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16/08/2002
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Le 11 septembre, vu d’Afrique (4) : L’Occident se barricade, l’immigration continue
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Même si son périmètre immédiat n’est pas barricadé comme l’est, désormais, celui de l’ambassade des Etats-Unis d’Abidjan-Plateau, le centre culturel américain d’Abidjan-Cocody (CCA) reste d’accès difficile. Depuis le 11 septembre 2001, date dont les Etats-Unis et la communauté internationale se souviendront longtemps encore. Parce que, ce jour-là, un attentat anti-américain a frappé le cœur de l’économie de la toute puissante Amérique, et que les tours jumelles du World Trade Center ont volé en éclats.
A Abidjan, en Côte d’Ivoire, les conditions d’entrée dans les représentations américaines officielles ont été revues et corrigées. Les fouilles sont renforcées et s’imposent à tout visiteur. Et même si vous êtes invité à une cérémonie au CCA, vous êtes tenu, par exemple, de vous passer de votre téléphone portable, tout le temps que vous passerez en ce lieu. Abidjan n’est pourtant pas une chaude banlieue de New York et la Côte d’Ivoire n’est pas, non plus, un Etat de la grande Amérique. Deux pays séparés par huit heures de vol.
Toujours est-il que la frappe du 11 septembre a tellement ébranlé les Américains qu’ils sont dans l’obligation de mettre en pratique le dicton selon lequel la confiance n’exclut pas le contrôle. Dressés par les Etats-Unis et leurs partenaires, des murs de méfiance montent davantage vers le ciel et dans les esprits, et permettent à ceux-ci de garder leurs distances vis-à-vis de deux phénomènes : principalement l’immigration et l’intégrisme religieux, perçus comme origine des pires actes terroristes dont les Etats-Unis aient été victimes depuis leur création.
Des contrôles tatillons
Dans les consulats, pour la délivrance des visas, dans les aéroports et aux frontières, les candidats aux destinations outre Atlantique sont l’objet de contrôles tatillons. Pourtant, ces tracasseries ne semblent aucunement émouvoir ou décourager les candidats au départ. De sorte que, à côté de l’immigration clandestine connue de tous, ou parallèlement à celle-ci, se développe un nouveau réseau. Il est constitué, celui-là, de ceux et celles qui quittent officiellement leur pays, remplissent toutes les conditions requises par le pays d’accueil, pour, curieusement, s’évader une fois arrivés en « terre promise ».
Si la filière n’est pas nouvelle, elle prend de l’ampleur. « Malgré toute notre vigilance, nous avons constaté qu’à la fin des JMJ (Journées mondiales de la jeunesse de 2000), ce sont trois cents de nos jeunes qui nous ont encore fait le coup en disparaissant dans la nature italienne » , regrette le président ivoirien de la Commission épiscopale de l’apostolat des laïcs, Mgr Laurent Mandjo, dans une interview à Fraternité Matin. Déjà, au terme des JMJ 1998 de Paris, l’Eglise catholique de Côte d’Ivoire a été peinée de constater qu’une centaine de jeunes de la délégation ivoirienne avaient disparu.
Aussi la conférence épiscopale a-t-elle décidé de ne faire partir personne aux JMJ 2002 du Canada, qui ont pris fin le 28 juillet dernier. Autre cas de fuite, dans un autre registre, celle d’une cinquantaine de membres du Ballet national qui ont choisi de résider en Espagne à la faveur d’une tournée officielle en Europe : « Nous sommes restés parce que le contrat n’a pas été respecté », affirmait récemment le porte-parole du groupe à un envoyé spécial de Fraternité Matin à Madrid. Plus récent, le cas de ce soldat qui a choisi l’occasion d’un pèlerinage à Lourdes pour se frayer un chemin en France.
Protéger les nationaux et leurs biens
Toutes choses qui viennent renforcer le bilan, déjà assez préoccupant, des clandestins d’Afrique et du Tiers-monde, qui dans les soutes et trains d’atterrissage des avions, qui dans des containers de bateaux, qui dans des embarcations précaires, prennent d’assaut les capitales du Nord, quand ils ne meurent pas avant d’atteindre leur objectif. Clandestins face auxquels le sommet européen de Séville de juin 2002 a décidé de prendre des mesures, plus strictes que par le passé, dont certaines interpellent les pays d’origine des émigrés.
S’il s’agit, dans ces pays du Nord, dont les Etats-Unis, de se protéger et de protéger les nationaux et leurs biens, des étrangers - de qui est venu et pourrait encore venir le danger - il est question surtout de se méfier des personnes proches (ou supposées telles) de certains mouvements extrémistes islamiques. Pourquoi ? parce que la dimension religieuse a été greffée aux causes de l’attentat. Avant de rectifier officiellement cette approche, les Etats-Unis en avaient fait, d’abord, une affaire de religion musulmane et, indirectement, une guerre de religions : musulmans contre chrétiens. De sorte que, partout où cohabitent - même pacifiquement comme en Côte d’Ivoire - les deux religions, la communauté internationale a cherché à s’intéresser (ou à déceler) une éventuelle détérioration des relations de bon voisinage, ou au maintien de celles-ci.
Musulmans et chrétiens « prient le même Dieu »
En juin 2002 à Daloa, centre-ouest de Côte d’Ivoire, une mosquée et une église ont été incendiées, rapporte El hadj Mamadou Traoré, cadre de banque à la retraite, imam de la mosquée d’Abidjan Riviera Golf. « En l’an 2 000, poursuit-il, il a été mis feu à plusieurs mosquées et églises ». Donc, de part et d’autre, il y avait des suspicions, notamment au niveau de la jeunesse. C’est ce qui justifie l’appel du Président du Conseil national islamique, El hadj Koné Idriss dit Koudouss. Il recommande aux jeunes musulmans de ne pas s’en prendre aux édifices chrétiens. « Cela est conforme au principe de l’islam », a-t-il expliqué à l’occasion d’une interview exclusive accordée à Fraternité Matin, édition du 30 juillet 2002.
Annonçant ses priorités, le nouvel imam de la mosquée de la Riviera Golf cite la formation des fidèles, l’unité des membres de la communauté musulmane, l’unité nationale entre musulmans et chrétiens qui, souligne-t-il, « prient le même Dieu ».
Les religions ont, dans tous les cas, fini par s’offrir un cadre d’échanges et se retrouvent dans le forum des chefs religieux. Pour se connaître davantage et contenir des crises qui n’éclatent qu’en période électorale, mais, pas systématiquement. Fort heureusement.
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Par Alfred Dan Moussa,
Directeur des Rédactions du groupe Fraternité Matin (Côte d’Ivoire)
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