(MFI) Une firme écossaise a cloné des cochons génétiquement modifiés, première étape vers la fabrication de porcs « humanisés » dont les organes pourraient être greffés à l’homme sans réaction de rejet. Une première qui ne va pas sans poser de questions.
Il était une fois cinq petits cochons transgéniques et clonés. Le faire-part de naissance a été émis par la firme écossaise PPL Therapeutics, celle qui avait mis au monde Dolly. Clonés, parce qu’ils ont été fabriqués à partir du noyau d’une cellule adulte, comme la brebis. Transgéniques, et c’est là une première, parce que chacun porte dans ses cellules un gène dit « marqueur » artificiellement introduit. L’objectif de cette transgénèse est de rendre ces porcelets immunologiquement compatibles avec le corps humain. Ainsi, d’après PPL Therapeutics, Millie, Christa, Dotcom, Alexis et Carrel constituent un premier pas vers la fabrication d’une lignée de porcs « humanisés ». Voie prometteuse pour la greffe d’organes animaux à des êtres humains, la xénogreffe.
Créer des réservoirs d'organes
La technique de conception des cochons est très proche de celle utilisée pour la brebis Dolly, et leur naissance confirme la maîtrise du transfert de noyau dans un ovocyte énucléé (sans noyau). Mais il s’agit ici d’aller plus loin et d’obtenir, à terme, des porcs dotés de gènes humains. La société écossaise maîtrise en partie la technologie correspondante. Elle élève déjà des centaines de brebis dont le lait produit diverses protéines humaines à usage médical. Cependant, à la différence des ovins producteurs de molécules humaines, les travaux sur les porcs ont pour but de fournir des organes pouvant être greffés sur l’homme sans réaction de rejet, de développer des lignées porcines pouvant servir de réservoirs d’organes destinés à la transplantation. Cependant, la firme reste vague sur la méthode employée pour ajouter le gène marqueur, sur son mode d’insertion (ciblé ou aléatoire).
« Humaniser » les cochons pour éviter le rejet
On s’intéresse depuis longtemps aux greffes d’organes animaux à des êtres humains, en raison notamment du manque d’organes humains disponibles. Or le porc est un bon compromis : ni trop éloigné ni trop proche de l’homme. Les organes porcins, mis à part le foie, sont par leur taille et leur fonctionnement assez semblables à ceux des humains. Mais si l’on pratique une xénogreffe porc/homme, le rejet est immédiat ! La responsable de ce rejet violent est une enzyme sans équivalent chez l’homme, qui ajoute un glucide à certaines protéines présentes à la surface des cellules du cochon. Les hommes ont développé une immunité contre ces protéines : elles sont reconnues et détruites par leur système immunitaire.
C’est donc pour sauter cet obstacle que les chercheurs prétendent « humaniser » les porcs. L’espoir étant de modifier leur génome afin qu’ils ne soient plus identifiés comme des étrangers par le corps humain. L’idée est d’éliminer le gène codant la synthèse de l’enzyme « ennemie ». Les cinq petits cochons ne sont qu’une étape sur cette voie, destinés à démontrer la faisabilité du projet. Pour les chercheurs, « cela va très certainement accélérer les recherches, notamment pour tenter d’éliminer chez les porcs les séquences génétiques virales qui pourraient rendre les organes animaux dangereux pour l’organisme humain ».
Un marché estimé à 5 milliards de dollars
Beaucoup continuent en effet de craindre une contamination de malades par des virus d’origine animale, ce qui ne serait pas sans conséquences en matière de santé publique. D’autres, face à la pénurie d’organes, semblent prêts à accepter les risques. Le Comité d'éthique français, lui, juge prématurées de telles expérimentations et demande un moratoire sur les xénogreffes. Pour sa part, la compagnie PPL Therapeutics affirme que la xénogreffe constitue « la seule solution à court terme pour résoudre le déficit mondial d’organes ». Les essais démarreront d’ici « quatre à cinq ans ». Le marché est estimé à 5 milliards de dollars pour les organes entiers, sans compter les thérapies cellulaires telle la transplantation de cellules produisant de l’insuline pour les diabétiques. Bien que le marché soit estimé à plusieurs milliards, les xénogreffes restent a priori une piste marginale par rapport aux organes artificiels et aux greffes avec donneur humain. Mais le progrès des technologies rend parfois l’impensable possible plus vite que prévu. Au-delà des convictions profondes de chacun, le dialogue doit donc s’engager pour espérer un choix éclairé.
Isabelle Santos
Encadré : Les xénogreffes, une vieille histoire
(MFI) Au XVIIIè siècle déjà, des chirurgiens tentèrent de greffer des cornées de chat ou de chien à des aveugles. En 1906, le chirurgien Mathieu Jaboulay greffe un rein de porc à un malade atteint d’insuffisance rénale. L’expérience sera renouvelée avec le cœur et le foie. Dix ans plus tard, un autre chirurgien pratique la première greffe officielle de testicules de chimpanzé à l’homme, dans l’espoir de retrouver des fonctions physiques et génitales. En 1930, plusieurs milliers de patients, en France, aux Etats-Unis, en Italie, au Portugal, en Russie, au Brésil, en Inde, en Angleterre, reçoivent une greffe de ce type. De la même façon, on greffe aux femmes des ovaires de guenons pour pallier les inconvénients de la ménopause. Mais aucune de ces tentatives n’aboutit. Aujourd’hui, les xénogreffes les plus courantes se pratiquent sur le foie et les reins.
I. S.