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04/02/2003
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France-Afrique : Côte d’Ivoire : comment sortir de la crise ?
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(MFI) Le choc provoqué par les événements du 19 septembre 2002 aura été le plus grave subi par la Côte d’Ivoire depuis son indépendance. Sur le plan intérieur aussi bien qu’au niveau régional, le travail de reconstruction qui doit être engagé sera décisif pour la stabilité de l’Afrique de l’Ouest.
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C’est à la suite d’un période de forte tension et de dégradation du régime d’Henri Konan Bédié que le premier coup d’Etat de l’histoire de la Côte d’Ivoire est intervenu en décembre 1999. Organisé dans une apparente confusion et dominé par le jeu des militaires, il débouche sur une période de transition militaire qui va durer jusqu’aux élections présidentielles d’octobre 2000. La conduite des affaires par le général Robert Gueï aura été marquée par une aggravation de l’instabilité politique, de fortes incertitudes dans le jeu des alliances entre les forces politiques ivoiriennes, par une dégradation de la situation économique et financière et une rupture des relations avec les principaux bailleurs de fonds, par un affaiblissement et des déchirements au sein des forces armées.
Les élections présidentielles d’octobre 2000, qui ont porté au pouvoir le Front populaire ivoirien (FPI) et Laurent Gbagbo, ont permis d’enclencher un processus de retour à l’ordre constitutionnel marqué par de grandes difficultés à surmonter les tensions et les déchirements issus de la période de transition, en particulier en ce qui concerne le sentiment d’exclusion du Rassemblement des républicains (RDR) et de ses partisans, et plus largement des populations musulmanes du Nord du pays et des importantes communautés étrangères en Côte d’Ivoire.
La découverte du charnier de Yopougon, les fortes craintes vis-à-vis des forces de l’ordre et de l’armée, difficilement contrôlables, l’exclusion d’Alassane Ouattara et la non-participation du RDR aux élections législatives, les événements des 4 et 5 décembre 2000 donnent alors la mesure de la fragilité et de la vulnérabilité du processus de retour à la démocratie. Les 7 et 8 janvier 2001, une tentative de déstabilisation du régime donne un signal d’alarme sur le type de risques qui menace la Côte d’Ivoire. Les agresseurs incluant de nombreux anciens militaires et bénéficiant de complicités étrangères révèlent l’extrême faiblesse de l’armée ivoirienne.
Parallèlement, les efforts déployés pour accélérer la reprise des relations avec les bailleurs et de l’aide extérieure et l’organisation du Forum de réconciliation nationale, qui aboutira au retour à Abidjan de tous les grands leaders politiques et à la reconnaissance de la nationalité ivoirienne d’Alassane Ouattara, apparaissent, dans ce contexte inquiétant, comme autant de signes positifs et encourageants. Les partenaires bilatéraux, mais surtout la France, l’Union européenne, le FMI et la Banque mondiale, se montrent conscients avant tout de la nécessité et de l’urgence d’un retour à la stabilité avant de s’attaquer aux causes profondes de la crise ivoirienne.
Le choc du 19 septembre
Ces efforts de stabilisation politique, marqués par les élections locales de juillet 2002 auxquelles toutes les forces politiques participent, même si la participation a été faible et le droit de vote limité aux titulaires d’une carte d’identité nationale distribuée dans des conditions très contestées, ont volé en éclat le 19 septembre.
L’attaque coordonnée des rebelles de Bouaké à Abidjan et les graves défaillances des forces armées ivoiriennes créent d’emblée une situation de guerre civile, dont la gravité réside dans le fait qu’elle va durer plusieurs mois, à la différence des événements les plus graves qui s’étaient produits depuis décembre 1999.
