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18/10/2002
Spécial IXe sommet francophone
La démocratie sous observation : la Francophonie élargit ses réseaux…


(MFI) Discrète et plutôt confinée jusqu’ici aux cercles spécialisés, la construction progressive de réseaux francophones pour la démocratie et les droits de l’homme a trouvé au IXe sommet francophone, à Beyrouth, un nouvel essor et une plus grande visibilité en affichant ses ambitions : constituer un véritable outil de vigilance démocratique.

Tenue en prélude au sommet de Beyrouth, la première assemblée des instituts et des réseaux francophones des droits de l’homme, de la démocratie et de la paix aura été l’un des principaux temps forts de la réunion francophone. Cette assemblée a concentré des débats intenses entre juristes, universitaires, institutionnels et représentants d’ONG avec une ambition affirmée : préparer la « feuille de route » de la Francophonie en matière d’approfondissement et d’accompagnement de la démocratie pour les années à venir.
Le bâtonnier français Mario Stasi a pu ironiser sur ce « petit sommet », par opposition aux « grands », en soulignant qu’il semblait « assez évident qu’ils (les chefs d’Etat francophones) feront ce que nous leur indiquerons… » La réalité est peut-être toute autre, mais le ton était donné. Il s’agissait, deux ans après le colloque de Bamako sur la question, de relancer la réflexion sur la démocratisation dans l’espace francophone en affinant les idées et en précisant les moyens d’intervention de l’organisation. Bref, de servir un peu de « boîte à idées », ou plutôt de « boîte à outils » selon la formule de Jean du Bois de Gaudusson, président de l’AUF (Agence universitaire de la Francophonie), en partant de ce constat : « deux ans après Bamako, il fallait que nous avancions, si nous voulions rester crédibles et entretenir la dynamique en cours.

onner à la Francophonie de nouveaux moyens d’intervention

Alors que les chefs d’Etat francophones en étaient encore, à Beyrouth, à adopter solennellement les conclusions de la réunion de Bamako, l’organisation francophone prépare donc déjà la suite. Ceci sous l’égide d’une Délégation aux droits de l’Homme et à la démocratie qui devrait, après plusieurs années de travail parfois méconnu, voir renforcer ses moyens et son champ d’action. Dirigée par la française Christine Desouches, la délégation a été en novembre 2000 le maître d’œuvre de la déclaration (et du plan d’action) de Bamako, dont on rappellera les objectifs : donner à la Francophonie les moyens institutionnels d’une intervention politique auprès de ses Etats membres, pour tout ce qui touche à la démocratie et au respect des droits de l’Homme, intervention qui peut aboutir à des sanctions, voire à l’exclusion. Une fois ce principe acquis, il reste à préciser et améliorer les mécanismes qui fondent cette intervention, et surtout, dans un domaine délicat et controversé, l’appuyer sur un code de conduite et un véritable dispositif d’observation de l’état de la démocratie et des droits de l’Homme en Francophonie.
Concernant les modes d’intervention, les améliorations à apporter au dispositif de Bamako font l’objet d’un consensus. Alors que Bamako instituait un système d’ « alerte précoce » sur les manquements à la démocratie et sur ses violations constatés dans l’espace francophone, il est apparu nécessaire de préciser et compléter ses modalités de mise en œuvre : délais, mécanismes de saisie et d’information de l’organisation, et suivi des actions.
Des participants comme la FIDH (Fédération internationale des droits de l’Homme) ont mis aussi l’accent sur la publicité qui doit accompagner toute procédure. Et s’inquiètent de savoir comment la société civile, dont le rôle est souligné dans le plan d’action de Bamako, peut être associée au dispositif. Ce qui, au-delà du champ d’application des résolutions de Bamako, pose une fois de plus la question du positionnement des ONG en Francophonie, et notamment de leur participation officielle aux instances francophones, comme les sommets. En leur reconnaissant un statut, la Francophonie disposerait là d’un acteur important en matière de vigilance démocratique. Mais la question n’est pas résolue.
Un autre souci majeur concerne la situation des défenseurs des droits de l’Homme, toujours soumis à d’intenses pressions dans plusieurs pays francophones. Les violations des droits de l’Homme commencent là, a-t-on convenu, et la réunion de Beyrouth propose à la Francophonie de compléter le dispositif de Bamako par la création d’un instrument ad hoc : il s’agit de créer un poste de rapporteur spécial auprès de l’organisation internationale de la Francophonie (OIF) chargé des défenseurs de droits de l’homme.

