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27/06/2002
De l’Argentine à l’Afrique du sud : une nouvelle justice pour affronter les bourreaux

(MFI) Les commissions d’enquête « Vérité et Réconciliation » se sont multipliées à travers le monde au cours de ces vingt dernières années. Elles ont fait surgir une nouvelle notion, celle d’une justice transitionnelle, sans juges ni tribunaux. Grâce à elle, les sociétés démocratiques apprennent à affronter la part sombre de leur histoire.

Du Nord au Sud, et d’Est en Ouest, il y en aurait plus d’une vingtaine, jusqu’à trente, si l’on rajoute celles qui n’ont pas été au-delà de la publication de leur rapport. Plus de vingt commissions (Vérité et Réconciliation, Vérité et Justice, Clarification historique…). Peu importe les noms, les objectifs restent les mêmes : faire la vérité sur les sales guerres qu’ont mené les dictatures contre leur population et se donner une chance de reconstruire une société plus juste et plus équitable. Une fonction morale et historique qui n’utilise pas les instruments traditionnels de la justice, mais favorise son œuvre.
Leur caractéristique principale tient aux circonstances de leur création : une période transitoire où un minimum de paix sociale est nécessaire pour que les nouvelles structures démocratiques se mettent en place. De ce fait, elles s’inscrivent dans les accords de paix entre l’ancien et le nouveau pouvoir, soulignant la rupture, ou la volonté de rupture, avec un passé répressif. Leur indépendance est primordiale : le pouvoir exécutif décide de leur constitution, mais les membres d’une commission n’ont jamais de lien avec lui. Ces derniers sont issus de la société civile : représentants religieux et d’organisations de défense des droits de l’homme, juristes, universitaires reconnus pour leur probité par l’opinion publique (entre 7 et 15 membres). Les commissions sont temporaires et sont donc dissoutes à la fin de leurs travaux. Elles enquêtent sur une période déterminée, généralement beaucoup plus longue que celle retenue par les Tribunaux internationaux ad hoc, chargés de juger les crimes contre l’humanité, et de génocide : 35 ans de dictature au Guatemala, 34 ans d’apartheid en Afrique du Sud, 17 ans et 7 ans de guerre intérieure, respectivement au Chili et en Argentine, 16 ans au Nigeria, 10 ans en Sierra Leone. Elles n’ont pas mandat d’engager des poursuites contre les accusés : il s’agit d’établir des faits à partir des témoignages des victimes et des bourreaux que l’on cherche tant du côté des appareils d’Etat (administration, armées, polices, milices para-militaires) que du côté des opposants (A.N.C et Inkatha en Afrique du Sud, Sentier Lumineux au Pérou, etc.). Seule jusqu’à présent, la commission Vérité et Réconciliation sud-africaine a été dotée du pouvoir d’amnistier des criminels : sur 7 100 demandes d’amnistie, 913 ont répondu aux critères exigés. Les commissions peuvent être consultées sur le montant de l’indemnisation des victimes.


Un pays, une commission

« Chaque pays doit trouver son modèle » répète Alex Boraine, ancien membre de la commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud, aujourd’hui président du Centre international pour la Justice transitionnelle. Montée en exergue par les média, en raison de sa puissante symbolique, la Truth and Reconciliation Commission, qui a fermé ses portes officiellement le 12 décembre dernier, a éclipsé le travail des autres commissions dans le monde. Il est vrai que certaines d’entre elles n’ont pas entraîné autant d’émotions, puisque les témoignages étaient recueillis à huis clos, comme en Ouganda, lorsque Idi Amin Dada avait dû céder devant la pression internationale en constituant une commission d’enquête sur les exactions de son prédécesseur, Milton Oboté. Créée en 1974, elle est la plus ancienne des structures, qui dans ce cas précis, se voulait « de transition ». Douze ans plus tard, Yoweri Museveni répètera le même exercice, sans déclencher un grand intérêt. D’autres ont eu l’éclat des étoiles filantes. La commission nationale de vérité et justice haïtienne enquêtant sur les violations des droits de l’homme entre septembre 1991 et octobre 1994 a retenu 5 450 témoignages sur un total de 20 000 cas qui lui ont été présentés. Le président Jean-Bertrand Aristide n’a pas rendu publiques ses conclusions et a encore moins entamé des poursuites contre les criminels. Au Salvador, cinq jours après la présentation du rapport de la Commission Vérité, le gouvernement promulgue une loi absolvant tous les « crimes politiques ». Au Guatemala voisin, les dictateurs avaient annoncé qu’ils pacifieraient le pays « même s’il fallait le transformer en cimetière » : 200 000 victimes, en majorité indigènes ; 626 massacres commis par l’armée, recensés par la Commission de clarification historique, en deux ans d’enquête. Aucun responsable n’a été jugé. L’Eglise catholique a mené des investigations parallèles : l’un de ses évêques a été assassiné deux jours après la publication de son rapport. Fait réconfortant, le travail initié par ces commissions peut avoir des conséquences à plus long terme. En 1984, la commission nationale sur les disparus argentins dresse une liste de 8 960 personnes sur les 30 000 cas qui lui ont été présentés. Impact limité : une petite poignée de militaires et le chef de la rébellion péroniste seront condamnés, puis amnistiés par le président Raul Alfonsin, avant que des tortionnaires, épuisés par le remords, brisent la loi du silence en 1994, relançant de nouveaux procès. Au Pérou, le président Alberto Fujimori avait proclamé une loi d’amnistie en 1995. Elle a été annulée par la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme. La première séance de la commission péruvienne Vérité et Réconciliation s’est ouverte le 8 avril dernier.
Emotionnellement spectaculaires, les séances des commissions « ne doivent pas être considérées comme des psychothérapies individuelles ou de masse » insistent les spécialistes. Le face à face entre victimes et bourreaux vise à combattre le déni des violences, à lutter contre l’oubli. Certes, n’y témoignent souvent que les meurtriers subalternes. Mais les grands ordonnateurs de ces crimes n’ont qu’à bien se tenir : le cas du dictateur Augusto Pinochet, arrêté à Londres sur instruction d’un juge espagnol, avant d’être renvoyé au Chili, où les procédures ont été engagées contre lui est attentivement suivi par les juristes.

Marion Urban


Le centre international pour la justice transitionnelle

(MFI) Le Centre international pour la Justice transitionnelle a été créé à New York, en mars 2001, avec le soutien de plusieurs fondations privées, dont la fondation Ford. Présidé par Alex Boraine, pasteur méthodiste, militant anti-apartheid et ancien membre de la commission Vérité et Réconciliation d’Afrique du Sud, le centre intervient auprès de ceux qui souhaitent établir des structures de justice de transition. Les organisations non gouvernementales d’une quinzaine de pays, et les Nations unies, ont déjà sollicité son aide, à différents niveaux, soit au moment de la constitution, soit après. En 2002, le CIJT a organisé pour la première fois un programme de formation d’une durée de six mois en collaboration avec des institutions sud-africaines. Une douzaine de responsables d’organisations de défense des droits de l’homme, originaires d’Asie et d’Afrique, en ont bénéficié.

M. U.




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