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15/11/2001

Journalistes dans la guerre : les nouveaux risques du métier

(MFI) 33 journalistes tués depuis l991 : le devoir d’informer se paye d’un lourd tribut dans les rangs de la profession. La mort récente, le 11 novembre, de 3 envoyés spéciaux dans le Nord de l’Afghanistan, l’a rappelé : la fragilité du statut de journaliste semble s’accentuer alors que les conflits planétaires changent de nature.

La guerre, même conçue selon des moyens sophistiqués, reste une affaire dangereuse. Encore une fois la mort de deux journalistes français de radio, Johanne Sutton de RFI et Pierre Billaud de RTL, ainsi que d’un confrère du magazine allemand Stern, Volker Handloik, le 11 novembre dernier dans le Nord de l’Afghanistan, a confirmé dramatiquement cette vérité. Les journalistes accompagnaient la progression d’un détachement du mouvement d’opposition aux Talibans, l’Alliance du Nord, qui a été pris sous le feu adverse. Les témoignages ont laissé penser qu’ils auraient été achevés par les combattants talibans, après être tombés du char qui les transportait : information difficile à vérifier, mais qui écarterait toute idée de bavure.
Ces décès et leurs circonstances dramatiques ont projeté une lumière troublante sur la « drôle de guerre » menée jusqu'alors par les Américains et leurs alliés sur le terrain. Une guerre dont les développements et les objectifs restaient peu perceptibles à l'opinion, réduite à consommer les seules informations fournies, au compte-goutte, par les stratèges militaires. « On parle toujours de la guerre virtuelle, de la guerre invisible, avec son cortège d'expressions absurdes : frappes chirurgicales, visée laser etc. C'est connu, cette guerre là, on n'en voit pas les morts, on ne les connaît pas », a pu relever alors un éditorialiste de RTL, en soulignant qu’il était précisément de la mission des journalistes d’aller voir de l’autre côté du décor, de ce « rituel mensonger qui appartient aux conquêtes », et qui pouvait finir par faire croire que « la mort était factice. »

Voir et témoigner dans un conflit sans images

C’est d’ailleurs un des nombreux paradoxes de cette guerre sans visage, et pendant longtemps presque sans images. Les journalistes tués le 11 novembre ont été les premières victimes du conflit à avoir un nom, aux côtés des victimes civiles afghanes restées anonymes. Qu’il s’agisse de journalistes indique assez quelle était la portée de leur présence sur le terrain. Et ils ont trouvé la mort précisément au moment où le conflit changeait de nature : la décision prise par les envoyés spéciaux européens de suivre aussitôt les combattants afghans dans leur progression vers le centre du pays et vers Kaboul, après des semaines de stabilisation des positions et d’informations tronquées, était logique, professionnelle : on allait peut-être enfin savoir ce qui se passait, dans le jeu d’ombres du théâtre afghan.
Leur décès a profondément ému une profession qui s’est aussitôt mobilisée pour essayer de comprendre ce qui s’était passé. Une fois encore on s'est interrogé sur les conditions de la « prise de risques » par les correspondants de guerre étrangers. Les journalistes prennent-ils des « risques inconsidérés ? Il faut savoir ce que l'on veut, signale Robert Ménard, de l'association Reporters sans frontières. Ou vous voulez une information indépendante, ou vous vous contentez de ce que disent les Américains, les Talibans, etc... » Ce que confirme Nicolas Poincaré, un habitué des théâtres de guerre pour la chaîne télévisée TF1 : « la prise de risque est liée à l'information qu'on veut ramener. Or, depuis deux mois, tout le monde était très frustré : il n'y avait pas d'information. » « Toutes ces villes qui tombaient subitement, ils voulaient voir ça », constate également Michel Peyrard, grand reporter à Paris Match. Ce dernier, tout juste échappé des griffes des Talibans, après avoir été pris en Afghanistan sous un déguisement de femme, n'hésite pas un moment : « nous sommes des gens de terrain; et sur le terrain les grands reporters passent leur temps à échafauder des plans, des stratégies, pour y aller... » et surtout aller voir par soi-même, malgré le danger.

