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21/02/2003
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Côte d’Ivoire: l’Afrique de l’Ouest en turbulence
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(MFI) Longtemps zone de stabilité dans une Afrique de l’ouest secouée par le conflit sanglant en Sierra Leone qui s’est étendu au Libéria et à la Guinée, la Côte d’Ivoire est désormais prise dans la tourmente des affrontements armés. Ceux-ci risquent non seulement de mettre à mal son économie, mais aussi celles de ses proches voisins, en particulier le Burkina Faso et le Mali.
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Troisième économie de l’Afrique sub-saharienne après l’Afrique du Sud et le Nigeria, la Côte d’Ivoire risque de perdre irrémédiablement cette position si les Ivoiriens n’arrivent pas à se réconcilier et si la CEDEAO, soutenue par la France et l’ensemble de la communauté internationale, ne peut faire revenir la paix.
La marge de manœuvre de la CEDEAO est toutefois affaiblie par des rivalités personnelles entre chefs d’Etat de la région, notamment entre le Sénégalais Abdoulaye Wade, et le Togolais Gnassingbe Eyadema qui appartiennent pourtant tous les deux à la zone franc et à l’ensemble francophone.
La Côte d’Ivoire qui, sous la houlette du président Félix Houphouët-Boigny avait résolument choisi la voie du libéralisme économique et de la « modération », prônant même un dialogue « constructif » avec l’Afrique du Sud de l’apartheid, a connu depuis l’indépendance, au début des années 1960, des hauts et des bas dans ses relations avec ses voisins immédiats qui n’ont toutefois jamais dégénéré en conflit ouvert.
Burkina Faso
La tension entre les deux pays est montée depuis la mutinerie militaire qui a éclaté en septembre dernier en Côte d’Ivoire, même si le président burkinabè Blaise Compaoré a participé sans sourciller au sommet de la CEDEAO, qui a décidé de lancer une médiation entre le gouvernement élu de Laurent Gbagbo et des militaires rebelles essentiellement originaires du nord du pays. Il a aussi assisté au sommet de Paris sur la Côte d’Ivoire en janvier dernier, après toutefois avoir vertement critiqué le régime du président ivoirien Laurent Gbagbo.
Traditionnellement cordiales, les relations entre une Côte d’Ivoire prospère, terre d’accueil pour l’immigration et la Haute Volta (comme s’appelait alors le Burkina Faso) s’étaient détériorées après le coup d’Etat de 1983, qui avait porté au pouvoir à Ouagadougou Thomas Sankara. Celui-ci, très populaire auprès de la jeunesse africaine, préconisait un changement radical en Afrique et avait établi des relations étroites avec la Libye de Mouammar Kadhafi et le Ghana de Jerry Rawlings, à l’époque à la pointe du « progressisme » africain.
L’assassinat en 1987, dans des circonstances obscures, de Sankara et l’arrivée au pouvoir de son second, Blaise Compaoré, avait détendu l’atmosphère entre les deux pays et rassuré le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, père de l’indépendance et l’un des chefs de file de l’Afrique dite modérée, resté au pouvoir jusqu’à sa mort, en 1993.
Sa disparition devait marquer le début des turbulences politiques en Côte d’Ivoire. Le lancement à partir de 1994 de la doctrine de « l’ivoirité », qui devait éliminer de la scène politique Alassane Ouattara (ancien premier ministre de Houphouët Boigny considéré par ses opposants comme burkinabè) et le coup d’Etat du général Robert Gueï en 1999, ont aggravé la situation.
Aussi bien Henri Konan Bédié, le président de l’Assemblée nationale, qui avait succédé à Houphouët-Boigny que le général Gueï ou le président Laurent Gbagbo élu en octobre 2000, ont poursuivi dans cette voie de l’« ivoirité », même si Ouattara a fini par recevoir en juin 2002 un certificat de nationalité ivoirienne.
