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18/10/2002
Spécial IXe sommet francophone
En étrange pays : chroniques francophones
Boutros, l’enchanteur


Tout le monde annonçait son retrait. Lui n’en parlait pas. Et puis, à Beyrouth, il s’est dit « déterminé » à ne plus être secrétaire-général de la Francophonie. Que le geste lui ait coûté, personne n’en doute. Il préparait bien un « après », avait pris son propre appartement à Paris, avait commencé à remplir son agenda de rendez-vous, de conférences, de voyages… toutes choses qui laissent rêveur quand on réalise qu’à 80 ans passés, Boutros Boutros-Ghali songe encore à courir, occuper un rôle. Si on le sollicitait, cependant, ce rôle aurait bien pu se poursuivre à la tête des Francophones, et beaucoup le soupçonnaient de maintenir ouverte cette perspective, quand tout semblait consommé.
Il se définit volontiers comme un « animal politique », et il a montré sa soif d’activisme au plus haut niveau de la scène internationale, avec une longévité hors du commun. Mais Boutros Boutros-Ghali est tout autant, et peut-être davantage, un homme de culture, fidèle en cela aux rêves de sa génération. Il a lu et lit beaucoup, il cite les écrivains, parfois désuets, il soigne plus que tout et révère la langue, peu sensible au fait que beaucoup de ses actes politiques furent aussi et surtout des morceaux d’éloquence. Mais pour lui, qui aimait dans cette même dimension un Mitterrand, la chose va de soi. Et il ne pouvait se sentir mieux qu’en Francophonie, cette patrie immatérielle d’une langue qu’il a cultivée à l’excès. Bien mieux au fond qu’à l’ONU où le style Boutros eut le don d’exaspérer, à commencer par les Américains, des gens certainement rustauds, peu sensibles à cet humour d’orfèvre, à ce lyrisme fleuri.

Son expérience est étourdissante. Ministre des Affaires étrangères de l’Egypte, il a suivi, y jouant souvent un rôle important, tous les grands dossiers internationaux, à commencer par ceux du Proche-Orient. Sa connaissance de la diplomatie, après une trentaine d’années passées à l’université à enseigner les sciences politiques et les relations internationales, est encyclopédique. Il a aussi une pratique ancienne, nourrie par une fréquentation de ses principaux acteurs, de l’Afrique. Pourtant, s’il connaît et a traversé l’histoire du continent, y a noué des relations étroites, il n’a pas pour autant donné le sentiment d’avoir une fibre africaine qui lui aurait apporté, au-delà du savoir-faire et des réseaux, une véritable adhésion des principaux intéressés… et l’on sait comment son arrivée à la tête de la Francophonie fut la matière d’âpres controverses chez certains des leaders d’Afrique noire.

Le digne successeur d’une dynastie de grands connétables.

C’est un croyant sincère, on l’oublie parfois, et de fait reste cet homme d’idéal passé en politique où il aurait acquis d’assez beaux accents de cynisme. Mais c’est avant tout un aristocrate distingué. D’une exquise courtoisie, il a l’habitude d’être servi, écouté, suivi. Ses collaborateurs ont-ils souvent eu le sentiment d’être confinés au rôle d’exécutants ? Au préalable, ils ont dû cependant reconnaître sa maîtrise impressionnante des dossiers… seulement le maître, « tel un professeur d’université exigeant », veillait aussi à tout, jusque dans le détail irritant. Sa capacité de travail, on l’a souvent dit : énorme, servie par une hygiène de vie scrupuleuse. Son sens de la synthèse, son goût pour les idées, la vivacité de ses formules ont suscité l’admiration. Rappelons-le, cet octogénaire a su mieux que quiconque enlever les foules, même les plus jeunes et les plus éclectiques, réveiller un parterre de sénateurs ventripotents, donner à la diplomatie des couleurs, un ton. Tout le monde n’a pas goûté ce flamboiement permanent, mais comment rester insensible à ce besoin irrépressible de séduire, le regard allumé, le sourire délicat ou rusé ? Ils furent nombreux de son entourage qui, ayant tout connu de ses effets et de ses anecdotes, avouent encore leur attachement à une personnalité qui a voulu, c’est peu douteux, être un personnage, le digne successeur d’une dynastie de grands connétables.

A la Francophonie, il a trouvé une tribune à sa mesure. Il a réellement façonné la francophonie politique, du moins l’a incarnée, lui a donné un visage, a produit quantité de discours, et pas des plus mauvais… bien sûr il s’est efforcé là encore d’être omniprésent. Il a volé dans toutes les directions, s’est fondu dans la confrontation des continents, les échanges entre langues, entre cultures, quitte à perdre de vue la Francophonie majoritaire. S’il a voulu la politisation de l’institution, s’il a eu des accents à faire trembler les oppresseurs, dans les faits il a bien plus souvent ménagé le consensus. Avouons-le, au moment où il parlait le mieux de démocratisation et de combat pour les droits de l’homme, pouvait percer un doute poli, un sens de la relativité de toutes choses qui aurait signifié qu’on n’y croyait que par principe… Et puis, par sentimentalisme ou trop bonne perception des réalités, il n’a pas toujours su être sévère avec ce monde arabe, notamment, qui violait avec le plus d’indécence certaines des options qu’il défendait ailleurs avec tant de vigueur. S’il a dominé toutes ces années la scène francophone, celle-ci aspire peut-être aujourd’hui à moins de brillant, et plus d’efficacité. Ce qui n’empêchera pas, le moment venu, d’honorer le souvenir de l’enchanteur Boutros.

Thierry Perret

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