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06/02/2003
France-Afrique : Madagascar : six mois d’incertitudes

(MFI) Le premier semestre 2002 aura été mouvementé pour les Malgaches. Le premier tour de l’élection présidentielle qui oppose Didier Ratsiraka à Marc Ravalomanana, en décembre 2001, marque le point de départ d’une période de plus de six mois de tensions. L’universitaire Jean-Pierre Raison en analyse les conséquences.

Appelés aux urnes le 16 décembre 2001 pour une élection qui oppose le chef de l’Etat sortant Didier Ratsiraka au candidat de l’opposition – maire de la capitale et président du premier groupe agro-alimentaire du pays –, Marc Ravalomanana, les Malgaches ignorent alors qu’il leur faudra vivre plus de six mois de tensions avant que le pays ne retrouve sa sérénité. En ce soir du 16 décembre en effet, Marc Ravalomanana s’estime vainqueur avec 52,15% des voix.
Les résultats proclamés par la Haute Cour constitutionnelle le 25 janvier 2002 le donnent certes en tête (46,21%, contre 40,89% à Didier Ratsiraka) mais pas suffisamment pour être élu d’entrée de jeu. Le challenger refuse le second tour et déclenche, le 28 janvier, une grève générale. Les manifestations sont quotidiennes. Le 22 février, il se proclame président ; le chef de l’Etat sortant, lui, décrète l’état d’urgence.

Certains gouverneurs proclament « l’indépendance » de leur province

La crise s’installe, marquée par des barrages routiers à l’intérieur du pays et la destruction d’ouvrages d’art qui ont pour conséquence d’empêcher les échanges et de paralyser l’économie. Chacun compte ses partisans et tente de prendre le contrôle des six provinces du pays. Les médiations internationales battent leur plein.
En avril 2002, la Haute Cour constitutionnelle, après un nouveau décompte des voix, donne Marc Ravalomanana vainqueur dès le premier tour avec 51,45% contre 35,90% pour le sortant. Mais sur le terrain, certains gouverneurs fidèles au président sortant proclament « l’indépendance » de leur province. Il faudra attendre le 5 juillet, après bien des affrontements, pour que Didier Ratsiraka, jusque-là réfugié dans son fief de Toamasina, sur la côte est, se décide à quitter la Grande Ile.

Aux élections législatives anticipées du 15 décembre 2002, le parti du président obtient 102 des 160 sièges. Le Premier ministre Jacques Sylla est reconduit dans ses fonctions. En France, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères souligne que « ces élections, organisées dans de brefs délais, marquent un progrès dans le processus de démocratisation de Madagascar ».
Ariane Poissonnier


Trois questions à Jean-Pierre Raison,
professeur émérite de l’Université de Paris X-Nanterre



MFI : La crise du premier semestre 2002 va-t-elle laisser des traces, et lesquelles, dans la culture et la vie politiques malgaches ?
Jean-Pierre Raison :
Les séquelles politiques sont sûrement profondes, mais difficiles à mesurer. La conséquence la plus évidente est l’affaiblissement, pour ne pas dire l’effondrement, du monde politique classique. Les élections législatives en ont apporté la démonstration en donnant la majorité absolue à un « parti du président » tout juste créé, sans guère de bases sinon celles d’un club de supporters. D’autres acteurs ont émergé. On pense aux églises, en tout cas à leurs leaders. Il s’agit des églises établies et non du courant pentecôtiste, si actif politiquement sur le continent. Mais ce sont aussi les entrepreneurs, ou du moins une fraction d’entre eux. La personnalité de Marc Ravalomanana, homme d’affaires et vice-président de la fédération des Eglises protestantes (FJKM), symbolise ce tournant.
En revanche, la crise ne semble pas avoir porté un coup à l’unité nationale. On pouvait s’inquiéter du caractère très merina du processus qui a conduit Ravalomanana au pouvoir, ou du fait que, pour la première fois, Madagascar a un président merina, ce qui traduit la montée en puissance, démographique et économique, de la région centrale. Mais il n’y a pas eu de réaction de rejet. Marc Ravalomanana président a confirmé ce qui apparaissait quand il était candidat : il « passe » bien auprès des côtiers, et plus globalement du monde rural, où il a longuement vécu.

Quelles sont aujourd’hui les relations entre Paris et Antananarivo ?
Elles sont officiellement « normalisées ». On fait comme si tout était « comme avant », ce qui est manifestement faux. La France pâtit évidemment de sa gestion de la crise, application de principes généraux (laisser les Africains régler leurs problèmes en les y aidant) qui cadraient mal avec la situation : Madagascar n’est pas vraiment l’Afrique ; il s’agissait d’un conflit politique sans guère d’affrontements directs et armés.
Mais il faut aller plus loin. Depuis des décennies on joue, de part et d’autre, un jeu dont la France ne sort jamais, politiquement, gagnante. Elle se pose en pays étranger différent des autres, en bienfaitrice éminente qui veut être aimée. Malgaches comme Africains lui renvoient la balle à chaque crise, croyant ou feignant de croire à cette « exception française ». Qu’elle intervienne ou soit discrète, elle est présentée comme le deus ex machina, responsable des événements et de leurs suites. De ce point de vue, il est bon, et bénéfique à terme, que M. Ravalomanana prenne ses distances avec le style traditionnel de ces relations.

Quels défis majeurs l’équipe de Marc Ravalomanana doit-elle relever ?
Ils sont immenses et multiples. Il convient bien sûr d’abord de faire redémarrer la machine économique. La crise a coûté très cher, notamment aux petites gens, mais pas seulement. Il faut relancer la zone franche, sinistrée. En voyant plus loin, on peut considérer comme stratégique l’atténuation des contrastes régionaux et la fin du désenclavement de multiples régions, dont tirent bénéfice les seuls potentats locaux. Le président merina sera très largement jugé sur sa capacité à intégrer économiquement les périphéries. La lutte contre la corruption est aussi une priorité. Des intentions claires ont été affichées, des actes posés, mais le mal est profondément enraciné et se nourrit du sous-développement autant qu’il l’entretient.
Marc Ravalomanana a pour lui d’avoir les coudées franches, dans le vide politique actuel. Ses pires ennemis, au bout du compte, lui sont propres : dans une certaine mesure, le revers de ses qualités est un caractère entier et cassant ; l’idée qu’il a, et que je crois inexacte, qu’un pays se gère comme une entreprise. C’est aussi son parti, triomphateur trop facile et inexpérimenté, qui a fait peut-être, notamment dans le scrutin législatif, la part trop belle aux opportunistes, à des notables locaux difficilement contrôlables.



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