Dix années ont passé depuis le dernier arrêt de la CAN en Tunisie. Etonnant qu’on y revienne si tôt alors qu’ils sont de plus en plus nombreux à postuler pour l’organisation de l’épreuve. Le pays a changé, à l’image de la ville de Tunis qui a repoussé davantage la mer pour s’établir au large. Les maisons se sont construites. Les villes se sont étendues.
Pourtant, pour nous tous, 1994 c’était hier. On entend encore résonner les sons mêlés de la darbouka, des krakeb, des nagharats, du mezoueb, de la zokra, du rabab, de l’ùd et du gombsi. On a encore les yeux emplis du spectacle d’une jeune équipe nigériane qui, quelques mois plus tard, allait à Boston bousculer l’équipe d’Italie et, deux ans plus tard, toujours aux Etats-Unis, se parer de la couronne olympique.
On a encore le cœur plein de compassion pour une Zambie décimée quelques mois plus tôt par un terrible accident d’avion, finaliste doublement malheureuse. Dans le même temps, la Tunisie connaissait la pire des désillusions pour un pays organisateur : l’élimination prématurée, celle qui la boutait hors la compétition au bout de seulement cent-quatre-vingts minutes de jeu. Moments de bonheur, moments de détresse partagés. Les uns rient, les autres pleurent. C’est la loi du sport. Pour ceux qui l’ont vécue, l’édition 94 reste un bon souvenir grâce en particulier à une organisation sans fausse note.
Revenir sur les bords de la Méditerranée dix ans après est sécurisant. En 94 on avait joué sur trois stades, le Zouiten et El Menzah dans la capitale et l’arène des Soussis, à cent-trente kilomètres au sud. Cette fois, on ira de Bizerte à Sfax en passant par Tunis – et son nouveau territoire d’accueil, à Radès –, Monastir et Sousse. Dire qu’il y a dix ans les organisateurs avaient proposé déjà un scénario identique et qu’à l’époque il avait été jugé trop audacieux par la CAF…
Le monde change. La Tunisie a pourtant repris en grande partie la même équipe pour mettre en musique l’incomparable fête du football africain. Elle espère bien qu’au soir de la finale l’année 94 ne sera plus qu’un vilain souvenir. Elle s’est préparée mieux que quiconque pour réussir. Qui sait si la CAN ne lui ouvrira pas les portes du Mondial qu’elle est prête à organiser en 2010, pour peu que les instances suprêmes lui fassent confiance. C’est aussi un peu du pari engagé. Le pays joue gros : le titre, les honneurs, l’entrée dans l’histoire de la Coupe du monde. Prudence. La Tunisie est, dit-on, le pays des Lotophages, ce peuple fabuleux dont parle Homère dans l’Odyssée. Il accueillit si chaleureusement Ulysse et ses compagnons, il leur offrit des fleurs de lotus si savoureuses que, selon le récit, quiconque les goûtait n’avait plus envie de reprendre la mer et ne rêvait que de s’y installer. Leur prendre un trophée qu’ils ont caressé par deux fois en 1965 et en 1996 avant de le voir disparaître dans les bras du Ghana et de l’Afrique du Sud sera tâche difficile. Mais les Lions, venus de tous les horizons, les Aigles, descendus de leurs cimes, ne se laisseront pas faire, jusqu’aux guêpes sans doute attirées par le miel et les écureuils, petits lutins de l’épreuve, décidés à faire des niches à leurs adversaires. Une fois encore, ils sont tous là, ou presque, venus choisir leur roi en étant sûrs que le couronnement sera pour eux.
|