Le président français peut se féliciter d'avoir réuni à Paris du 19 au 21 février 2001, à l'occasion du 22è sommet franco-africain, un nombre record de dirigeants africains dont 42 chefs d'Etat et de gouvernement sur les 52 pays représentés, soit l'ensemble des pays africains à l'exception de la Somalie.
La présence du secrétaire-général de l'ONU Kofi Annan, lui-même ghanéen, aux côtés du chef d'Etat sud-africain Thabo Mbeki, président en exercice de l'Union africaine, a donné un éclat particulier à l'adoption par le sommet, à l'initiative de la France, d'une résolution sur l'Irak affirmant qu'il y avait une alternative à la guerre et que l'usage de la force ne saurait constituer qu'un ultime recours. Les signataires se sont prononcés pour le renforcement des inspections de l'Onu, dans le cadre de la résolution 1441 du Conseil de sécurité.
Cette prise de position qui rejoint d'ailleurs celle de l'Union africaine ne peut que conforter la France dans la querelle qui l'oppose aux Etats-Unis au sujet des moyens à mettre en œuvre pour désarmer l'Irak. D'autant plus que Paris et Washington rivalisent auprès des membres africains du Conseil de sécurité pour les gagner à leurs causes. Ainsi au moment même de la tenue du sommet de Paris, le Secrétaire d'Etat adjoint américain pour les affaires africaines Walter Kansteiner entamait une tournée en Angola, au Cameroun et en Guinée, les trois pays africains siégeant actuellement au Conseil de sécurité de l'ONU, pour les persuader de changer de camp afin d'assurer une majorité en faveur de la position anglo-américaine et donner ainsi le feu vert à une intervention armée contre Saddam Hussein.
« Il est fini le temps de l'impunité »
En privé, les dirigeants africains ne cachent pas leur inquiétude. Les pays consommateurs de pétrole du continent redoutent notamment une flambée des prix du brut. Les producteurs comme l'Angola craignent quant à eux que des cours pétroliers trop élevés ne plongent le monde industriel en récession, ce qui les pénaliserait ensuite. Les pays de la Corne de l'Afrique, en face du Golfe, et de l'Afrique du nord appréhendent les désordres éventuels dans le monde arabe. Tous enfin ont peur qu'un conflit en Irak et ses suites ne détournent l'attention des bailleurs de fonds du NEPAD (le Nouveau partenariat pour le développement économique de l'Afrique) et du continent africain dans son ensemble.
Jacques Chirac a préconisé le dialogue politique pour contrer la violence dont les auteurs, selon lui, « ont désormais à craindre d'être sanctionnés par la Cour pénale internationale (CPI) » qui doit protéger tous les citoyens du monde. « Il est fini le temps de l'impunité, le temps où l'on justifiait la force. Doit venir maintenant celui où l'on fortifie la justice », a proclamé le président français qui a aussi dénoncé les escadrons de la mort en Côte d'Ivoire.
Marie Joannidis
Encadré : Les fausses notes du sommet
(MFI) Le sommet a été l'occasion de rencontres bilatérales ou multilatérales justement pour faire avancer le règlement de certains conflits. Mais ces efforts n'ont pas donné beaucoup de résultats.
Zimbabwe : malgré les critiques de la Grande-Bretagne et de certains autres membres de l'Union européenne, la France a obtenu une dérogation des sanctions européennes pour inviter au sommet le président Robert Mugabe, critiqué par la communauté internationale pour sa politique envers les fermiers blancs et la répression de son opposition. Paris voulait à la fois ménager les Africains qui ont toujours refusé d'exclure Robert Mugabe de leurs instances et lui faire la leçon. Selon des sources informées, le président Chirac qui a reçu brièvement Mugabe en marge du sommet, l'a incité à entamer le dialogue avec la Grande-Bretagne et à tenir compte du respect des droits de l'homme. En vain, puisque celui-ci n'a pas manqué de lancer ensuite devant ses pairs réunis à huis clos une diatribe contre l'ancienne puissance coloniale.
La présence de Mugabe a suscité des manifestations de protestation à Paris et des éditoriaux virulents dans la presse britannique et américaine, déjà partie en campagne contre la France au sujet de l'Irak.
Côte d'Ivoire : Jacques Chirac a réaffirmé son souhait de voir s'appliquer « intégralement » les accords inter-ivoiriens de Marcoussis signés le 24 janvier et souhaité la constitution « rapide » d'un gouvernement d'union nationale.
Dans ce cadre, la France a favorisé la venue à Paris pendant le sommet de représentants des rebelles du nord, notamment Guillaume Soro, pour y rencontrer le Premier ministre ivoirien, Seydou Diarra, issu des discussions de Marcoussis, qui a dirigé la délégation ivoirienne au sommet en l'absence du président Laurent Gbagbo.
Selon les négociateurs ghanéens qui tentent de favoriser le règlement pacifique du conflit - le Ghana préside actuellement la CEDEAO – « les discussions ont bien avancé, mais un accord sur un gouvernement d'union nationale se fait toujours attendre ».
RCA-Tchad : le sommet de Paris devait permettre de sceller la réconciliation entre les président Félix Ange Patassé de la République centrafricaine et Idriss Deby du Tchad. Mais l'offensive gouvernementale appuyée par les troupes de Jean-Pierre Bemba, leader du mouvement rebelle MLC de la République démocratique du Congo (RDC) contre les rebelles centrafricains du nord, a envenimé le ton entre les deux dirigeants. Idriss Deby se défend de soutenir la rébellion centrafricaine et accuse le côté gouvernemental d'exactions contre des résidents tchadiens en RCA.
France-Rwanda: Si le président rwandais Paul Kagame a accepté de faire le voyage à Paris, il n'a pas manqué de lancer des piques contre la France. Il a affirmé à la presse qu'on ne lui avait pas demandé son avis à propos de la résolution sur l'Irak, qu'il a pourtant signé comme les autres participants au sommet.
« L'Europe devrait être fatiguée de nous. Pourquoi devrions nous toujours leur demander de résoudre nos problèmes », a-t-il ajouté, prenant l'exemple de la Côte d'Ivoire dont la solution passe, selon lui, par « des Ivoiriens qui doivent s'asseoir ensemble et résoudre leur conflit ». Kagame qui a brièvement rencontré le président Chirac, a estimé que les relations entre Paris et Kigali « sont moins mauvaises qu'elles ne l'ont été », mais qu'il n'y a « pas de grand changement (…) On nous a donné des conseils sur la manière de nous réconcilier … Nous espérons que les donneurs de leçon comprendront comment se réconcilier avec nous », a-t-il dit. Les dirigeants actuels de Kigali reprochent toujours à la France son soutien passé à l'ancien régime rwandais d'où sont issus les auteurs du génocide de 1994.
Marie Joannidis
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