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16/08/2002
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Le 11 septembre, vu d’Afrique (1) : Le devoir du plus fort
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Lorsque « l’indicible » arrive en Amérique le 11 septembre 2001, un léger frisson traverse l’opinion publique africaine. A l’ombre de la compassion convenue des officiels, une frange importante de l’élite intellectuelle et de la presse indépendante hésite : le combat des « bourreaux » de l’Amérique ne serait-il pas celui des damnés de la terre, contre l’opulence, l’insolence et l’arrogance des super-puissances ? D’ailleurs, murmure cette opinion, de s’être ainsi frottée au drame ne peut que rendre l’Amérique plus humble. Plus sensible. Et, surtout, la rapprocher de l’Afrique, dépotoir des maux de l’humanité, par l’effet d’une inattendue « solidarité des opprimés ».
Erreur d'aiguillage
Très vite cependant, la logique implacable des faits corrige l’erreur d’aiguillage contenue dans ces deux prétentions : bien que les tours se soient effectivement effondrées à New York, l’opinion africaine comprend, d’une part, qu’elles ont englouti de nombreux innocents dans leurs entrailles fumantes, au nombre desquels figuraient des Africains. Les auteurs présumés des attentats feront le reste, en inscrivant leur action dans la dynamique d’une guerre de musulmans contre les non croyants, d’autre part. L’instituteur animiste chrétien de Yaoundé comprend alors qu’aux yeux de Ben Laden, il est autant coupable d’impiété que le fermier protestant du Texas. Les élans de solidarité des masses africaines envers l’Amérique éplorée n’en devinrent que plus sincères.
Un an après, cependant, l’opinion africaine s’angoisse de savoir si, pour l’Amérique elle même, le drame du World Trade Center aura été porteur de sens. Ses larmes avaient à peine séché, son deuil à peine achevé, qu’elle menaçait de renverser tel régime ici, refusait de se soumettre à la Cour pénale internationale là et, surtout, continuait de considérer les démunis de la planète avec condescendance. La fragile quiétude des cultivateurs de coton du Nord du Cameroun est ainsi précarisée par la politique américaine de subvention aux agriculteurs. Des récoltes record ont été enregistrées dans la plaine de la Bénoué, où le coton fait vivre 300 000 familles. Mais d’un coup, tous les efforts sont annihilés, parce que l’Amérique décide de subventionner ses agriculteurs. Qui ne mourraient pas de faim, si elle ne le faisait pas.
Les lois implacables du commerce mondial
L’histoire continue pourtant de s’écrire en Afrique : le projet de l’Union africaine est ainsi avancé, celui du Nepad aussi. Fébrilement, le continent noir tente, par ailleurs, de saisir les opportunités plus ou moins fugaces de l’African growth and opportuny act (AGOA). Qui ne sont réelles que dans les rares pays où l’appareil de production industrielle existe, même à l’état embryonnaire. Les lois implacables du commerce mondial ne suffisent manifestement pas, seules, à sortir le continent de sa marginalisation, l’AGOA en étant l’exemple le plus frappant. Pour l’Afrique, en tout cas, la conversion de l’Amérique à une solidarité plus active est un enjeu décisif, une question de survie.
Que le pays de Georges W. Bush reste muet à cet égard indique-t-il qu’il fut sourd au grondement des tours qui s’effondraient, dont l’écho disait la douleur d’une frange de l’humanité ? Qu’il ait choisi, par là même, de rester aveugle à la mondialisation de la solidarité, véritable défi de notre temps ? L’après 11 septembre n’est pas terminé. Heureusement. Il ne fait même que commencer. Les puissants lobbies pétroliers africains et américains, qui ont l’Afrique à cœur chacun pour ses raisons, convaincront peut-être l’Amérique que le devoir du plus fort n’est pas seulement de veiller à la sécurité du monde, mais, aussi, de construire la solidarité.
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Par Marie-Claire Nnana,
Directrice générale de Cameroon Tribune (Cameroun)
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