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18/04/2002
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L’Afrique inégale devant la science
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(MFI) Un rapport vient d’être remis à la Commission européenne : la vue d’ensemble qui s’en dégage partage le continent en trois zones. Robuste en Afrique du Sud, en essor au Nord, la recherche révèle ses grandes difficultés en Afrique subsaharienne où les initiatives sont cependant nombreuses.
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Durant trois ans, vingt chercheurs locaux et deux directeurs de recherche de la structure française IRD (Unité Savoirs et développement) ont épluché les publications (parues entre 1990 et 1997) de tous les pays du continent, questionné 1500 chercheurs, examiné en profondeur les systèmes de recherche et les réformes de 15 pays, mis face à face 500 responsables et chercheurs des 12 pays (1) concentrant 95 % de la production scientifique africaine…
Dressé à la demande du ministère français des Affaires étrangères et de la Direction générale de la recherche de la Commission européenne, cet état des lieux (2) compte au final 1 500 pages ; l’enquête pointe du doigt les particularités régionales, tout en essayant de saisir l’ensemble de l’évolution.
L’étude bibliométrique montre que la production reste très concentrée : deux pays (Afrique du Sud et Egypte) détiennent 50 % du total, quatre autres (Maroc, Tunisie, Kenya, Nigeria) 25 %. Sur 4 000 établissements, 500 publient régulièrement et 100 produisent 50 % des articles indexés. Parmi 70 000 auteurs, 200 signent 5 % des articles. Chaque zone a ses domaines de recherche préférés. L’Afrique du Nord a misé sur les sciences de base de l’ingénierie, l’Afrique médiane sur les sciences médicales et agricoles. En dehors des grandes tendances, il est possible de souligner dans chaque pays des domaines d’excellence, parfois inattendus. Ainsi le Ghana est remarquable en embryologie, l’Algérie en hématologie, le Kenya en entomologie agricole.
L’Afrique du Sud au premier rang
Avec 21 universités, 15 écoles d’ingénieurs, 10 000 chercheurs et universitaires, l’Afrique du Sud « fait figure de géant scientifique » sur le continent. Au vu de ses publications (3 000 par an, soit un tiers de la production africaine), on la considère comme le premier producteur africain de science. Même si, dans l’arène mondiale des idées, elle perd quelques parts de marché, elle se distingue dans les secteurs de la biologie, de la biomédecine ou encore des sciences de l’univers. Secteur public et secteur privé (50 % des dépenses nationales de recherche) collaborent pour afficher un appareil de recherche jugé performant tant au niveau fondamental que technologique.
Le régime post-apartheid, pariant sur le développement scientifique pour construire l’avenir socio-économique du pays, a accru les investissements. En réformant le système de recherche, il s’est fixé un triple défi : africaniser (quasi absence de Noirs dans le dispositif scientifique jusqu’en 1994), lutter contre l’illettrisme et le scepticisme en matière de sciences, et convertir un appareil qui était jusque-là au service de l’armée et des classes dominantes. Qualifiée de solide et robuste, la recherche sud-africaine compte cependant des points faibles dont paradoxalement celui de la santé de base.
Afrique du Nord : de belles avancées
Forte de son engagement dans les technologies de pointe, de ses résultats en matière d’ingénierie et en sciences expérimentales, l’Afrique du Nord témoigne de réels bonds en avant dans le domaine scientifique (production en hausse de 60 % en sept ans). Quelque peu freinée par un système de recherche qui divise encore champ académique et champ technologique, elle peut néanmoins compter sur la nouvelle génération de chercheurs qui pousse dans le sens d’un continuum entre science fondamentale et science appliquée. Le Maroc est un bon exemple de la reprise du dialogue entre l’enseignement supérieur et le monde de la production. En donnant une forte impulsion aux activités de recherche (910 unités), ce dernier est parvenu à doubler le nombre de publications et atteint le 3e rang des producteurs de science africaine. Grâce aux coopérations scientifiques et à sa position géographique qui en a fait une zone d’intérêt prioritaire pour l’Europe, l’Afrique du Nord apparaît comme un pôle productif, aux communautés scientifiques fortes et en plein développement. Quelques efforts de plus et le Maghreb pourrait bouleverser la hiérarchie en détrônant l’Egypte (seconde place) voire, qui sait, l’Afrique du Sud !
L’Afrique médiane : communauté scientifique en crise
L’Afrique subsaharienne, particulièrement celle des pays anglophones, demeure la région du continent où la science est confrontée à une crise financière, institutionnelle et professionnelle. Ainsi, le Nigeria, qui occupait le 3e rang derrière l’Egypte, a perdu en dix ans près de la moitié de ses capacités de contribution à la science. L’Afrique francophone a vu le nombre de ses publications augmenter de 30 % entre 1991 et 1997, mais les difficultés persistent pour cause de désengagement des Etats. Désaffection qui s’accompagne d’une dévaluation du métier de chercheur (92 % sont insatisfaits de leur salaire). Beaucoup compensent par une activité complémentaire : 10 à 30 % exercent une forme de consultance plus proche de l’expertise que de l’investigation. Malgré le développement des nouvelles technologies, les scientifiques se disent toujours isolés : 53 % ont accès à Internet, 49 % à des bases de données bibliographiques.
Cette vision pessimiste est corrigée par diverses initiatives. Les chercheurs ont appris à valoriser leurs compétences : certains ont créé des ONG, ou mis sur pied des réseaux scientifiques régionaux. Certaines institutions ont su s’adapter en attirant les commandes nationales ou internationales et assurent des revenus réguliers à leurs chercheurs. Les coopérations constituent aussi un espoir pour une recomposition intellectuelle et institutionnelle et apparaissent comme un moyen de reconsolider les équipes de recherche nationales. Car ce ne sont pas tant les programmes ou leurs résultats qui œuvrent au développement que l’existence d’une communauté scientifique forte.
(1) Afrique du Sud, Egypte, Tunisie, Algérie, Maroc, Sénégal, Côte d’Ivoire, Cameroun, Nigeria, Kenya, Tanzanie, Zimbabwe.
(2) La science en Afrique à l’aube du XXIe siècle, sous la direction de Roland Waast et Jacques Gaillard (IRD).
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Isabelle Santos
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