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15/01/2003
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France-Afrique : Le grand tournant de la coopération militaire
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(MFI) Fer de lance de la politique de la France sur le continent africain, la coopération militaire a été profondément transformée ces dernières années. Avec une tendance à la baisse des crédits et des effectifs qui remet désormais en question les fondements de son action.
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Jamais, depuis les indépendances, la coopération militaire de la France avec ses partenaires africains n’a subi de bouleversements aussi importants. Son évolution récente a été profondément influencée par une série de facteurs lourds. Deux réformes en particulier ont engendré des effets significatifs. D’abord, la réforme des armées françaises et la redéfinition de la politique de défense en 1997 et 1998, dans un contexte de baisse des dépenses militaires. Ensuite, la réforme de la coopération en 1998, avec l’intégration de l’ancien ministère de la Coopération au sein du ministère des Affaires étrangères, qui a abouti notamment à la suppression de la Mission militaire de coopération, spécialement en charge des pays africains « du champ », et la création au Quai d’Orsay d’une nouvelle direction de la Coopération militaire et de défense dont les compétences et le champ géographique sont plus larges.
Une nouvelle doctrine
Les orientations nouvelles de cette coopération militaire avec l’Afrique, définies par le Conseil de Défense du 3 mars 1998, doivent être situées dans le cadre d’une nouvelle doctrine plus large, caractérisée par quelques grands principes : une pratique plus restrictive des interventions militaires bilatérales, en principe limitées prioritairement à la sécurité des ressortissants français ; une présence permanente des forces françaises en Afrique réduite (avec notamment la fermeture des installations en Centrafrique) ; une multilatéralisation de l’approche française face aux nouvelles formes d’insécurité sur le continent, en particulier à travers les Nations unies ; enfin, un appui à la prise en charge par les Africains eux-mêmes de la gestion des crises et des conflits – avec la mise en place du programme de Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP) – et le développement de la régionalisation – avec la multiplication des écoles nationales à vocation régionale, devenues en quelques années la structure prioritaire de la politique de formation des militaires africains appuyée par la France.
Cette réforme de 1998 est intervenue à l’issue d’une période de forte remise en question par la France de ses anciennes pratiques. Même si, du temps des indépendances aux secousses de la guerre froide ou aux craintes des ambitions libyennes, le « parapluie militaire » français en Afrique avait globalement plutôt bien fonctionné et contribué à limiter les conflits autant que les dépenses militaires, les années quatre-vingt-dix ont constitué un tournant majeur.
Le choc de la tragédie rwandaise
Le grand choc fut bien sûr celui de la tragédie rwandaise, des dysfonctionnements de cette coopération militaire et des débats sur l’opération Turquoise. Mais il y eut également le fort impact des processus de démocratisation, qui engendra une série de décisions de suspension de la coopération militaire française avec le Zaïre en 1991, le Togo en 1992, le Niger à partir de 1996, le Burundi, le Congo-Brazzaville, les Comores, la Guinée-Bissau et jusqu’à la Côte d’Ivoire à l’occasion du coup d’Etat de 1999. Ce contexte a, au fil des ans, conduit Paris à situer sa coopération militaire dans un cadre plus fortement déterminé par les décisions internationales – des Nations unies, de l’Union européenne ou de l’Organisation de l’unité africaine devenue Union africaine (UA) – liées à la gestion des conflits ou aux pratiques démocratiques.
Quoiqu’il en soit, les réorientations depuis 1998 ont par ailleurs favorisé un redéploiement important de cette coopération militaire hors des pays partenaires traditionnels de la France. D’abord vers les pays d’Afrique non francophones comme le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Ghana ou l’Ethiopie. Ensuite vers le Maghreb et le Proche-Orient. Enfin, dans le cadre des élargissements de l’Union européenne et de l’Otan, vers les pays d’Europe centrale et orientale. Il faut également noter le rapprochement avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne pour renforcer la coordination en matière de coopération militaire et d’appui aux capacités africaines.
Cette remise à plat n’a pas eu d’effets notables sur les accords de coopération militaire et d’assistance technique conclus par la France avec 25 pays d’Afrique au sud du Sahara. Une gestion plus rigoureuse et plus concertée a été conçue et mise en œuvre dans le cadre de projets mieux définis. De même, aucun des accords de défense, publics ou secrets, conclus avec un nombre restreint de pays africains n’a fait l’objet d’une révision ou d’une négociation formelle, la France ne souhaitant visiblement pas donner de signes de désengagement dans ce domaine.
Réductions budgétaires
C’est sans conteste sur le plan budgétaire que s’exprime de la manière la plus forte le bouleversement récent de cette coopération militaire. Le montant concernant les partenaires traditionnels d’Afrique francophone et géré alors par la Mission militaire de coopération s’élevait en 1990 à environ 900 millions de francs (137 millions d’euros), alors que le nombre de coopérants militaires sur le continent atteignait 925 hommes. En 1997, à la veille de la réforme, ces crédits atteignaient 739 millions de francs (112,5 millions d’euros), et les effectifs de l’assistance militaire, 640 hommes. En 2002, sur un total global de 104,7 millions d’euros, la part de l’Afrique représente 75 millions d’euros pour 300 coopérants militaires (sur 392 dans le monde). En 2003, le budget total de la coopération militaire française doit s’élever à 94,3 millions d’euros, dont environ les deux tiers pour l’ensemble du continent africain. A noter en particulier pour 2003, une baisse notable de près de 40 % des crédits prévus pour la coopération militaire et de défense avec les organisations régionales.
La France reste certes active dans la prévention et la résolution des conflits africains, à travers le programme RECAMP ou ses participations aux opérations de maintien de la paix des Nations unies, comme c’est le cas pour la Monuc en République démocratique du Congo. Il n’en reste pas moins que cette baisse notable des crédits et des effectifs donne concrètement la mesure de la profonde évolution de la coopération militaire française en Afrique. Le cas de la Centrafrique, où la France ne maintient plus actuellement qu’une douzaine de coopérants militaires dont le rôle reste très discret, est significatif à cet égard. Au-delà de l’intervention d’environ 2500 hommes engagée fin 2002, le cas de la Côte d’Ivoire sera à terme le test le plus exemplaire qui confirmera ou non cette transformation de la politique française de coopération militaire.
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Jean-Paul Hughes
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