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07/11/2001

La coopération française en mutation (3) : Au-delà des ruptures

La Direction générale de la coopération internationale pour le développement (DGCID) est le principal outil opérationnel de la coopération française. A la tête de cette direction du ministère des Affaires étrangères, Bruno Delaye s'est donné pour objectif d'impulser une nouvelle dynamique, au moment où l'on s'interroge sur les ambitions réelles de la France en la matière. Il le fait depuis peu, dans un style décontracté et volontaire, au moins pour la forme. Pour le fond, il livre ici son analyse... et passe en revue aussi bien les questions de réorganisation de la coopération internationale que celles portant sur le rôle des centres culturels français à l'étranger, expose les orientations de l'aide au développement en faveur du développement durable, ou encore la position française sur la notion de « prime à la démocratie ».

MFI : A l'occasion d'une réunion récente du réseau de coopération et d’action culturelle français à l'étranger, on a voulu faire passer un message qui pourrait être résumé comme suit : la France a encore de grandes ambitions en matière de coopération internationale; cette coopération n'est pas « ringarde »; elle se conjugue à une volonté d'influence peut-être renouvelée... en affirmant cela, s'agissait-il de répondre à certaines critiques ?

Bruno Delaye : Le débat consistant à se demander : la France a-t-elle ou non une influence, tient-elle son rang dans le monde, ce débat existe depuis que... l'international existe ! Il existe au moins depuis la Révolution française ou le Congrès de Vienne, et on peut discuter à l'infini pour savoir si le verre est à moitié plein ou à moitié vide, si l'on est en phase d'expansion ou de recul... Une chose est sûre : on est en phase de demande croissante. Il y a de plus en plus une demande de France, de francophonie, d'opinion française sur la façon dont va le monde... Et il fallait, deux ans après la réforme des structures de la coopération française, passer à la vitesse supérieure.

MFI : Les commentaires des agents de terrain de la coopération soulignent que ce qui est important, pour répondre à cette demande, précisément, c'est la réactivité... si l'on est présent ou au contraire absent à une foire internationale, d'une année sur l'autre, les répercussions peuvent être importantes. Les outils de cette « réactivité » sont-ils opérationnels aujourd'hui ?

B. D. : Je ne pense pas qu'ils le soient, on n'atteint pas à la perfection, loin de là. Mais c'est parce qu'on est dans un monde qui bouge très vite, et que l'État français bouge plus lentement. Mais on peut s'adapter. Et nos actions sont des actions de long terme. Organiser des politiques de coopération universitaire, distribuer des bourses ne sont pas des choses qui se font dans l'air du temps, en sautant d'un pays à l'autre au gré des modes... Et il y a la durée de vie d'un projet : entre la gestation et la réalisation, ce qu'on appelle le cycle d'un projet, il faut compter trois ans minimum...

MFI : Vous parlez de projets de grande amplitude. Souvent les critiques portent sur des initiatives qui impliqueraient beaucoup moins de moyens...

B. D. : Il y a 50 000 choses qu'on ne fait pas et qu'on devrait faire ! Qu'on ne fait pas parce qu'on ne les a pas bien vues, parce qu'on n'a pas assez anticipé, qu'on n'en a pas mesuré l'importance, parce qu'on a quelqu'un sur place qui s'est endormi, parce que le bureau parisien n'a pas bien répondu ou n'a pas répondu à temps... ou tout simplement parce qu'on ne peut répondre à tout, les moyens étant forcément limités. Mais ce qu'on tente, c'est de déconcentrer au maximum, de faire confiance aux gens de terrain et leur déléguer un maximum de responsabilités. On encourt le reproche contraire : ah oui, mais il n'y a plus de pilote dans l'avion ! Je préfère encourir ce risque plutôt que d'avoir un immense paquebot où tout le monde est prisonnier à bord.

MFI : Le reproche, figurant dans un rapport parlementaire (1) sur la situation des centres culturels français à l'étranger, concerne moins l'absence d'un pilote dans l'avion, que l'absence d'une philosophie d'ensemble...

