(MFI) Bien malins ceux qui pensent, malgré les consignes de sécurité, être capables de tenir le volant d’une main, le téléphone mobile de l’autre. Il n’en est rien. Une étude réalisée aux Etats-Unis vient de le confirmer : le cerveau, malgré sa capacité d’abstraction et d’adaptation, ne peut assurer deux tâches à la fois.
Pour réaliser cette étude, dont les résultats ont été publiés dans le numéro d’août 2001 de la revue Neuroimage, les chercheurs de l’université Carnegie Mellon de Pittsburgh, en Pennsylvanie, ont utilisé les dernières techniques d’imagerie médicale capables de visualiser l’activité cérébrale, et particulièrement la résonance magnétique (RMN). Ces technologies permettent d’établir une cartographie des différentes aires du cerveau en fonction des activités cérébrales en cours. Ainsi on a une vision de ce qui se passe dans le cerveau lorsque l’on formule une phrase, planifie plusieurs choses à faire, ou encore lorsqu’on évalue l’incertitude.
Les appareils permettent de montrer le fonctionnement du cerveau, en repérant les zones qui s’activent selon la tâche mentale accomplie. Lorsqu’il est activé, le cerveau utilise davantage d’oxygène. Cette augmentation de l’oxygénation met en relief des points « chauds » (colorés) par rapport aux cellules les moins actives (fond sombre). On mesure ces zones cérébrales actives en « voxels », ce qui correspond à un volume de tissu nerveux de la taille d’un grain de riz. Lorsqu’une partie du cerveau travaille intensément, plusieurs voxels s’allument.
Les activités cérébrales en compétition
Des études avaient déjà prouvé que quand une seule zone, par exemple le cortex visuel, doit répondre à deux sollicitations simultanées – comme suivre deux objets des yeux à la fois –, l’activité est moindre que s’il se concentre sur un objet à la fois. Mais en est-il de même lorsqu’il s’agit de zones cérébrales différentes ? La réponse n’était pas évidente. En effet, on pouvait penser que des tâches différentes, activant deux zones distinctes du cerveau, s’effectuent de façon indépendante. Or, l’étude de Pittsburgh montre que cela entraîne une sorte de compétition dans l’espace cérébral. Dix-huit volontaires soumis au scanner ont permis de visualiser que les points « chauds » ne se multiplient pas en fonction des sollicitations.
Pour le cerveau, un+un n’égale pas deux…
Au cours du premier test, les volontaires devaient écouter une phrase et se prononcer sur sa véracité. Dans le test suivant, il leur était proposé de faire tourner mentalement des images en trois dimensions et de les comparer afin de déterminer si elles étaient identiques ou non. Après avoir réalisé chacune des tâches séparément, les volontaires devaient faire face aux deux à la fois.
À l’issue de ce dernier test, les chercheurs confirment que chaque tâche se loge dans une aire du cerveau. Le langage seul active 37 voxels de tissu cérébral, principalement localisés dans les zones temporales. Pour l’exercice de visualisation, on compte, de même, 37 voxels. Cependant, si l’on exécute les deux exercices en même temps, les voxels ne s’additionnent pas. On ne compte plus que 42 voxels au total ! Soit seulement 5 voxels supplémentaires.
Accepter ses limites
Tout le monde s’est essayé à faire deux choses à la fois. Par exemple parler à un passager et tenir le volant. Certes, conduire comme parler peut résulter d’un automatisme qui n’exige pas une grande puissance cérébrale. Mais lorsqu’un conducteur expérimenté doit faire face à une soudaine augmentation de la difficulté, telle qu’une pluie battante, il interrompra certainement sa conversation pour se concentrer sur la route. La différence entre parler au téléphone et converser avec un passager est que celui-ci peut évaluer la situation et probablement se taire de lui-même. L’utilisation d’un système mobile, qui permet de garder les mains libres, ne résout en rien le problème de l’incapacité du cerveau à faire face à deux activités complexes à la fois. Il faut donc bien comprendre que le cerveau a des limites. Même si nous avons tous l’illusion que se dédier à plusieurs choses à la fois, et en vitesse, constitue le futur défi de notre chère tête !
Isabelle Santos