Cela paraît logique : la violence armée, qui empoisonne la vie de 60 % des pays africains, sera en partie atténuée lorsque l’on luttera efficacement contre la prolifération des armes dans le monde. Oui, mais voilà, constate le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), un institut de recherches basé en Belgique, ce combat ne fait pas partie des priorités de tout le monde. Un certain nombre « d’hommes d’affaires », en particulier, ne sont pas prêts à abandonner le secteur de l’armement qui représente un marché plus que lucratif.
Faut-il rappeler, pour exemple, l’affaire de l’Angolagate, révélée en 2000 ? Ce vaste trafic d’armes, à destination de l’Angola, aurait en effet rapporté quelques millions de francs français à plusieurs personnalités du monde politico-médiatico-financier français : le préfet Jean-Charles Marchiani, proche de Charles Pasqua, l’écrivain Paul-Loup Sullitzer, l’ancien responsable de la cellule Afrique à l’Elysée Jean-Christophe Mitterrand, ou les hommes d’affaires Pierre Falcone et Arcadi Gaydamak…
Pour le GRIP, il apparaît donc nécessaire de tracer les contours et de connaître les acteurs des filières de transfert d’armes pour mieux les contrôler. Son ouvrage Trafics d’armes vers l’Afrique dresse ainsi une galerie de portraits de personnalités connues ou moins connues du grand public. L’itinéraire des Belges Jacques Monsieur, Geza Mezösy, Ronald De Smet ou Ronald Rossignol est passé au peigne fin, entre sociétés interchangeables, fausses immatriculations, faillites frauduleuses, pavillons de complaisance… Chacun apparaît comme un roi de la magouille, doué pour brouiller les pistes. La route empruntée par un seul de leurs chargements d’armes apparaît comme un véritable casse-tête : « Au début novembre 1999, un Boeing 707 immatriculé au Liberia et appartenant à la société Air Cargo Plus, gérée par deux Scandinaves basés au Luxembourg, a transporté du matériel militaire de Burgas (Bulgarie) à Harare, d’où il a été transféré à Kinshasa par Ilyushin 76D, afin d’être utilisé par les forces zimbabwéennes en RDC », racontent les chercheurs du GRIP.
Imbroglios mafieux
Victor Bout, originaire du Tadjikistan, fait partie des personnages les plus en vue. Les Nations unies l’ont notamment accusé de servir de lien entre des trafiquants d’armes européens et l’Unita en Angola, le RUF au Sierra Leone et les rébellions de la République démocratique du Congo. Il faut dire que Victor Bout sait profiter des faibles moyens de contrôle de certains pays : sa société Centrafrican Airlines, enregistrée en Républicaine centrafricaine mais dont les activités étaient délocalisées dans les Emirats Arabes Unis, a pendant longtemps utilisé une vingtaine d’avions sans l’autorisation, pourtant indispensable, des autorités centrafricaines…
Dans ces nébuleuses, les membres des mafias de l’ex-URSS, devenus ressortissants israéliens, sont de plus en plus nombreux. Shimon Naor est ainsi suspecté par la Roumanie, son pays d’origine, d’avoir frauduleusement alimenté en armes le Burkina Faso et le Togo entre 1996 et 1999. Evidemment, certains pays africains participent activement à ces transferts : l’Afrique du Sud, le Togo, le Burkina Faso, le Liberia font partie de ceux qui ont permis, à différentes échelles, d’organiser les trafics à destination de l’Angola et de la Sierre Leone.
Si ces imbroglios mafieux ont pendant longtemps bénéficié du silence complice de quelques grandes puissances, le climat d’impunité qui prévalait semble aujourd’hui cependant changer, se réjouit le GRIP. L’Onu a ainsi organisé, en juillet 2001, une conférence « sur le commerce illicite des armes légères », assortie d’un plan d’action. De même, les procès contre des trafiquants se multiplient. Même « l’insaisissable » Victor Bout est sous le coup d’un mandat d’arrêt international lancé par la justice belge. Mais ce n’est pas assez. Il reste de nombreuses failles dans les systèmes de contrôle. Pour plus d’efficacité, le code de conduite de l’Union européenne sur les transferts d’armements, publié en 1998, doit par exemple être transformé en une législation commune aux pays de l’Union. Tandis que le marquage, l’enregistrement et le traçage des armes doivent faire l’objet de réglementations strictes. Ce sont ces mesures qui permettront d’éviter que de nouvelles armes ne s’ajoutent aux 500 millions qui circulent déjà dans le monde et tuent chaque année 500 000 personnes.
Trafics d’armes vers l’Afrique. Pleins feux sur les réseaux français et le « savoir-faire » belge, sous la direction de Georges Berghezan, Grip-Complexe, Bruxelles, 2002, 179 pages, 13,90 euros.
|