« La gestion du risque ne s'apprend pas à l'école »

Dès lors, que penser des mises en garde formulées par une organisation comme la Fédération internationale des journalistes, qui appelait au lendemain du 11 novembre « les journalistes et les organisations des médias à faire preuve de retenue », en soulignant que « les journalistes ne doivent pas se rendre dans des régions qui n'ont pas été sécurisées ». Selon Aidan White, secrétaire général de la FIJ, « aucune histoire ne vaut une vie humaine... les organisations de journalistes et de médias doivent considérer la sécurité comme la première priorité, en particulier dans ce contexte de conflit incontrôlé et indiscipliné ».
Rappel nécessaire en soi, mais tous les témoignages des envoyés spéciaux concordent pour indiquer que le danger est une notion très relative sur les théâtres de guerre : « on peut se sentir en sécurité, et on peut basculer en quelques secondes dans l'insécurité », relève Bruno Daroux, grand reporter à Radio France Internationale, relayé par sa collègue Anne Corpet : « la gestion du risque n'est pas quelque chose qui s'apprend à l'école... on a toujours en tête que, même si la situation est calme, quand on a affaire à des gens en armes, à des passions, tout peut basculer. » Oui, confirme Michel Peyrard, « la gestion du risque est quelque chose qui s'appréhende au jour le jour... Et depuis 10 ans nous avons beaucoup de problèmes pour couvrir les conflits. Il faut constamment improviser ».
Parce que les temps ont bel et bien changé. « Ce qui a réellement changé, c'est que les journalistes désormais sont des cibles. Autrefois, ce à quoi on assiste était très rare... » commente Robert Ménard, en ajoutant : « les risques augmentent beaucoup ces dernières années car nous ne sommes plus dans des cas de guerres conventionnelles. Il n'y a plus aujourd'hui de ligne de front bien déterminée et stable ».
Depuis une décennie – et tout le monde s'accorde à situer le tournant dans les années 90, avec la fin de la guerre froide et l'apparition de nouveaux conflits de nature planétaire comme la guerre du Golfe – la liste des correspondants de guerre tués dans l'exercice de leur métier est longue : si le Proche-Orient n'a pas été en l'occurrence l'endroit le plus meurtrier (mais deux britanniques de la BBC étaient tués en Irak en mai 1991), les conflits de nationalités en Europe ont fourni de nombreuses victimes : Slovénie (2 journalistes autrichiens tués par un tir de missile), Croatie (où meurt le journaliste du Nouvel Observateur, Pierre Blanchet, ainsi que le suisse Damien Ruedin, après l'explosion d'une mine), Bosnie bien sûr (où des journalistes espagnols, italiens, américains trouvent la mort), et spécialement ces dernières années la Tchétchénie et le Kosovo (où le magazine Stern a déjà perdu des journalistes). En Afrique, on relève des victimes en Somalie et en Sierra Leone. En Asie, au Timor Oriental...

Les journalistes, désormais des cibles

Tous ne sont pas tués dans les mêmes conditions. C'est parfois l'œuvre de la malchance, qui indique seulement que le moindre déplacement peut être risqué dans des zones marquées par l'insécurité. D'autres fois, et de plus en plus souvent, les journalistes sont ouvertement pris pour cibles, comme par les « snippers », ces francs-tireurs qui ont fait tellement de victimes en Europe centrale et orientale. Tout récemment, le 28 septembre 2001, en Ulster, un journaliste britannique était froidement abattu par des inconnus qui perpétraient ainsi le premier assassinat dirigé contre les médias dans le conflit en Irlande du Nord.
Pourquoi ? Pourquoi viser ces gens qui ne font que leur métier, sans être partie prenante ? C'est que tous les protagonistes « ont compris qu'on gagnait ou qu'on perdait les guerres avec les médias », analyse Alain Louyot, rédacteur en chef à l'hebdomadaire L'Express. « On cherche donc, beaucoup plus qu'avant, à cacher les faits. » Les journalistes ont à lutter contre cette tentative de mainmise sur la communication : ils sont donc à leur tour des cibles.
A cet ensemble de constats, on peut ajouter celui-ci : l'émoi est grand, son retentissement parfois énorme, lorsque des journalistes occidentaux sont frappés. Cet effet d'amplification est lié au statut de ces correspondants de guerre : venus témoigner, ils sont les relais de l'information auprès des plus puissants des mass médias, et leur rôle revêt une importance stratégique dans les conflits de grande intensité. Mais Robert Ménard, comme la plupart de ses collègues, abjure de ne pas oublier les journalistes locaux : « sur les 750 journalistes tués dans le monde depuis 10 ans, 93 % d'entre eux sont des journalistes du pays considéré. Pour eux, on ne se mobilise pas... »

Thierry Perret



Portrait d'une amie en baroudeuse...

