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10/11/2005
Afrique - France : un partenariat en « mouvement »

(MFI) C’est dans un pays, le Mali, souvent cité pour la réussite de sa transition politique, mais aussi confronté au défi majeur de la pauvreté, que se réunit le sommet Afrique-France. Avec un thème fédérateur, La jeunesse, qui amène aussi à s’interroger sur le bilan des politiques de développement, la XXIIIe conférence des chefs d’Etat d’Afrique et de France (3-4 décembre 2005) se tient dans un contexte spécial.

Tout d’abord, de nombreux indices montrent que l’Afrique est revenue à la première place des préoccupations de la communauté internationale : du dernier G8 au Sommet sur la réforme des Nations unies (Onu), de Washington à Londres, de Bruxelles à Paris, on a vu se succéder en 2005 les déclarations et initiatives témoignant de la volonté des pays riches et des organismes internationaux de trouver de nouvelles solutions aux maux du continent. Ce regain d’intérêt laisse espérer une véritable mobilisation pour la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement, « feuille de route » de l’Onu à l’horizon 2015 pour vaincre la pauvreté. Autant de signes qui confirment qu’une vision neuve de l’aide au développement émerge, étroitement dépendante du phénomène de la mondialisation et des stratégies qui s’y inscrivent.
Depuis plusieurs années, la France a entamé une profonde réforme de sa propre politique d’aide au développement, précisément pour la mettre en adéquation avec ce nouveau contexte, où les initiatives ne peuvent plus être seulement bilatérales. Engagée en 1998, et progressivement réorientée, la réforme de l’aide française doit trouver un achèvement avec le transfert, effectif dès 2005, au profit de l’Agence française de développement, d’une part importante des capacités d’intervention, ce qui va de pair avec une redéfinition des axes prioritaires. S’il confirme pour l’essentiel les options déjà engagées, ce changement et surtout ses modalités concrètes constituent, pour les partenaires africains de la France, un enjeu majeur d’adaptation, à charge pour les Français de rendre « lisibles » les mutations en cours.


Une approche multilatérale qui s’est généralisée

Le précédent sommet, en 2003, avait pour thème Ensemble dans le nouveau partenariat. Le ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, en soulignant que « l’Afrique est une priorité de l’action diplomatique française », en a rappelé les termes dès sa prise de fonction : ce partenariat « passe par un soutien résolu aux initiatives africaines, et par la mobilisation à cet effet de nos partenaires de la communauté internationale, au premier rang desquels l’Europe, dans le cadre d’une action cohérente ». Partenariat avec l’Union africaine, l’initiative du Nepad et des organisations régionales renforcées, d’un côté, volonté de convergence avec les actions multilatérales, spécialement celles menées par l’Europe, de l’autre, constituent les « lignes de crête » de cette approche.
Le message semble clair : la France n’entend plus cultiver un lien exclusif avec l’Afrique et souhaite explorer les possibilités offertes par une “multilatéralisation” des relations avec le continent. Ceci sans toutefois renier l’existence de liens particuliers, fondés sur « l’amitié et l’histoire ». Et sans donner prise au reproche de désengagement qui lui est fait rituellement depuis au moins une décennie. Cette position d’équilibre, pas toujours aisée à tenir, est devenue une constante, observable sur le terrain du développement ainsi que dans les efforts de résolution de la plupart des crises du continent ces dernières années : du Congo démocratique à la RCA ou au Darfour, en passant par la… Côte d’Ivoire. Même si cette dernière constitue le test ultime, où beaucoup d’observateurs ont voulu voir un « réengagement » de la France en Afrique en raison de la forte présence militaire française, les signaux émis à cette occasion peuvent être interprétés, on le sait, de manière bien plus nuancée.
Si la Côte d’Ivoire demeure un sujet central d’inquiétude, Paris considère cependant comme positive l’évolution constatée pour la plupart des sources de tension sur le continent : ainsi avec l’apaisement dans la région des Grands Lacs, ou en Afrique de l’Ouest, au Liberia. Dans les divers cas concernés (où la situation demeure cependant précaire), l’implication de la communauté internationale a laissé une marge non négligeable d’initiative aux acteurs africains eux-mêmes. Enfin, le volet militaire de la coopération, multilatérale ou bilatérale, avec l’Afrique continue de connaître des avancées.
De même, l’amélioration de ce qu’il est convenu d’appeler la gouvernance au sein des Etats africains est jugée encourageante. Hormis des dérapages, comme au Togo en 2005, les exercices électoraux de ces deux dernières années, qui montrent une meilleure maîtrise de leurs mécanismes, n’ont généralement pas été accompagnés de troubles majeurs, et dans plusieurs pays l’Etat de droit tend à se renforcer par le biais d’institutions significatives (parlements, cours constitutionnelles, instances de régulation, etc.), tandis que se poursuit la libéralisation des paysages médiatiques.
Ces améliorations, réelles au plan formel, connaissent d’importantes distorsions dans la pratique : la liberté de presse est encore relative ou détournée au profit d’intérêts politiques, les « ajustements » constitutionnels (notamment pour proroger les mandats des chefs d’Etat) inquiètent, la justice reste souvent inopérante et la corruption demeure un vaste sujet de préoccupation. Le chantier de la gouvernance, à côté des secteurs-clés du développement, est pourtant vu comme crucial, car les réorientations de l’aide au développement sont de plus en plus articulées à l’approfondissement de la gouvernance, démocratique et économique, et renouvèlent l’ancienne idée de conditionnalité, jugée désormais trop sommaire.


