L’argent du Qatar a fait peur aux dirigeants du football mondial. Ce que l’Emirat avait réussi dans d’autres disciplines sportives, il ne le fera pas dans le football où il était prêt à investir pour bâtir une équipe nationale compétitive au plus haut niveau, avec des joueurs brésiliens, mais aussi, pourquoi pas, français voire africains comme il avait tenté de la faire à la veille de la CAN avec le Kenyan Denis Oliech. La FIFA a pris peur de cette dérive et a réagi pratiquement dans l’urgence.
L’athlétisme et l’haltérophilie comme banc d’essai
Saïf Saïd Shaheen n’ira pas aux Jeux Olympiques d’Athènes. Shaheen est pourtant le champion du monde du 3000m steeple depuis sa victoire au mois de septembre dernier à Paris.
Explication: ce nom n’est pas son vrai nom. Il est plus connu des amateurs d’athlétisme sous son nom de baptême, Stephen Cherono. Natif du Kenya, il a changé d’identité à la suite d’un transfert négocié entre les fédérations qatarie et kenyane. A la clé, pour le Kenya, une piste d’athlétisme toute neuve à Eldoret. Une jolie prime d’un million de dollars après son titre mondial pour Cherono, plus une rente mensuelle à vie de mille dollars.
Cherono, alias Shaheen, n’ira donc pas aux Jeux ; le comité olympique kenyan dirigé par l’emblématique Kip Keino, médaille d’or du 1500m aux Jeux de Mexico en 1968 a dit non. Il est dans son droit puisque, à moins d’un avis favorable, un athlète qui a couru pour un premier pays doit attendre trois ans avant d’en représenter un autre. Et Keino qui n’a pas apprécié la décision de Cherono et des dirigeants de la fédération, est inflexible. Rappelons que, pour les Jeux, ce n’est pas la fédération qui inscrit un athlète mais le comité national olympique Avec Shaheen, le Qatar n’en était pas à son coup d’essai. Il y a quelques années, il avait déjà fait une OPA - entendez offre publique d’achat - sur huit haltérophiles bulgares comptant parmi les meilleurs de leur pays. Angel Entchev Popov devenu Saïd Saïf Asaad devait remporter une médaille de bronze, dans sa catégorie, aux Jeux de Sydney.
Le monde du football s’est senti menacé
Le Qatar persiste depuis quelque temps en s’attaquant cette fois au marché du football. Il a contacté plusieurs joueurs, en premier lieu le Brésilien Ailton, meilleur buteur actuel du championnat d’Allemagne. L’offre était alléchante : 2 millions d’euros, semble-t-il, à la signature, plus 400 000 euros supplémentaires pour chaque année d’activité. D’autres joueurs, notamment français, ont été contactés. Par un Français, Philippe Troussier, en charge de la sélection nationale qatarie après avoir dirigé le Japon à la coupe du monde et commencé sa carrière d’entraîneur au début des années 90 à Abidjan. C’est lui qui développe l’argumentaire : « Avec l’évolution du monde et la libre circulation des individus, défendre une équipe nationale, c’est avant tout un projet sportif. Il y a, dans le football, un surplus d’élite. Tout le monde ne peut pas jouer dans l’équipe nationale de son pays. Personne ne peut interdire à un joueur de se réaliser lui-même s’il veut disputer une coupe du monde et qu’il en est barré dans son pays de naissance ».
La FIFA, inquiète de ces nouvelles velléités, n’a pas tardé à réagir . A ses yeux, il s’agit ni plus ni moins d’une tentative de dérive mercantile de l’article 15, alinéa 1 du règlement d’application des statuts de la FIFA selon lequel « un joueur, n’ayant encore jamais joué dans une équipe nationale, peut adopter une autre nationalité et représenter son nouveau pays en équipe nationale ». La fédération internationale espère ainsi avoir trouvé la parade à un mouvement déclenché par d’autres que le Qatar (le Togo, par exemple) en imposant une résidence de deux années consécutives sur le territoire concerné aux joueurs candidats à une naturalisation mercantile. Si elle avait laissé faire, on aurait pu avoir, par exemple, en phase finale de CAN trois équipes composées exclusivement de joueurs tous originaires du Nigeria ou en Coupe du monde cinq ou six équipes composées de joueurs tous originaires du Brésil. Inimaginable !
On connaissait le droit du sol, le droit du sang. Les juristes, sans la réaction ultra-rapide de la FIFA et de son président Joseph Blatter, auraient dû ajouter un nouveau droit pour ces sportifs attirés au moins autant par l’argent que par l’accomplissement de leur ambition sur un terrain.
Gérard Dreyfus
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