Création du réseau francophone des droits de l’homme

On est déjà là dans la question de l’accompagnement du processus de Bamako par des instruments appropriés. Pour être crédibles, les interventions de la Francophonie auprès de ses propres membres en matière de démocratisation doivent être fondées sur une expertise et un système d’évaluation rigoureux. La Délégation à la francophonie de l’OIF poursuit sur ce point la même approche, fondée depuis plusieurs années sur la mise en place de réseaux spécialisés francophones, destinés avant tout à l’échange et à la formation entre ses membres, qu’il s’agisse des barreaux francophones, des cours constitutionnelles et des cours de cassation, des médiateurs et autres « ombudsmans », ou encore des hauts conseils de la communication. L’idée qui prévaut est d’intensifier les concertations et la communication au sein de ces réseaux, et entre les réseaux eux-mêmes, pour former un ensemble de ressources pouvant œuvrer à l’approfondissement au quotidien de la démocratisation. Mais ce maillage francophone, dans la sphère surtout juridique, doit aussi contribuer à l’observation des processus de démocratisation.
Evoquée depuis deux ans dans son principe, la mise en place d’un Observatoire permanent des pratiques de la démocratie, des libertés et des droits de l’homme a encore une fois été largement discutée à Beyrouth. Tous les participants réclament la mise en place rapide d’un tel observatoire, « fondé sur un réseau de compétences », dont le statut et le fonctionnement est toujours en débat. Un point d’appui considéré comme crucial à ce processus a été, à Beyrouth, la création du Réseau francophone des instituts des droits de l’homme, qui regroupera à la fois les instituts des droits de l’homme, les centres universitaires et la société civile à travers les ONG. Le nouveau réseau, qui a pour mandat selon le président de son Comité de suivi, le Libanais Georges Assaf, « l’observation des pratiques de la démocratie selon les termes de la déclaration de Bamako », est plus spécialement chargé de l’observation des procès, du déroulement des opérations électorales, et en général du fonctionnement des institutions.

Thierry Perret


Encadré 1 : Un réseau pour les droits de l’homme

(MFI) L’acte de naissance a été signé à Beyrouth. Le nouveau réseau francophone « des instituts des droits de l’Homme, de la démocratie et de la paix » a vocation à mettre en œuvre et accompagner les engagements pris par les chefs d’Etat et de délégation francophones dans l’application du processus de Bamako. Information, formation et intervention en matière de démocratie et de droits de l’homme sont les trois axes de ce nouveau réseau, à quoi il faut ajouter une composante désormais essentielle : l’observation. ette intervention se distingue de celle des ONG, dans la mesure où ce réseau a pour but de transformer les infrastructures de la démocratie »ique son principal animateur, Georges Assaf. C’est donc une action de fond qui est ici envisagée, que doit préciser un programme d’action qui englobera à la fois la recherche (sur les droits économiques, sociaux et culturels notamment), la formation (à l’observation des procès, pour assurer une veille juridique francophone) et l’observation et l’analyse des systèmes politiques.
Le réseau, pour lequel un comité de suivi a été installé, est dirigé par Georges Assaf, avocat et directeur de l’Institut libanais des droits de l’Homme. Le choix n’est pas neutre, car depuis 1997, dans un contexte très difficile, l’institut a assuré de nombreuses tâches en la matière : diffusion de la culture des droits de l’homme parmi les avocats et juristes, formation des avocats à l’application des conventions internationales, organisation de conférences internationales etc… le type de rapports instauré avec les autorités est assez remarquable, puisque les efforts de l’institut ont permis d’aboutir à une réforme du système des prisons au Liban, ont porté aussi sur la réforme audiovisuelle, sur le projet d’institution d’un médiateur de la République, toutes choses désormais prises en compte. L’institut, confie non sans satisfaction Georges Assaf, est considéré comme une des « success story » de l’union européenne qui a contribué à son financement.
T. P.


Encadré 2 : Les réseaux et leurs acteurs : faut-il élargir le processus de Bamako ?