Des relations en transition

C’est peu dire que le XXIIIe sommet prend place dans une transition lente et profonde des relations entre les pays africains et la France, une transition encore largement empirique. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, depuis bien sûr le sommet de La Baule, la France n’a cessé d’essayer d’adapter sa politique africaine à un contexte mouvant, marqué par la mondialisation et la présence désormais centrale de partenaires multilatéraux en Afrique. Il a fallu aussi tirer les leçons de l’évolution des États africains, à la fois paupérisés et sortis du corset de la guerre froide, qui s’est traduite par des crises d’une nature jusque-là inconnue : le Rwanda en a été en 1994 l’expression la plus dramatique, mais il y avait eu auparavant la vague des « démocratisations » et des conférences nationales, et c’est cette même dérégulation politique, positive dans certains cas, qui a contribué à l’éclosion des crises actuelles, comme en Côte d’Ivoire. Il semble que Français comme Africains aient tiré leur parti d’une évolution apparemment inéluctable, tandis que toute une littérature s’efforce d’en analyser, même si c’est souvent de manière polémique, la tendance.
L’Afrique se réjouira peut-être de savoir qu’elle est considérée, notamment à Paris, comme un « continent majeur du XXIe siècle ». Elle sera du moins, en ce même siècle, de plus en plus jeune, nombreuse et complexe. La communauté internationale dans son ensemble peut aider à ce qu’elle ne soit pas plus instable et plus meurtrière pour ses propres enfants. L’ambition de la France, dont on a vu avec les événements mondiaux des dernières années qu’elle tenait à la singularité de ses choix diplomatiques, peut être de constituer pour le continent un partenaire presque comme les autres, autrement dit capable d’assumer en Afrique un héritage historique qui la conduit, si nécessaire, à faire entendre une voix à part.

Thierry Perret


Une multilatéralisation via la Francophonie aussi

(MFI) Sur le terrain de la gouvernance, comme en matière de culture, la France tend à coordonner toujours plus ses actions avec un autre acteur devenu significatif : l’Organisation internationale de la Francophonie. L’importance prise progressivement par la dimension politique au sein de la communauté francophone, qui va connaître en 2005-2006 une réforme notable de ses structures, constitue par ailleurs un facteur favorable au maintien du dialogue entre la France, dont le poids y est important, et l’Afrique qui en est le centre de gravité. La multilatéralisation peut passer aussi par là, et pas seulement sous l’aspect d’une défense de la langue. On l’a vérifié à l’occasion du véritable combat engagé par les Francophones pour l’adoption à l’Unesco, en octobre 2005, d’une convention internationale sur la diversité culturelle, avec en toile de fond un enjeu économique de taille pour l’avenir, particulièrement en Afrique.

T. P.




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