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07/11/2002
Côte d’Ivoire-France
L’impossible « non-ingérence » ?


La Côte d’Ivoire est le partenaire le plus important de la France en Afrique au sud du Sahara. Des relations politiques étroites, une coopération bilatérale exemplaire, une forte communauté française dans le pays et des intérêts économiques importants, la France a tout accepté d’Houphouët, de De Gaulle à Mitterrand, en mesurant l’importance de l’axe Paris-Abidjan pour son influence sur l’ensemble du Continent. Les difficultés ont commencé après 1994 avec les effets de la dévaluation, le débat sur l’ivoirité et le problème Ouattara. « Non-ingérence, mais non indifférence » est devenue la nouvelle devise de la diplomatie française en Afrique. C’est cette doctrine qui, malgré la cohabitation, s’est imposée en 1999 pour décider de ne pas intervenir en faveur du régime déchu, mais aussi de ne pas soutenir la junte militaire issue du premier coup d’Etat depuis l’indépendance de la Côte d’Ivoire.
Effets pervers : à la suite de la tentative de déstabilisation du 19 septembre 2002, Paris a dû intervenir pour tenter d’éviter l’explosion du pays, et s’est retrouvé enlisé dans une crise intérieure et régionale qui mettra sans doute du temps à être résolue.

Le coup d’Etat du 24 décembre 1999

Ce fut une surprise totale à Paris, mais, malgré quelques tensions inhérentes au fonctionnement de la cohabitation, la position française s’est définie assez clairement : pas d’ingérence pour sauver le régime d’Henri Konan Bédié ; condamnation du coup d’Etat militaire et appel à un retour de l’ordre constitutionnel. Avec en outre, un souci majeur et qui restera constant : assurer la sécurité des 20 000 ressortissants français vivant dans le pays.
Pendant les mois qui ont précédé le coup d’Etat, on avait pu du côté français faire le constat de la faillite du système Bédié. Sur le plan politique avec la montée en puissance de l’ivoirité et la répression contre Ouattara et le RDR. Sur le plan économique avec la mauvaise gestion, la faillite financière, la corruption (l’affaire des 18 milliards de l’UE), la rupture avec le FMI et la Banque mondiale. Des messages clairs avaient été passés au président Bédié. Jusqu’au dernier moment la libération des prisonniers RDR, arrêtés le 29 octobre 99, avait été espérée. Obstiné, « autiste » disait-on, Bédié n’a rien voulu entendre. Le 23 décembre au matin, dans un hélicoptère bourré de cadeaux, celui-ci partait à Daoukro fêter Noël en famille.
L’effondrement brutal du régime en quelques heures dans un tel contexte rendait difficilement concevable l’option qui aurait consisté à intervenir militairement pour rétablir l’ordre intérieur. A la mort d’Houphouët-Boigny en décembre 1993, la France avait choisi et soutenu Bédié en suivant la pesante logique de son ancienne politique africaine. Entre 1994 et 1999, la dévaluation du F CFA a joué comme un rideau de fumée masquant l’échec du « modèle » franco-ivoirien. Après le Rwanda, la chute de Mobutu, le coup d’Etat ivoirien a fait la démonstration de la nécessité impérative de redéfinir les conditions de la présence de la France sur le Continent. La suite des événements en Côte d’Ivoire a prouvé que l’exercice était loin d’être aisé.

ADO et la France

Paris avait vu d’un bon œil la nomination par Houphouët-Boigny d’Alassane Ouattara au poste de Premier ministre en 1990. Dans cette période tendue de crise et de tensions sociales, ADO avait alors le bon profil pour assainir la gestion, renouer avec les bailleurs internationaux… et s’engager sur le problème de la dévaluation. Il reste qu’au moment décisif de la succession en décembre 1993, c’est la logique de l’ordre constitutionnel et toujours le souci de la stabilité qui a conduit la France à soutenir Bédié face à la tentative de Ouattara, avec la complicité de Philippe Yacé, d’instaurer un Conseil d’Etat chargé d’organiser rapidement une élection présidentielle. A partir de là, les relations entre la France et ADO vont devenir plus difficiles et plus complexes.
Ouattara va s’exiler longtemps, mais il fonde en 1994 le RDR avec Djéni Kobina, quelques dissidents du PDCI et un petit groupe de responsables du Sud. Mais ce parti qu’ADO contrôle étroitement, et en particulier financièrement, sera toujours perçu comme un mouvement nordiste, c’est-à-dire dioula et musulman. Donc, comme le germe d’un conflit ethnico-religieux. Et même si le RDR s’allie conjonctuellement avec le FPI au sein du Front républicain, on considérera à Paris que Ouattara ne pourra jamais devenir président, et que sa stratégie ouvre la voie à tous les dérapages.
Pourtant, au nom des principes, Paris critiquera constamment la politique de répression et la volonté d’élimination du RDR, ainsi que tous les stratagèmes déployés pour rendre son leader inéligible. Ouattara lui-même commettra une série d’erreurs qui seront autant de limites au soutien français : son exil, l’utilisation de ses réseaux d’amitiés internationaux, son soutien au référendum constitutionnel de Gueï en 1999, les manifestations des 4 et 5 décembre 2001…
Le point critique est atteint avec les événements de septembre 2000. La haine est à son comble dans l’opposition contre le Nord et la mise en cause de Ouattara et de ses partisans. Son trop long séjour à la résidence de l’ambassadeur de France l’aura considérablement desservi. Ouattara apparaît comme le grand perdant, renforçant à Paris l’idée d’ailleurs partagée par de nombreux chefs d’Etats africains, que son retrait de la vie politique ivoirienne est une condition pour l’apaisement durable de la vie politique ivoirienne.