B. D. : Ce rapport a été une photographie de la situation qui prévalait il y a plus d'un an. Et c'est vrai que le dernier document qui fixait les missions de nos instituts et centres culturels datait de 1994. Sept ans après, il est temps en effet de revoir les missions et la carte de nos centres dans le monde. Concernant les missions, on peut se demander s'il est toujours utile d'avoir des bâtiments pour accueillir ces centres : est-ce qu'il ne vaut pas mieux être logé chez le partenaire et faire ce qu'on appelle des actions « hors les murs » ? Si on construit un centre culturel français en Haïti, il faut savoir que la construction du bâtiment coûte 25 millions de francs, et que l'entretien de ce bâtiment va coûter 2,5 millions chaque année. 2,5 millions, c'est autant de bourses, d'actions culturelles en moins. On a donc eu à redéfinir les missions de nos centres, et reconfigurer une typologie. Par exemple, dans les grandes capitales du monde on aura besoin de centres culturels complets, offrant toute la gamme d'activités possibles... il y a à l'opposé des centres pouvant consister en dispositifs très légers, qui peuvent être des antennes universitaires pour organiser une coopération inter universitaire intelligente. Entre les deux, vous avez un éventail de centres culturels, qu'il faudra maintenir dans les pays en développement, parce qu'ils sont les seuls lieux où la population a accès à une culture internationale, et nombre d'autres possibilités. En sachant que ce qui va maintenant compter plus que tout c'est la qualité des hommes et des femmes que nous y mettrons, et le fait que nous leur donnons quand nous le pouvons les moyens d'y développer des activités.

MFI : A propos des centres culturels français, notamment en Afrique, on constate que ce sont des centres importants pour l'animation de la vie locale. Est-ce qu'il n'y a pas à leur niveau deux conceptions antagonique : l'une consistant à dire que le CCF a vocation à promouvoir la culture française; une autre consistant à tirer davantage vers une défense et une promotion des cultures francophones ?

B. D. : Non. Nous sommes tous d'accord qu'il faut alterner, faire les deux. Ce n'est pas contradictoire : il s'agit de lieux de convivialité, si possible de mélange, d'enrichissement mutuel. Et nos centres ont vocation à accueillir les artistes, les productions locales. C'est é-vi-dent !

MFI : Une bonne partie des ressources de la coopération internationale (les 2/3) est consacrée à l'aide au développement. On entend beaucoup parler de l'accent mis sur le développement durable. Il faut peut-être éclairer cette notion ?

B. D. : Il faut se méfier des concepts et des mots. Développement durable, c'est du développement, et ce n'est pas de la croissance. Vous avez des pays où le PIB augmente mais où la population s'appauvrit. Autre concept : le développement durable est un développement « endogène », c'est-à-dire que le pays est capable de croître par lui-même, avec un marché intérieur qui le soutient, et qu'il n'est pas soumis exclusivement aux aléas de la conjoncture internationale. Troisième caractéristique du développement durable, c'est le respect de l'environnement, de ce qu'on nomme les biens publics globaux comme la pureté de l'air ou de l'eau, la protection des ressources maritimes... il faut donc veiller à ce que la croissance ne s'accompagne pas de la destruction de ce capital.

MFI : Ces idées sont plutôt consensuelles. Comment la coopération française entend les mettre en œuvre ?

