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04/04/2002
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Elections 2002 au Mali (1) : Ainsi va la politique !
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(MFI) Quelle place l’homme malien accorde-t-il à la politique ? La réponse à cette interrogation est peut-être celle qu’on attend le moins, nous instruit ce collaborateur du journal L'Aurore… Cet article a été réalisé pour MFI en partenariat avec la Maison de la Presse de Bamako.
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Son et lumière
La conversation qui suit se déroule quelques jours avant la visite du général Amadou Toumani Touré (ATT) à Sikasso, à 450 km de la capitale, pour sa déclaration de candidature à la présidentielle. L’événement est attendu. Propos échangés avec un jeune homme de Sikasso :
Il paraît que les clubs de soutien à la candidature du Général ATT sont très dynamiques ici ! Vrai ?
Bien vrai ! Tenez, chaque fois qu’ils organisent une soirée de Bala*, il y a foule !
Ah oui ? ATT a donc des chances à Sikasso ?
Ça, c’est vous qui le dites !
Vous venez de prétendre que les clubs de soutien drainent toujours un monde fou quand…
Et alors ? Tu ne comprends pas vite, toi ! Écoute bien ! Même si en ce moment précis, TOI, tu organisais une soirée de bala, il y aurait foule !
Inutile, donc, de fréquenter la Sorbonne pour apprendre qu’à Sikasso la danse et la musique viennent toujours avant la politique. Les politiques, eux, l’ont compris. Alors, on joint l’utile à l’agréable : ici et partout ailleurs dans le pays, un message politique adressé au peuple n’a de chance d’être perçu que s’il est accompagné de son et de lumière. Ainsi la capacité de mobilisation d’un parti politique, petit ou grand, dépendra en grande partie de la performance des artistes invités. Et puisque les prestations se monnayent selon la célébrité de ceux-ci, il est sûr qu’un « petit » a peu de chance d’offrir un grand spectacle à ses « militants ». Tant pis pour le message !
Drôles de militants !
Rendez-vous au Palais des Congrès, un des sanctuaires qui abrite le plus de rencontres politiques, et où se tient le congrès d’un des 80 partis politiques du pays. Au même moment, et à 500 mètres, un autre est en conclave…. C’est la période électorale, non ?
En apparence, rien n’unit les deux formations. En apparence seulement ! Ce jeune militant à la carrure plutôt athlétique en est le lien. Il est à la tête d’un groupe d’une trentaine de jeunes, tous aussi séduisants : des pompom-girls, et dans des tenues à faire changer un misogyne d'opinion. Un détail troublant cependant pour un observateur averti : malgré la canicule (pas moins de 35 °C) en ce mois de mars, ces jeunes portent tous deux t-shirts. En dessus, celui arborant les signes distinctifs de la formation politique à l’honneur. Si vous n’avez pas encore compris, apprenez alors que l’homme à la forte musculature est une sorte de chef d’entreprise à la tête de ses employés. Un parti politique a besoin de leurs services ? Lui et sa troupe sont payés pour être là, sous les cameras de l’unique chaîne de télévision du pays afin d’impressionner et influencer les opinions, inspirer la crainte chez l’adversaire…. C’est ce qu’il convient peut-être d’appeler le culte de la mobilisation, qui voit le baraqué et ses compagnons quitter un congrès pour l’autre, 500 mètres plus loin, après s’être fait payer en espèces sonnantes.
Ces groupes ont aujourd’hui tendance à se professionnaliser. Beaucoup se sont mués en clubs soutenant la candidature des leaders politiques ou de toute personne soupçonnée d’avoir des ambitions électoralistes à moyen, long ou court terme. Certains envisagent même de se transformer en partis politiques… Il va sans dire que tous les partis ne peuvent s’offrir le service des clubs de soutien. Là aussi, il est question de sous. Celui qui n’en a pas tiendra peut-être ses assises à l’ombre d’un manguier ou… luxe insolent, dans une cour d’école momentanément abandonnée par ses occupants. Afin d’éviter ce sort peu enviable, on supplie presque les grands d’accepter une hypothétique alliance. Ici en politique, l’argent fait le bonheur.
Si tu n’es pas avec moi, alors…
Ailleurs, peut être qu’on adhèrera à une formation politique par conviction, par choix personnel et réfléchi, selon le programme proposé. Au Mali aussi, ça peut arriver. Il faudra cependant ajouter parmi les éléments qui forgent une opinion les rapports sociaux, le charisme du chef, la famille, le cercle des amis, bref, tous les ingrédients collectifs. Ne pas aller avec l’ami de son ami, le cousin, le beau-frère, la belle sœur, l’oncle, la tante, le proche collaborateur… C’est mettre en péril de bons rapports, et peut-être d’énormes intérêts. Le risque est trop grand et les casse-cou ne sont pas nombreux.
Ne jugez surtout pas ! Ici le social constitue bien souvent la solution, pas le problème. Puisque le « Djatiguiya* » ou respect de l’hospitalité, a su donner une dimension particulière à la 23e édition de la Coupe d’Afrique des Nations de football, peut être bien que le « Sinagouya* » ou cousinage à plaisanterie apaisera autant les appréhensions liées aux élections générales. Un des partis politiques l’a justement demandé.
On l'aura compris, au Mali les valeurs sociétales résistent encore au rouleau compresseur du temps et de l’influence étrangère. Pour le bonheur des politiques.
Boubacar S. Diarra
(L'Aurore)
Bala* : diminutif de balafon, xylophone. Instrument très prisé dans cette région du pays.
Djatiguiya* Mot bambara. Principe de l’hospitalité. Efficacement mis à profit par les autorités nationales pendant la CAN 2002.
Sinagou* : Sorte de cousinage entre personnes d’ethnies ou de classes sociales différentes. Il permet aux « sinagou » ou cousins à plaisanterie de se lancer des boutades et de se dire des vérités souvent amères dans la plus grande détente et sans conséquences. Le principe a pour objet d’atténuer les pesanteurs sociales…
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