accueilradio  actualités  musique  langue française  presse  pro
radio
Liste des rubriques
MFI HEBDO: Politique Diplomatie Liste des articles

06/01/2006
Dossier de presse : la France face à son passé colonial

(MFI) Retour sur le grand débat qui passionne depuis plusieurs mois : quel jugement porter sur le passé colonial de la France ? La violence des confrontations et des revendications est à la hauteur de l’enjeu : la cohésion nationale.

Héritage colonial et malaise social

Les débats dans la presse sur l’histoire de la colonisation française ont commencé en janvier 2005 avec la manifestation et la signature, par quelques chercheurs et militants associatifs, de la pétition des « Indigènes de la République » (ils reprenaient ainsi à leur compte la terminologie issue du Code de l’indigénat en vigueur en Algérie pendant la colonisation). Comme l’explique Coralie Febvre dans L’Histoire n° 302, « le nouveau Combat des Indigènes », « [ceux-ci] dépeignent un pays – la France – qui maintient les anciens colonisés et leurs enfants dans un statut de sujets », en insistant sur les discriminations, à l’embauche, au logement et aux loisirs, des Français issus de l’immigration postcoloniale. Cette situation alimente selon ces militants un malaise social. Et dans leur « Appel pour les assises de l’anticolonialisme postcolonial », ils demandent la promotion de « mesures radicales de justice et d’égalité qui mettent un terme aux discriminations racistes ». Plusieurs voix se font alors entendre dans les journaux pour appuyer ou s’opposer à cette analyse – dont l’historien Max Gallo, qui leur répond dans le Figaro le 30 novembre 2005 : « Le procès fait à la colonisation [par les « Indigènes » de la République] n’est qu’un levier pour discriminer en fonction des origines ethniques, et constituer des communautés hostiles à la République en fonction d’un passé colonial qui expliquerait les inégalités existantes entre les citoyens français. »

Les émeutes de novembre 2005 dans les banlieues ont ranimé la polémique, avec diverses interprétations de ces événements dans les médias. C’est bien autour du mythe républicain de l’intégration à la française que tournent les discussions. Dans une émission de France Culture (1) les intervenants s’interrogent : la République française a-t-elle raté son intégration parce qu’elle a tourné le dos à l’histoire de la colonisation ? L’historien Pascal Blanchard, directeur de l’ouvrage La Fracture coloniale (2), rappelle que la III ème République a longtemps soutenu la colonisation, au nom même des valeurs républicaines de démocratie et des droits de l’Homme. Et le sociologue Edgar Morin insiste sur « ce paradoxe de l’Occident » qui allie barbarie et développement, mais dont on doit sortir autrement que par la « mauvaise conscience » (3).

Car, de là à expliquer toute la violence et les difficultés dans les banlieues par les séquelles de l’acte colonial il n’y a qu’un pas – que franchissent la sociologue Nacira Guenif, ou Houria Bouteldja, féministe et membre du collectif Les Blédardes. Toutefois, pour Mimouna Hadjam, de l’Association 93, « la République c’est aussi celle qui a décolonisé, qui m’a donné la Sécurité sociale, et celle qui me permet aujourd’hui de vivre dans mon quartier et de me défendre. (…) La République n’a pas fini son travail, et c’est en partie les stigmates de l’État colonial. Mais la France n’est pas un état colonial, elle n’est pas un état racial. » Certains – dont le philosophe Alain Finkielkraut dans une interview publiée dans le journal israélien Haaretz en novembre 2005 – veulent donner une explication « ethno -religieuse » aux émeutes, et dénoncent à travers ces événements un « racisme anti-blanc ». Son analyse fait scandale en France et il s’en explique sur France Culture (4), ainsi que dans Le Monde (le 26 novembre 2005) : « ce qui m’inquiète, c’est la désaffiliation nationale. (…) Je suis inquiet devant la montée des nouvelles revendications de mémoires. On demande quelquefois pour soigner les blessures identitaires un nouvel enseignement de l’esclavage et de la colonisation. (…) La plupart veulent décharger les émeutiers de leurs responsabilités (…). Pourquoi cet acharnement contre les symboles républicains ? »


Enseignement et concurrence des mémoires.

