Il y a quatre-vingts ans, le Parti communiste naissait, au congrès de Tours, de la scission historique des socialistes français. De 1945 à la fin des années 70, il fut le premier parti de gauche. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, auréolé de sa participation à la Résistance, il culminait, dans les urnes, en rassemblant plus d’un quart du corps électoral. Proche de l’Union soviétique tout au long des années 60 et 70, il tente, depuis la chute du mur de Berlin, une difficile mutation, tout en glissant sur la pente d’un inexorable déclin. « Marx attaque »... et Georges Marchais doit se retourner dans sa tombe. « Marx attaque » : c’était le libellé de l’invitation au quatre-vingtième anniversaire du Parti communiste français. La barbiche soigneusement taillée, Robert Hue recevait pour une « rave party » dans les locaux très « tendance » du PC, place du Colonel Fabien. Au menu : rythmes techno, DJ’s les plus en vogue de la capitale, quelques éminentes figures de la jet set parisienne et... repentance. Ce soir-là, dans son allocution, le patron du Parti communiste affronte en effet l’histoire les yeux dans les yeux : il dénonce « l’obéissance aux dogmes staliniens » qui fut le lot des mouvements se réclamant du communisme et parmi lesquels le PCF « ne fut pas le moins zélé ». « On sait, martèle-t-il, à quels monstrueux aveuglements sur des réalités terribles, et parfaitement antagoniques avec l’idéal communiste, a conduit cette conception ». Quatre ans après la mort de Georges Marchais, ex-numéro un du PC et dernier dinosaure français de la guerre froide, Robert Hue liquide ainsi les ultimes oripeaux de cette exception tricolore que fut le parti communiste le plus puissant du monde occidental. Jamais la dénonciation par le PCF de son passé stalinien n’était allée aussi loin. Mais si le parti a enfin déterré son histoire, il est bien en peine de se dessiner un avenir. A 80 ans, et même s’il se donne des airs branchés, le PC vivote sous tente à oxygène. Electoralement, ce qui fut le plus puissant parti de France dans les années 50 et 60 plafonne péniblement à 7% des suffrages. Il ne revendique que 200 000 adhérents, contre 700 000 dans les années 70. A l’Assemblée nationale, il ne compte plus que 33 députés (il en avait 182 en 1946, à son apogée, aux lendemains de la deuxième guerre mondiale). Il ne dirige plus que 42 villes, dont la plupart situées dans la banlieue parisienne. Ses finances sont au plus bas, son journal, l’Humanité, au bord de l’asphyxie. Des fidèles vieillissants, une base électorale rétrécie, des fiefs de plus en plus rares : le Parti communiste ne semble profiter en rien de sa participation au gouvernement depuis trois ans et demi. Dans l’équipe Jospin, deux des quatre ministres PC - Jean-Claude Gayssot (Transports) et Marie-Georges Buffet (Jeunesse et Sports) - ont acquis popularité, savoir-faire et surface politique. Mais ce bon casting n’a guère de répercussions favorables sur la santé et le moral du parti. Toujours à l’affût des dernières modes, jamais en retard d’un « mouvement de société », l’œil rivé sur les enquêtes d’opinion, Robert Hue, secrétaire national du parti depuis presque six ans, n’a pas réussi à endiguer la fuite des électeurs, des militants et des intellectuels. Sa boulimie médiatique, sa recherche frénétique de nouvelles causes à défendre - les « sans-papiers », les victimes d’homophobie, la lutte contre la « mal’bouffe » aux côtés de José Bové, les revendications féministes - ne masquent pas le désarroi dans lequel est plongé le parti. L’effondrement des idéaux et du mur de Berlin, au début des années 90, la perte du « modèle » soviétique, ont laissé le PC sans objet politique identifié. « Il n’est écrit nulle part qu’il doive y avoir nécessairement un Parti communiste fort et influent dans la France du XXIe siècle », affirmait récemment Robert Hue, dans un grand élan de lucidité. Sans le PC, pas de majorité à gauche Ce n’est pas faute d’avoir évolué. Sous l’ère Hue, le PCF aura dépoussiéré de fond en comble des méthodes de fonctionnement. Adieu le centralisme démocratique et l’organisation pyramidale, aujourd’hui la vie interne du PC laisse toute sa place au débat et au vote. Mais cette mutation n’a pas donné au parti un projet alternatif et crédible. A quoi sert le PC, à l’aube du nouveau siècle ? Cette question existentielle n’a pas trouvé sa réponse. Robert Hue proclame souvent ce qu’il ne doit pas être : ni un mouvement protestataire, réduit à l’expression marginale d’une contestation d’extrême-gauche, ni le simple appendice d’un Parti socialiste hégémonique. Depuis quelques années, les dirigeants communistes ne parlent plus de « rupture » avec le capitalisme et la loi du marché. La révolution, le « grand soir », ont été rangés au rayon nostalgie. Parti de gouvernement, le PC cherche son salut dans la fédération de mouvements alternatifs et lorgne du côté des anti-mondialisation. Mais la voie est étroite et encombrée : l’extrême-gauche, sur ce terreau, est parvenue, lors des derniers scrutins, à sortir de son habituel ghetto électoral, en flirtant avec les 5% de suffrages. Parce qu’il conserve encore quelques relais sociaux puissants, parce qu’il exprime mieux que d’autres les revendications des salariés les plus modestes, parce qu’il sait conjuguer réformisme, exigences sociales et solidarité, le PCF peut encore espérer survivre. Mais sa plus grande chance, c’est d’être indispensable au PS. Sans lui en effet, point de majorité à gauche. Ses derniers fortins municipaux et ses 7% de suffrages pèsent encore lourd aux yeux des socialistes. Depuis qu’il est à Matignon, Lionel Jospin est un Premier ministre très attentionné à l’égard de ses alliés communistes. A la différence des Verts, jugés immatures et volages, le PC est considéré comme un partenaire fiable. Fiable et utile parce qu’il canalise les mécontentements de gauche. C’est pourquoi, dans les négociations électorales, les communistes sont traités avec largesse. Aux municipales de mars prochain et aux législatives du printemps 2002, ils n’auront pas à se plaindre : même si les électeurs continuent de les bouder, ils seront sauvés du désastre par la grâce de leurs alliés et d’accords taillés sur mesure. Faute de lire clairement son avenir, le PC se raccroche ainsi aux branches de la « gauche plurielle ». Jérôme Dorville
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