L’élection de Gbagbo

Ouattara écarté de l’élection présidentielle d’octobre 2000, le candidat du PDCI, l’ancien ministre de l’Intérieur Emile Constant Bombet éliminé par la Cour suprême, seul Laurent Gbagbo, l’opposant historique d’Houphouët-Boigny restait en lice face au chef de la junte. Longtemps, personne n’a cru à Paris à ses chances de devenir président. Son sens tactique, les capacités militantes de son parti avaient été sous-estimées. Gueï, de plus en plus impopulaire, tentait alors un coup d’Etat électoral, alors que le soir même du vote toutes les informations disponibles donnaient Laurent Gbagbo vainqueur. Les relations entre la France et la junte n’avaient cessé de se dégrader. Pressions, menaces, mensonges, pratiques douteuses, comportement dangereux des militaires de son entourage : la France ne pouvait qu’exiger des élections au plus tôt, et ne pas se laisser entraîner par un coup de force de Gueï.
Gbagbo élu, le premier souci du côté français était d’abord celui de l’apaisement politique et de la réconciliation nationale, ensuite celui de la relance économique. Sur le premier volet les pressions ont été insistantes auprès du nouveau président pour que soit réglé le problème de la nationalité de Ouattara, et les interventions nombreuses auprès de tous les protagonistes pour qu’ils participent activement au Forum de la réconciliation nationale.
Sur le second volet, la France a déployé des efforts considérables auprès de l’Union européenne, du Fonds monétaire et de la Banque mondiale pour accélérer la reprise de l’aide, et relançait en quelques mois sa propre coopération bilatérale, y compris la coopération militaire. Même si Paris a échoué dans sa tentative de favoriser un compromis entre Gbagbo et le RDR pour une participation des partisans de Ouattara aux législatives de décembre 2000, le chemin de la confiance était progressivement retrouvé.
Il reste que la tentative de destabilisation des 7 et 8 janvier 2001 apparaissait comme un coup de semonce et un révélateur de la fragilité de la situation intérieure et régionale. Là encore, la gravité des effets de cette opération a sans doute été sous-estimée. Masquée peut-être par la conclusion heureuse du Forum et les élections locales de juillet 2002 qui redonnaient de Laurent Gbagbo une image positive.
Le coup du 19 septembre réduisit à néant ces efforts et ce nouvel optimisme. La Côte d’Ivoire est redevenue plus que jamais un test pour la politique française en Afrique.

Les accords de défense

La France et la Côte d’Ivoire sont liées par pas moins de sept accords dans le domaine militaire : un accord général de défense d’avril 1961, une convention secrète concernant le maintien de l’ordre et considérée par Paris comme caduque, bien que n’ayant jamais été officiellement dénoncée, et enfin cinq accords techniques signés entre 1965 et 1998. Houphouët a toujours considéré ces accords, ainsi que la présence de forces permanentes à Port Bouët et l’assistance militaire technique (matériels et formation) comme un « parapluie » garantissant la sécurité du pays, sans qu’ils soit nécessaire de dépenser démesurément pour développer une armée ivoirienne.
Depuis l’indépendance la sécurité de la Côte d’Ivoire n’a jamais été sérieusement menacée : le système du parapluie français a correctement fonctionné.
Les difficultés ont commencé à surgir en 1990, à l’occasion des mutineries et manifestations qui avaient secoué Abidjan. Pour la première fois, le président Houphouët-Boigny demandait une intervention française dans le cadre des fameux accords de défense. Le président français François Mitterrand, à propos de l’affaire tchadienne, avait clairement fixé sa doctrine en la matière : Paris n’interviendrait pas en Afrique pour des raisons de sécurité intérieure, mais seulement dans le cas d’une agression extérieure contre ses partenaires, et bien sûr si la sécurité de ses ressortissants devait être menacée. Ce fut donc une réponse négative.
Depuis la France a de nouveau été sollicitée à plusieurs reprises. En décembre 1999, dès le premier jour du putsch, Henri Konan Bédié demandait l’application des accords de défense… qui lui fut refusée. En janvier 2001, lors de l’opération de la « Mercedes noire », Laurent Gbagbo prenait la mesure de l’état de faiblesse extrême des armées ivoiriennes et demandait là aussi une aide massive de la France dans le cadre des accords de Défense. Paris décidait à partir de juin 2001 de relancer sa coopération militaire, sans toutefois répondre favorablement à toutes les demandes ivoiriennes.
En septembre 2002, c’est la quatrième fois que les autorités ivoiriennes invoquaient les accords militaires, pour obtenir une aide. Réponse de Paris : ces événements ne pouvant être considérés comme une agression extérieure caractérisée, mais comme une affaire intérieure ivoirienne, une aide logistique peut être fournie dans le cadre des accords de coopération (notamment les accords de 1965 et de 1978).
La France, depuis septembre 2002, s’est lourdement engagée en Côte d’Ivoire dans des conditions ambiguës. Face à une opération organisée et des assaillants bien équipés, les forces armées ivoiriennes, peu nombreuses, mal dotées en moyens matériels, indisciplinées, se sont révélées incapables de jouer un rôle. Le pari lancé sur la Cedeao pourra-t-il être relevé ? Sans doute pas comme une vraie alternative à la présence militaire française.

Jean-Paul Hugues

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