B. D. : Il a fallu passer par une double étape de ruptures avec le passé. La première rupture était avec une imbrication trop étroite de notre coopération pour le développement avec l'agenda politique des pays considérés... nous étions trop soumis à une forme de coopération « clientéliste » et il a fallu sortir de cette situation. Deuxième rupture, il a fallu se mettre à l'école de l'humilité. Nous Français, même si nous n'étions pas plus mauvais que d'autres, n'avions pas à nous prévaloir d'un grand nombre de succès retentissants : nous avions aussi notre part d'échecs, de doutes, et il fallait faire une analyse sans complaisance des erreurs du passé. Une fois ces ruptures assumées, il a fallu reconstruire sur des bases nouvelles. Une de ces bases est que notre politique n'est plus fondée exclusivement sur l'Afrique francophone, même si cela reste le socle de notre politique d'aide au développement. L'autre aspect concerne le fait de travailler beaucoup plus avec les autres partenaires au développement, et non plus en « circuit fermé » de manière bilatérale, sans se préoccuper de savoir ce que font les autres. Un autre concept est également apparu : il est tout aussi important de travailler sur de « l'aide programme » et de maintenir des flux importants d'aide publique au développement que d'œuvrer à la mise en place des régulations de la mondialisation. Il est essentiel dans le commerce international, pour le commerce des armes de petit calibre ou le commerce des matières premières -comme le diamant-, que soit imposé un certain nombre de régulations dont l'absence mettrait en cause l'économie future des pays en développement, ne serait-ce que parce que leurs voisins se trouveraient affectés.


MFI : Un des axes importants de cette politique de coopération est aussi l'appui à l'État de droit, en Afrique notamment. Vous mettez l'accent sur des stratégies conjointes des bailleurs de fonds, mais on a encore parfois l'impression – même si ce n'est plus l'interventionnisme d'antan – que la France est en retrait ou en avant sur certains dossiers par rapport à ses partenaires. C'est l'exemple de la Côte d'Ivoire où l'on a eu le sentiment que la France tenait un rôle de porte-parole ou d'éclaireur pour la reprise de la coopération.

B. D. : C'est un sentiment juste et justifié. Car nous pensions que la Côte d'Ivoire devait sortir du purgatoire où la communauté internationale l'a placée. Il ne faut pas confondre l'aide internationale avec une espèce de charité conditionnelle où l'on aide les « pauvres » en leur disant : montre-moi tes mains, est-ce qu'elles sont propres ? Il faut aussi partir des difficultés intrinsèques de ces pays. Pour bâtir la démocratie il faut savoir accompagner intelligemment les processus... On ne peut pas rester sur le bord du chemin et dire : attendez, mais vous ne ressemblez pas tout à fait à la démocratie luxembourgeoise, donc on va vous maintenir sous sanction. C'est absurde. Quand un pays se sera complètement effondré, quand il y aura des bandes armées pour le ravager, quand toutes les économies autour seront sinistrées, il faudra à ce moment mettre en place des opérations de maintien de la paix extrêmement coûteuses... ce qui fait qu'aujourd'hui une bonne partie de l'aide à l'Afrique consiste à régler la facture du séjour de Casques bleus.


MFI : Pourtant il y a toujours un débat autour de cette question de la « prime à la démocratie », et l'on a l'impression que les politiques fluctuent. Est-ce qu'il faut encourager les sanctions, ou revenir à un « accompagnement » quelque soient les faiblesses constatées ? Quelle est au juste la position de la France ?

B. D. : La position française est directement inspirée de la philosophie qui prévaut dans les accords de Cotonou, lesquels régissent la coopération entre l'Union européenne et les pays ACP. Il y a toute une série de clauses qui encadrent la démocratie et le respect des droits de l'homme et qui lient notre coopération au respect de ces principes. Grosso modo, les accords de Cotonou postulent qu'avant d'en passer aux sanctions, il faut un dialogue. S'il échoue, il y a alors une gradation dans la réduction de notre coopération. Par exemple, il est sûr que nous n'aurons pas de coopération en matière de police avec un pays dont les forces de polices se livrent toute la journée à des exactions vérifiées, répétées... S'il y a un désir sincère d'avoir une police démocratique, républicaine, il n'y a pas de raison de ne pas l'aider. Tout est affaire d'appréciation, au cas par cas, au jour le jour, et il faut avoir des politiques d'encouragement intelligentes pour que ces sociétés consolident leur démocratie et pour aider les dirigeants à mettre en adéquation leurs actes et leurs intentions.


Propos recueillis par Thierry Perret

(1) Yves Dauge, Rapport d'information sur les centres culturels français à l'étranger, Assemblée nationale française, 2001.






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