Les revendications mémorielles concernant l’histoire de la colonisation française, mais aussi celle de l’esclavage, se manifestent en effet de plus en plus ouvertement en France, on l’a vérifié avec une initiative des parlementaires français qui a suscité un tollé. Claude Liauzu, historien et ancien militant anticolonialiste, explique, dans L’Histoire pourquoi il est à l’origine de la pétition contre ce qu’il appelle une « loi scélérate », adoptée discrètement le 23 février 2005, qui souhaite « rendre justice aux harkis » et porter « reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ». L’article 4 de la loi a soulevé une tempête politico médiatique en France : « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit », décrète le texte en question. Pour le quotidien Libération (30 novembre 2005), « l’UMP colonise l’histoire de France ». Le Monde (30 novembre 2005) souligne les « vives réactions » en Algérie, une Algérie « outrée par le vote sur la colonisation ».

L’esclavage relu et corrigé…

C’est plus précisément l’emprise du politique sur la discipline historique et son enseignement, sous la pression des diverses revendications de mémoire, que critique la communauté scientifique et les professeurs, craignant la menace d’une histoire officielle (5). A tel point qu’une nouvelle pétition, plus générale, voit le jour le 13 décembre 2005 « pour l’abrogation des articles de loi contraignant la recherche et l’enseignement de cette discipline » : elle est relayée par l’ensemble des quotidiens, et signée par de grands noms d’historiens français. Cette pétition concerne la loi du 23 février 2005, mais aussi d’autres lois visant à orienter l’enseignement de certaines pages de l’histoire nationale… et notamment la loi dite « Taubira » de 2001 qui qualifie la traite des Noirs de crime contre l’humanité.

Car la question de l’esclavage se trouve aussi au cœur des préoccupations, comme le rappelle, sur France Culture, Françoise Vergès, professeur de sciences politiques à l’Université de Londres et vice-présidente du Comité pour la Mémoire de l’Esclavage : « il y a une crise de l’impensé politique dans notre République. (…) Ce n’est pas l’histoire des gens d’Outre-Mer, c’est l’histoire de tous les Français. » Dans un livre d’entretiens avec Aimé Césaire (7), Françoise Vergès rapporte les propos de l’écrivain : « par rapport à ce qu’on a fait à mes ancêtres, je n’ai pas de droit moral, j’ai un devoir de responsabilité éthique et historique. »

Et c’est ainsi qu’une fédération de 56 associations et collectifs est créée fin novembre (cf. Libération du 27 novembre 2005) afin de « porter la question noire au cœur de la République ». L’idée d’instaurer une journée de souvenir pour les descendants d’esclaves va dans ce sens : le président de la République, Jacques Chirac, s’y est déclaré « favorable » lors d’un dialogue avec les lecteurs du Parisien (8), tant que cette question de l’esclavage « n’est pas détournée de son objet, qui est noble, pour alimenter des dérives communautaristes ». De même, le projet d’une Cité nationale de l’histoire de l’immigration, mis en place par la mission Toubon installée en 2003 (cf. Le Monde, 28 novembre 2005), répond à un « devoir civique » qui est de « contribuer à faire évoluer la mémoire collective » en montrant « le rôle essentiel qu’ont joué les immigrants dans le développement économique, social et culturel de ce pays depuis le XIX ème siècle ». Une manière de rappeler qu’une histoire nationale ne peut se construire que sur la prise en compte et le respect des différentes mémoires des citoyens qui composent cette nation.

Claire Pouly


(1) Marc Voinchet, émission Tout arrive, France Culture, 15 novembre 2005,12h-13h
(2) La Fracture coloniale éditions La Découverte, septembre 2005
(3) Edgar Morin, Barbarie et culture européennes, éditions Bayard octobre 2005
(4) dans l’émission Les Matins de France Culture, 28 novembre 2005
(5) in Libération, 17 octobre 2005, « Colonisation : la fronde des historiens »
(6) in Les Matins de France Culture (14 novembre 2005)
(7) Nègre je suis, nègre je resterai (Albin Michel, 2005)
(8) In Entretien avec Jacques Chirac, Le Parisien, 13 décembre 2005

Le magazine L’Histoire a consacré un numéro spécial à la question coloniale en octobre 2005 (« La Colonisation en procès » n° 302). Sur la radio publique France Culture une semaine spéciale, du 12 au 19 novembre 2005, s’est articulée autour du thème « Fracture coloniale, fracture sociale »:

http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/dossiers/2005/colonisation/




retour

Qui sommes nous ?

Nos engagements

Les Filiales

RMC Moyen Orient

Radio Paris-Lisbonne

Delta RFI

RFI Sofia