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16/08/2002
Le 11 septembre, vu d’Afrique (2) : L’Amérique, une victime coupable

Depuis plus de deux décennies, l’islam s’est affirmé comme une troisième force idéologique et politique. Cette tendance qui marque de plus en plus le contexte politique international s’est lourdement confirmée avec les attentats du 11 septembre 2001. Ces événements ont en effet constitué le paroxysme d’une lutte politique et idéologique menée par des hommes et des organisations, à travers le monde, au nom de l’islam ou en référence à cette religion. Après le «péril rouge», pourrait-on donc parler de «péril vert» ? Après la fin de la guerre froide et du choc entre le communisme et le capitalisme, la dualité des affrontements qui caractérise la géopolitique mondiale consacre-t-elle l’islam comme le rempart auquel doit se heurter l’Occident ?
La stupeur qui a saisi le monde devant les attentats qui ont frappé le World Trade Center et le Pentagone n’a pas épargné l’Afrique. Le choc a été réel. Mais le temps des émotions passé, quand il a fallu s’interroger sur le sens d’une telle action, à travers ses motivations et ses finalités, on s’est retrouvé face à une Amérique qui ne peut se présenter comme une victime innocente. A travers son rôle de super régent de l’ordre mondial, elle a cristallisé les frustrations de populations qui, à travers le monde, souffrent d’injustices politiques, économiques, etc., nées d’un système de domination qui renforce leur dépendance et leur misère.


Une réponse par la violence

Dans le monde musulman, en Afrique en particulier, les attentats du 11 septembre ont été perçus comme une réponse par la violence à d’autres formes de violence dont la plus expressive est celle qui se manifeste au Proche-Orient, dans le conflit israélo-palestinien, avec le soutien apporté par Washington à Tel Aviv. Cette perception largement partagée induit une nouvelle lecture de l’histoire. Francis Fukuyama parlait de La fin de l’histoire (1990), mais il faut considérer que l’histoire continue. Sauf que ses paramètres ont changé et qu’il faut bien parler aujourd’hui, avec Samuel Huntington (Foreign Affairs, Summer – 1993) de Choc des civilisations. Plus qu’à travers une simple bataille idéologique, c’est sous cette dimension que l’islam s’oppose aujourd’hui à la civilisation judéo-chrétienne occidentale.
Quand le président George W. Bush, au lendemain des attentats, a désigné l’ennemi à combattre dans le cadre de la nouvelle «croisade» de l’Amérique, c’est l’islam qui a été en ligne de mire. Les déclarations faites par la suite pour parler de «lutte finale», éviter la généralisation, et indexer en particulier le régime afghan, Al Qaida et quelques autres pays (dont le Soudan et la Somalie), n’ont guère changé les données du problème. Les mots utilisés par le président américain pour mobiliser l’opinion publique occidentale et désigner l’islam comme l’ennemi ont été lourds de sens. Ils renvoient à l’ancien testament et ne pouvaient être compris autrement par les musulmans.
En Afrique comme ailleurs dans le monde musulman, on a senti que les distinctions faites par Washington entre l’«axe du mal» et les autres membres de la Oumma n’étaient qu’artifices. Les attaques sont dirigées contre l’Afghanistan, mais c’est l’islam dans sa globalité qui est à combattre. En Afrique, des musulmans ont mêlé leurs voix aux concerts d’indignation qui se sont élevés devant les frappes massives contre les Afghans. Que ce soit au Sénégal ou ailleurs.


Le cas du Sénégal est édifiant

La réaction de l’Amérique et des occidentaux aux événements du 11 septembre a surtout montré, à travers cette facilité à diaboliser l’islam, que le dialogue des civilisations se heurte à des préjugés qu’il sera difficile de dépasser. Les paroles prononcées par le président du Conseil italien Silvio Berlusconi, pour parler de l’islam comme d’une civilisation barbare, montrent bien la réalité d’un tel antagonisme. Le niveau d’ouverture atteint par l’islam à l’endroit des autres religions et civilisations n’a sans doute pas pareil répondant de l’autre côté. La tolérance est une donnée réelle de l’islam, vécue intensément en Afrique. Le cas du Sénégal, un pays à 95 % musulman, est édifiant sous ce rapport.
L’Afrique, dans une bonne partie de ses régions, a connu très tôt, dès le IXème siècle, la pénétration de l’islam en tant que religion mais aussi en tant que système politique, économique, social et culturel. Encore qu’on ne puisse dissocier la naissance de l’islam et l’Afrique, si l’on se réfère à l’exode des compagnons du Prophète Muhamad venus chercher refuge en Abyssinie (actuelle Ethiopie) devant l’hostilité des populations mecquoises ( 615 ap J.C. ). Les réactions qu’on a enregistrées çà et là, sur le continent, suite aux attentats du 11 septembre 2001, tiennent à ce vécu historique qui fait de l’islam une donnée vivace dans nombre de pays d’Afrique.
Le sentiment d’appartenance à la Oumma et de solidarité avec les causes qui interpellent l’islam tiennent à des racines profondes. Au XVIIe siècle déjà, le Nord du Sénégal a abrité des Etats musulmans sous la direction de Souleymane Baal et ensuite d’Abdou Khadr Kane. Leur combat trouvera sa continuation à travers le djihad et la lutte contre la colonisation menée par le marabout guerrier El Hadj Omar Tall.


Le cercle vicieux de la pauvreté

Les événements du 11 septembre et l’offensive occidentale qui en a découlé ont été un révélateur pour les musulmans. Ils se sont sentis face à la réalité d’une guerre multiforme que leur mène l’Occident au nom d’une civilisation judéo-chrétienne. Une domination par les armes et un asservissement à travers le cercle vicieux de la pauvreté que vient renforcer la mondialisation ; l’«américanisation» diraient d’autres. L’offensive contre le pouvoir afghan et les bases d’Al Qaida n’a pas été vécue par les musulmans d’Afrique comme une initiative isolée, mais comme une opération qui vise l’islam de manière globale et dont les premiers jalons ont été posés sur les terres d’Arabie.
Elle a aussi montré le caractère sélectif que l’Occident opère en matière de Droits de l’homme et de démocratie. Chaque jour qui passe et voit Israël multiplier les actes de violence impunis contre des Palestiniens spoliés de leurs terres renforce cette certitude d’une perception sélective d’un monde que d’aucuns veulent à l’image d’un Peuple élu.
De la même manière que le peuple indien a été décimé pour faire émerger une autre nation américaine, l’Amérique cherchera toujours à bâtir un monde à sa guise. Il aurait dû en être de même avec l’Afrique du sud sous la coupe de l’apartheid, mais quand les combattants de la liberté se mobilisent, leur lutte ne peut jamais être vaine. L’islam se trouve devant un tel défi.


Par Sidy Lamine Niasse,
Directeur de publication de Wal Fadjri (Sénégal)


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