Ces dernières années ont été émaillées de violences contre les travailleurs immigrés (en particulier ceux originaires du Burkina Faso) qui devaient culminer en septembre dernier. L’entourage du président Gbagbo n’a pas caché depuis la mutinerie que ses soupçons se portent sur le Burkina Faso concernant l’aide aux rebelles du nord.
Ghana
Le ton a changé depuis l’époque de l’ancien président Jerry Rawlings qui, en 1987, n’avait pas hésité à condamner la Côte d’Ivoire pour ses relations avec l’Afrique du Sud de l’apartheid et Israël, et pour son attitude hostile envers le Burkina Faso de Thomas Sankara.
D’abord Rawlings lui-même a évolué pour devenir l’enfant chéri du FMI et de la Banque Mondiale, en raisons de ses réformes économiques vers le libéralisme que prônait déjà la Côte d’Ivoire. Ensuite, son successeur, John Kufuor, avait développé de bonnes relations avec Laurent Gbagbo, longtemps un opposant ivoirien se réclamant du socialisme.
Guinée
Les relations, très tendues à l’époque du président guinéen Sékou Touré (mort en 1984) qui soutenait le panafricanisme du ghanéen Kwame Nkrumah et avait établi des liens étroits avec les pays communistes et les radicaux du Tiers Monde, se sont nettement améliorées avec le régime militaire de Lansana Conté. Ce dernier avait même fustigé, vers la fin des années 90, ceux qui critiquaient la politique d’ « ivoirité » du président Konan Bedié, à l’occasion d’une visite de celui-ci à Conakry. La Guinée redoute toutefois un retour massif des travailleurs immigrés en Côte d’Ivoire que son économie ne pourrait absorber.
Libéria et Mali
Ces deux pays ont eu moins de relations conflictuelles avec la Côte d’Ivoire bien que les partisans de Laurent Gbagbo accusent des Libériens et des Sierra léonais de participer aux combats aux côtés des rebelles ivoiriens de l’Ouest.
Libéria : L’arrivée au pouvoir du libérien Charles Taylor n’avait pas particulièrement dérangé Abidjan, même si les Ivoiriens ont fini par s’inquiéter de l’afflux des réfugiés issus des guerres civiles au Libéria et en Sierra Leone, lesquelles ont aussi favorisé la circulation illicite d’armes dans la région. Les liens étroits entre la Libye, le Libéria et le Burkina Faso, inquiètent aujourd’hui les dirigeants de la Côte d’Ivoire qui se demandent qui finance les mutins.
Le Libéria et la Guinée s’accusent réciproquement depuis des mois de soutenir les groupes armés qui mènent des incursions sanglantes sur leurs territoires respectifs, chaque pays démentant formellement les accusations de l’autre.
Charles Taylor, qui a fait lui aussi le voyage à Paris pour le sommet sur la Côte d’Ivoire, affirme également que les « dissidents » qui attaquent la région du Lofa - composés notamment de factions opposées à la sienne lors de la guerre civile (1989-97) - bénéficient du soutien de la Grande-Bretagne, qu’il accuse de mener une « guerre secrète » en Afrique de l’ouest depuis l’intervention de ses troupes en Sierra Leone, en mai 2000.
Mali : Les relations entre Abidjan et Bamako sont restée stables, « tantôt cordiales, tantôt simplement correctes », selon des experts africains, malgré les inclinaisons marxistes du Mali dans les années 1960 et 1970. Mais, là aussi, Bamako est préoccupé par le sort de ses ressortissants travaillant en Côte d’Ivoire qui rentrent au pays, chassés par les violences et les exactions. La Côte d’Ivoire constituait pour le Mali et le Burkina Faso, pays enclavés, non seulement un marché important à la fois pour leurs produits et leurs mains d’œuvre, mais aussi la principale voie de transit de leurs exportations. Leurs économies sont ainsi durement affectées par le conflit chez leur voisin du sud.
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Marie Joannidis
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