Au delà du débat sur le fait de savoir s’il s’est agi d’un conflit purement interne ou d’une agression extérieure, il apparaît incontestable que les difficultés et les vulnérabilités internes de la Côte d’Ivoire ont favorisé l’irruption dans ce pays des effets des processus de régionalisation de la guerre et de la violence en Afrique de l’Ouest. Effets générés depuis 1989 par la guerre au Liberia, puis en 1991 par le conflit sierra-léonais, l’extension de la crise à partir de 2000 en Guinée et le développement dans la sous-région d’un « système de conflits » contagieux et multiforme.
Par ailleurs, en raison du rôle économique essentiel de la Côte d’Ivoire dans la sous-région, les effets de la crise sur les pays voisins sont vite apparus comme un élément préoccupant qui rendait d’autant plus urgent la mise en œuvre de solutions de sortie politique du conflit et l’interruption la plus rapide des opérations militaires.
La Côte d’Ivoire s’est retrouvée en septembre 2002 coupée en deux. Au Nord et à l’Ouest, les mouvements d’opposition armés, le Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), puis le Mouvement populaire ivoirien du Grand Ouest (MPIGO) et le Mouvement pour la Justice et la paix (MJP), solidement armés, efficacement médiatisés, dotés de moyens de transports et de communications, adossés aux frontières du Burkina jusqu’au Liberia. Au centre et au Sud, le gouvernement légal, ses forces armées défaillantes renforcées par des mercenaires et de nouveaux équipements acquis d’urgence après le déclenchement de la crise. Cette coupure du pays qui s’installe au fil des semaines devient très vite une des préoccupations principales dans l’effort d’élaboration d’une solution politique. Les autorités ivoiriennes insistent sur la nécessité d’un retour à l’ordre constitutionnel et d’un désarmement et d’un cantonnement des rebelles pour reconstituer l’unité du pays. Les opposants armés s’appuient sur leurs positions militaires pour imposer leur participation aux négociations et obtenir des concessions politiques significatives.
Quelles solutions politiques ?
L’engagement militaire et politique de la France aura été déterminant. Pour empêcher, d’abord, les pires escalades du conflit vers une guerre civile généralisée. Pour permettre, ensuite, de maintenir une mobilisation internationale destinée à favoriser la négociation. Pour faire pression, enfin, sur toutes les parties et les engager à partir du 15 janvier 2003 dans une véritable négociation politique. Le déploiement de 2 500 militaires français, les déplacements du ministre français des Affaires étrangères en Côte d’Ivoire et dans la région, les interventions du chef de l’Etat français auront clairement contribué à éviter l’enlisement.
Dès le déclenchement de la crise, on a appuyé à Paris un schéma fondé en priorité sur une intervention politico-militaire africaine impliquant la Cedeao et les principaux chefs d’Etat de la sous-région. Sur le plan militaire, les difficultés de mise en place d’une force conséquente de maintien de la paix, susceptible d’intervenir efficacement de manière autonome, ont montré les limites d’une solution exclusivement africaine, et le chemin qui reste à parcourir pour que les Africains eux-mêmes aussi bien que les Nations unies et les grandes puissances parviennent à instaurer un dispositif de gestion de crise qui ne favorise pas la marginalisation des Etats africains. Sur le plan politique et diplomatique, les rivalités engendrées par les différentes médiations africaines mises en œuvre – celle des négociations qui se sont déroulées à Lomé sous l’égide du président Eyadéma, celles engagées par le président en exercice de la Cedeao, le Sénégalais Abdoulaye Wade, ou celles plus réservées entreprises par le Mali ou le Ghana – ont sans conteste constitué également un élément aléatoire d’enlisement du conflit ivoirien.
Il reste qu’au delà de l’urgence d’un cessez-le-feu ou d’un accord politique permettant de mettre la Côte d’Ivoire à l’abri d’une guerre civile, un travail de longue haleine reste à accomplir pour résoudre les problèmes de fonds posés par la situation ivoirienne : institutions, forces armées, démocratisation, rôle des médias, aussi bien que nationalité, questions foncières ou coopération régionale.
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Jean-Paul Hughes
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