(MFI) Plus ou moins directement liés au processus de Bamako, de nombreuses autres propositions ou options sont avancées aujourd’hui par les acteurs des réseaux francophones. On souhaiterait ainsi que les Etats membres franchissent une étape en ratifiant tous les instruments internationaux liés à la pratique et au respect des droits de l’homme et de la démocratie (on cite notamment le protocole de création de la cour africaine de défense des droits de l’homme et des peuples). On regrette qu’une avancée aussi cruciale que la création de la cour pénale internationale n’ait pas été aussitôt accompagnée par les Francophones, priés de ratifier le traité de Rome et de renoncer aux accords d’impunité passés avec les Etats-Unis par certains d’entre eux. On déplore la tenue trop fréquente de procès peu équitables dans l’espace francophone… « Il faut institutionnaliser l’observation judiciaire » notent ainsi plusieurs participants, en soulignant une fois de plus que c’est dans l’exercice au quotidien de la justice que la démocratie trouve son meilleur champ d’application. On a aussi proposé que la Francophonie institutionnalise ses actions de médiation, en concevant un mécanisme spécifique. On a suggéré la création, en Francophonie, de comités d’éthique, voire d’un Observatoire des droits des enfants… Un autre souci majeur concerne l’éducation à la paix, à la démocratie et aux droits de l’Homme, et d’une manière générale la diffusion de la culture démocratique.
Dans cette perspective, et de l’aveu même de certains participants à la réunion de Beyrouth, il faudrait parvenir à une plus grande ouverture vers d’autres acteurs francophones. L’essentiel du travail de réflexion ainsi accompli ces dernières années autour des problématiques de la démocratie associe des universitaires et des juristes, soucieux de théoriser la démocratie, de l’encadrer par des normes fiables. Ces acteurs, souvent d’éminents spécialistes, gros producteurs de contributions théoriques, sont-ils les mieux à même de communiquer une dynamique et du souffle au projet démocratique de la Francophonie ? On sent encore une difficulté à associer, ne serait-ce que les ONG les plus représentatives, à ce chantier francophone : on a pu entendre noter, et l’observation est valable pour l’ensemble de la société civile, que « leur contribution est souhaitée, mais leur place reste à définir ».
T. P.


Encadré 3 : La Francophonie est elle-même une mondialisation…

(MFI) Il faut parfois trouver des accents, ne pas renoncer au lyrisme si l’on veut redonner de la vigueur au projet francophone. Joseph Maila, doyen de la faculté des Sciences sociales et économiques de l’Université catholique de Paris, ne craint pas ainsi de s’interroger à haute voix, devant un aréopage de savants et de notables francophones, sur ce que signifie cette idée francophone parfois si fuyante : « quel est le « plus » de la Francophonie ? Nous ne pouvons pas le dire, mais nous le sentons… » Qu’est-ce que la Francophonie a à apporter au reste du monde, dans un temps de doute et de peur de la mondialisation ? Elle se doit du moins d’« être une organisation active de la mondialisation…car elle est elle-même une autre mondialisation, fondée sur d’autres valeurs que celles du marché…Nous ne sommes ni Davos, ni Porto Alegre… il faut empêcher cette mondialisation scindée... »
Dans le contexte de l’après 11 septembre, en pleine lutte contre le terrorisme et en période de revendication sécuritaire, les juristes et universitaires des réseaux francophones avaient bien sûr à cœur de faire passer un message, en s’appuyant sur ce qu’une culture francophone pouvait avoir de spécifique face à cette « désorganisation de l’Etat de droit » constatée partout, « et ici même au Liban ». Dans la lutte contre le terrorisme, la primauté de la justice est réaffirmée. Et c’est l’occasion d’ « affirmer ce que la Francophonie a à dire en matière de démocratie. » Ceci en revenant à ce processus de Bamako qui a, tout le monde ne s’en est peut-être pas rendu compte, donné « une nouvelle tournure à la Francophonie », et qu’il faut approfondir, rendre efficace, pertinent. Certes, la Francophonie est avant tout une culture commune. Mais aussi et plus que jamais cet espace réunissant « des Etats liés, reliés par la culture de la paix, l’attachement aux droits de l’homme, à la démocratie. » Le dialogue des cultures va de soi en Francophonie (mais l’on s’assurera que ce dialogue ne passe pas par « l’affirmation échevelée des identités ou cultures particulières »). Dialogue des cultures qui pourrait spécialement trouver une application dans un dialogue des religions, cette dimension n’ayant pas été jusqu’ici prise en compte par la Francophonie, alors qu’elle est spécialement bien placée pour en parler. Reste que la paix, la démocratie ont besoin d’actes concrets. L’appel lancé par les réseaux francophones aux chefs d’Etat de l’organisation fut pour cette fois sans ambiguïté. En substance : messieurs, nous vous avons apporté notre contribution. Maintenant « il faut décider ! ».
T. P.




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