(MFI) La corruption constitue un obstacle au développement des pays pauvres. Elle sape le soutien populaire pour l'aide au développement. Il faut s'en débarrasser, et nous devons être prêts à une lutte longue et dure, déclare Jim Wolfensohn, le président de la Banque Mondiale.MFI : Pensez-vous que la campagne globale anti-corruption a donné les résultats attendus, ou faut il encore renforcer la mobilisation ?
Jim Wolfensohn: Il y a cinq ans, j'ai engagé la Banque Mondiale à « combattre le cancer de la corruption ». Depuis la fin de 1997, la Banque a entrepris plus de 600 programmes spécifiques contre la corruption et d'initiatives de gouvernance dans 95 pays emprunteurs. Près du quart des projets nouveaux comportent à présent des composantes qui concernent les dépenses publiques et les réformes financières. Mais, plus important encore, l'engagement de la Banque pour l'élimination de la corruption a inspiré une réponse vraiment globale à ce problème.
Par sa nature, la corruption persistera, comme un problème difficile et complexe, et nous devons être prêts à une lutte longue et dure. Il faut des alliances des forces vives d'un pays pour s'attaquer à la corruption. Aucune déclaration de la Banque Mondiale ou du FMI ou de toute autre institution internationale ne suffira pour que le monde s'en débarrasse. A mon avis, la corruption ne peut être vaincue qu'en alliant les déclarations, les conseils et l'aide de l'extérieur avec – et c'est le plus important – une action de l'intérieur des pays.
MFI : Vous aviez indiqué avant les réunions du printemps 2001 de la Banque et du FMI qu'une cinquantaine de sociétés ont été mises sur liste noire pour mauvaise conduite… Avez-vous réglé de même des problèmes avec des pays clients de la Banque ?
J.W. : Lorsque des sociétés violent les règles contre la fraude et la corruption contenues dans les Orientations pour les Achats et les Orientations pour les Consultants de la Banque, elles sont « bannies » par celle-ci. En cas de suspicion de violation, une procédure administrative est lancée qui permet aux sociétés et individus accusés de répondre aux allégations. La liste des firmes bannies est dans le domaine public, sur le site web de la Banque. Elles sont bannies pour des périodes variables selon le sérieux de la mauvaise conduite constatée (certaines firmes sont bannies pour des périodes de plusieurs mois ou années, d'autres sont écartées définitivement).
En ce qui concerne la corruption au niveau des gouvernements, la Banque n'expose pas nommément des pays sur des « listes de la honte ». Mais elle travaille de mille manières pour aider les ministères et le secteur public à adopter des procédures claires et transparentes pour suivre les dépenses des ressources des programmes ou projets, afin de réduire au maximum les possibilités de corruption.
MFI : Peut-on identifier des pays, en Afrique ou ailleurs, qui ont pris des mesures concrètes pour réduire ou éliminer la corruption à la suite de la campagne et de l'action de la Banque Mondiale ?
J. W. : Plusieurs gouvernements africains ont entrepris des efforts pour réduire ou éliminer la corruption depuis le début de la campagne anti-corruption. Ainsi, la Tanzanie met en œuvre une large stratégie de réformes du secteur public, qui comporte l'institutionnalisation d'un système de contrôle des performances qui améliore la transparence, afin d'assurer une meilleure gouvernance et la réduction de la corruption. De même, le Ghana a lancé un programme anti-corruption à la suite du soutien fourni par un programme assisté par la Banque. Dans d'autres pays comme le Nigeria, l'Ouganda, le Bénin et le Mali, les gouvernements ont créé des agences anti-corruption. L'Ethiopie, la Zambie, le Nigeria et le Malawi sont en train de mettre en œuvre des programmes de diagnostic empiriques élaborés de l'intérieur.
MFI : La Banque prépare-t-elle d'autres mesures pour combattre la corruption en Afrique, et qu'en est-il de la coopération et la coordination avec d'autres institutions et organisations ?
J. W. : J'ai visité récemment l'Afrique avec le Directeur Général du FMI, Horst Koehler. Nous y avons rencontré 22 chefs d'Etat et des leaders de la société civile, et avons parlé avec franchise des problèmes de la région. En ce qui concerne la coordination, je suis heureux de pouvoir dire que depuis que nous avons commencé à focaliser l'attention du monde entier sur le problème de la corruption, il y a eu une synchronisation accrue de l'action des institutions financières internationales, et davantage de partage de l'information sur tous les aspects de la corruption. Les cinq plus grandes banques multilatérales de développement ont créé un groupe de travail conjoint pour aider à coordonner les politiques et partager l'information. Et la Banque Mondiale a aussi renforcé ses relations de travail avec le PNUD et les donneurs bilatéraux. La Banque soutient fermement la convention anti-corruption de l'OCDE, et a joué un rôle important dans l'établissement du Forum International sur le Développement de la Comptabilité (sigle anglais: IFAD) qui facilite le développement des pratiques comptables et des audits dans les pays en développement et les économies émergentes. Nous travaillons aussi avec nombre d'ONG, notamment les grands groupes de droits de l'homme, afin d'acquérir une meilleure compréhension de la manière dont la corruption sape le développement, et afin d'améliorer notre stratégie visant à combattre la corruption à sa source avec l'aide des principaux intéressés de la société civile.
(MFI.- mai 2001)
Site internet de la Banque mondiale : http://www.worldbank.org/html/opr/procure/debarr.html