquête accablante

Un autre historien, Jean-Pierre Chrétien, rapporte que certains journalistes ont répercuté une propagande qu’il juge raciste : diabolisation du FPR, l’adversaire du camp génocidaire, qualifié de « khmers noirs », description des Tutsis, envahisseurs avides, cruels et dominateurs, justification du génocide par la légitimité du peuple majoritaire et le combat contre l’expansionnisme anglo-saxon, thèse du double génocide… Les dessous de l’opération Turquoise sont aussi analysés : la « ligne Mitterrand » favorable au départ sous un prétexte humanitaire et la « ligne Balladur » qui la qualifiait « d’expédition coloniale ». « Une partition du Rwanda au bénéfice du camp du génocide en déroute », commentent les auteurs. Seuls, deux témoins à décharge ont répondu à la CEC. Jean-Christophe Rufin, conseiller du ministre de la Défense en 1994, maintient que Turquoise était « une opération de protection des populations civiles ». Mais l’ancien député Pierre Brana, rapporteur de la MIPR, admet qu’il y a eu « sous-estimation dramatique de la montée des dangers et du risque de génocide, de la part de la chaîne diplomatique et des services de renseignement, parallèlement à une coopération militaire trop engagée ».

Antoinette Delafin


L’horreur qui nous prend au visage. L’Etat français et le génocide au Rwanda. Rapport de la Commission d’enquête citoyenne. Sous la direction de Laure Coret et François-Xavier Verschave, Karthala, 587 pages.

(1) Aircrige, Cimade, Observatoire des transferts d’armements et Survie.



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