(MFI) C'est la première fois que Radio France Internationale perd un de ses journalistes sur un terrain de conflits. Pourtant, depuis une dizaine d'années, l'évolution progressive de la station publique française, d'abord généraliste, vers une radio d'information en continu a vu se multiplier les envois de reporters dans les zones chaudes du globe. De la guerre du Golfe aux conflits communautaires en Europe de l'Est, au Proche-Orient et en Asie, RFI qui a parachevé en 1999 sa mutation vers un « format » de radio tout-info est désormais partout, avec toujours une prédilection pour l'Afrique sillonnée en permanence par ses envoyés spéciaux. Cette nécessité d'assurer une présence, à tout moment sur le terrain, a entraîné la création, en septembre 1996, d'un service reportages au sein de la rédaction de RFI.
Johanne Sutton, tombée le 11 novembre au Nord de l'Afghanistan, avait rejoint l'équipe, après avoir été correspondante à Londres. Elle n'allait plus quitter le domaine du grand reportage, ayant même assuré un temps la direction du service. Pourtant, personne ne semblait plus éloignée qu'elle de l'image qu'on peut se faire du « reporter de guerre », amateur de sensations fortes et de situations limites. A bientôt 35 ans, Johanne Sutton était d'un tempérament jovial et surtout pondéré. Ses proches appréciaient son esprit critique et ses scrupules dans l'exercice d'un métier dont elle connaissait parfaitement les travers désinvoltes ou impressionnistes. Sa voix claire, son goût de la précision, son refus des effets oratoires ont fait beaucoup pour lui gagner l'estime de ses confrères.
Elle témoignait par l'exemple de ce que les journalistes de terrain n'ont aujourd'hui plus grand chose de ce style flamboyant et cynique qui composait la légende, largement artificielle, des grands reporters d'autrefois. Désormais, lorsqu'un reporter d'un grand média « couvre » une guerre, il ne saurait perdre de vue que sa mission est d'informer, et non de se mettre en scène. Il sait que l'industrie des médias est exigeante, qu'il lui faut beaucoup produire pour nourrir, comme en radio, les bulletins d'information à l'heure ou la demi-heure, qu'il doit être organisé et ponctuel et réduire au minimum les aléas de sa couverture. Il sait aussi bien sûr qu'un journaliste blessé ou mort ne sert plus sa vocation... De quoi souligner que les « kamikazes » et autres « baroudeurs » en style treillis n'ont plus très bonne presse dans un métier qui, notamment dans les zones de guerre, n'a plus rien de solitaire : quelques 2000 journalistes se sont ainsi retrouvés en Asie centrale pour suivre la guerre d'Afghanistan. Et ici comme ailleurs, ils travaillent en groupe, partagent les moyens logistiques, montent en commun les reportages.
La gestion du danger est affaire collective. Elle ne peut faire totalement l'économie d'une « prise » de risque toujours mesurée, souvent dictée par les événements. « N'oublions pas, remarque Anne Corpet, de RFI, que les journalistes prennent ponctuellement des risques pendant une, deux semaines, quand toute une population subit le danger au quotidien... c'est surtout pour parler des risques encourus par les autres que nous devons être là. » Les grandes rédactions sont de leur côté soucieuses de limiter au maximum la part laissée au risque, n'hésitant pas si nécessaire à affréter des véhicules blindés pour assurer la protection des leurs. Et le gilet pare-balles fait désormais partie de l'attirail du correspondant de guerre. Ensuite, tout est affaire d'appréciation : « à Sarajevo, témoigne une consœur, les journalistes étrangers ont refusé de porter des gilets pare-balles, lorsqu'il s'agissait d'aller interviewer des gens qui n'en avaient pas... et puis, c'est une protection très relative. »

T. P.





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