(MFI) L'Afrique ne veut pas rester en marge de la coalition anti-terroriste menée par les États-Unis et la Grande Bretagne contre les réseaux de l'intégrisme islamique. En particulier Abdoulaye Wade, le président du Sénégal dont la très grande majorité de la population est musulmane, veut lancer un pacte africain de lutte contre le terrorisme et a pris contact avec ses pairs afin d'adopter une stratégie commune.
Au lendemain des attentats du 11 septembre dernier contre le World Trade Center à New York et le Pentagone à Washington, le président sénégalais avait estimé que les pays africains, au-delà de simples déclarations verbales, devaient s'engager dans des actions directes dans le cadre de la lutte planétaire contre le terrorisme. Il avait aussi participé, le 18 septembre à Londres, aux côtés de cinq autres chefs d'État africains dont le nigérian Olusegun Obasanjo, à une rencontre avec le Premier Ministre britannique Tony Blair, pour présenter la nouvelle initiative pour le redressement économique de l'Afrique. Les six présidents africains et Tony Blair avaient à cette occasion publié une déclaration condamnant les attaques et s'engageant à oeuvrer pour « débarrasser le monde des maux du terrorisme ».
La plupart des dirigeants africains ont condamné les attaques terroristes contre les États-Unis, tout en soulignant pour certains le lien existant entre ces attaques et le soutien américain apporté à Israël dans le conflit sur la Palestine. Plusieurs pays africains figurent parmi la quarantaine d'États qui ont accordé le droit de survol aérien aux Américains engagés depuis le 7 octobre dans des frappes en Afghanistan contre les installations militaires des Taliban et les camps d'entraînement de l'organisation Al Qaïda (la base) de Ben Laden.
Une pénétration marginale de l'intégrisme
Obasanjo qui dirige le pays le plus peuplé de l'Afrique sub-saharienne, théâtre d'affrontements dans le nord entre chrétiens et musulmans, a de son côté estimé début octobre que toute action américaine devait « aboutir à une justice et une égalité accrue » sur le plan universel, remarque interprétée par les observateurs nigérians comme une tentative pour rassurer les musulmans du Nigeria, qui représentent environ la moitié de la population.
En progression constante en Afrique depuis plusieurs siècles, l'Islam joue désormais un rôle important pour des millions d'Africains en Afrique du nord et de l'ouest mais aussi le long de la côte est-africaine et jusqu'en Afrique australe. Cette poussée de l'Islam a accompagné les conquêtes armées et les activités commerciales. Elle a aussi été favorisée par la lutte contre la colonisation, celle-ci étant identifiée à la pénétration de la religion chrétienne.
Toutefois l'avancée de l'intégrisme militant en Afrique sub-saharienne est plus récente. Elle coïncide avec la guerre d'Afghanistan contre les Soviétiques, à partir du début des années 80, et avec l'implantation des réseaux armés islamistes du GIA en Algérie. On sait que Ben Laden était présent au Soudan en 1992, le Soudan où une guerre civile opposait déjà musulmans du nord et chrétiens ou animistes du sud, et qui a été perçu pendant plusieurs années comme un sanctuaire pour les fondamentalistes, désireux d'essaimer aussi dans les pays voisins. Des mouvements intégristes ont vu le jour en Éthiopie et en Érythrée ainsi qu'en Somalie, où l'éclatement de l'État a ouvert la porte aux milices armées des chefs de guerre. Les Comores et l'île tanzanienne de Zanzibar sont aussi devenues des plate-formes pour les réseaux intégristes.
On sait aujourd'hui que les miliciens somaliens qui avaient tué 18 Américains en 1993 – provoquant le départ des troupes américaines participant à l'opération de maintien de la paix de l'ONU – avaient été entraînés dans des camps établis par Ben Laden au Soudan, avant qu'il ne quitte ce pays en 1996. Les attentats en 1998 contre les ambassades américaines de Dar es Salam en Tanzanie et de Nairobi au Kenya imputées aux réseaux Ben Laden avaient provoqué des bombardements américains en Afghanistan et contre une usine pharmaceutique au Soudan soupçonnée de fabriquer des armes chimiques. Le Soudan figurait, pour Washington, sur la liste « noire » des pays encourageant le terrorisme.
Depuis le 11 septembre, les États-Unis qui cherchent à mobiliser dans la lutte anti-terroriste le maximum de pays, ont changé d'attitude vis-à vis-du Soudan. Ils ont notamment permis au Conseil de sécurité de l'ONU de lever les sanctions internationales adoptées contre Khartoum après la tentative d'assassinat contre le président égyptien Hosni Moubarak au cours d'un sommet de l'OUA à Addis-Abeba. Celle-ci avait été attribuée à des intégristes égyptiens réfugiés au Soudan, dont le chef est désormais considéré comme l'un des proches de Ben Laden.
Un allié paradoxal : la Libye
De leur côté, les autorités françaises ont renforcé leur dispositif en Afrique, en particulier autour de Djibouti qui servira de base en cas de participation française dans l' offensive militaire anti-terroriste. Par ailleurs les Français coopèrent depuis 1994 (après notamment l'attentat contre un avion d'UTA imputée à la Libye) avec plusieurs pays d'Afrique francophone pour renforcer la sécurité aéroportuaire. Ils ont augmenté les moyens financiers mis à leur disposition. « Avec d'autres services occidentaux et en liaison avec nos partenaire africains, nous suivons les barbus à la trace (en Afrique) », précise un expert. Des agents du SCTIP (Service français de coopération technique internationale de police) forment notamment des policiers africains à la lutte contre les trafics de drogue et d'armes et d'autres commerces illicites, et contre le terrorisme.
Paradoxe de l'histoire, les Occidentaux trouvent aujourd'hui un allié objectif dans la personne du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, jadis considéré comme le suppôt du terrorisme international. Un Kadhafi qui fait en particulier « le ménage » à la frontière du Mali et du Niger contre les infiltrations d'intégristes armés algériens. « Il ne faut pas oublier qu'il s'en est pris aux intégristes chez lui et qu'il a échappé à plusieurs attentats fomenté par eux », souligne un observateur diplomatique. « Toute mosquée construite par Kadhafi en Afrique est une de moins pour les intégristes », ajoute-t-il, soulignant qu'il ne faut pas faire d'amalgame entre le terrorisme « afghani » mené par Ben Laden et sa nébuleuse islamiste dans le cadre d'Al Qaida, et le terrorisme qu'avait coordonné il y a quelques années la Libye.
Autre composante à ne pas négliger, les communauté libanaises chiites implantées en Afrique sont plutôt proches, selon les observateurs, des Hezbollah libanais soutenus par l'Iran que des « Afghanis ».
Marie Joannidis