(MFI) Abedi Pelé pourrait devenir le prochain président de la Fédération ghanéenne de football. Devant l’amoncellement de contre-performances des équipes du pays, le chef de l’Etat en personne, John Kufuor, lui a demandé de s’impliquer davantage dans la gestion du football, et, pourquoi pas, de prendre en mains la fédération. La volonté présidentielle doit encore passer le cap des élections, ce qui ne constitue jamais une simple formalité quand on sait combien la protection des avantages acquis nuit souvent à l’intérêt général.
Il n’y a pas tout à fait vingt ans, l’Afrique découvrait Abedi Ayew Pelé à la faveur de la CAN 82 organisée en Libye. Simple remplaçant au départ de la compétition, il allait en être la grande révélation. Une étoile venait de naître. Abedi Pelé n’avait pas dix-huit ans et devenait le plus jeune vainqueur de l’épreuve. Quelques années plus tard, après deux premières expériences au Qatar et au Bénin, il entreprenait une carrière européenne à Niort, en deuxième division française, poursuivie à Mulhouse, à Marseille, à Lille, puis à nouveau à Marseille avec lequel il remportera aux côtés notamment de Basile Boli la Coupe d'Europe des clubs champions, à Lyon, au Torino, à Munich 1860, enfin une deuxième fois au Qatar.
Sa réussite allait inspirer l’ensemble de ses camarades et successeurs. Il avait ouvert une porte dans laquelle tous les joueurs ghanéens allaient s’engouffrer. Pionnier de l’expatriation, il était devenu pour ses compatriotes la référence majeure, l’exemple à imiter. N’est pourtant pas Abedi qui veut. Il y eut plus d’échecs que de réussites. Ce qui devait contribuer à affaiblir l’équipe nationale dont le dernier fait d’armes remonte à la CAN 92 au Sénégal, avec une place de finaliste qui se serait peut-être transformée en place de vainqueur si Abedi Pelé n'avait été écarté de la rencontre décisive face à la Côte d’Ivoire après avoir reçu un deuxième carton jaune lors de la demi-finale.
Abedi Pelé, le sauveur
Depuis, l’équipe nationale n’a jamais retrouvé l’aura qui fut la sienne, échouant régulièrement dans ses tentatives de qualification pour la Coupe du Monde. Les équipes de jeunes, régulièrement sur les podiums mondiaux, masquaient les absences répétées des Black Stars au plus haut niveau. La dernière humiliation intervint il y a un peu plus d’un an lorsque l’équipe fut incapable de dépasser les quarts de finale de la CAN organisée conjointement par le Ghana et le Nigeria. On crut pourtant le football ghanéen relancé par la consécration des Hearts of Oak en Ligue des champions, mais il a fallu déchanter dès le premier tour de l’édition actuelle, les Cœurs de chêne échouant dès leur première sortie face à l’Etoile du Congo. C’est une certitude, le football ghanéen est sérieusement malade, à l’image de son équipe cadette incapable de se qualifier pour la phase finale du championnat d’Afrique alors qu’elle était tenante du titre.
Figure emblématique du football ghanéen depuis vingt ans, Abedi Pelé est désormais considéré par les autorités de son pays comme le seul susceptible de redonner corps et âme à ce qui ressemble de plus en plus à un fantôme, le seul capable de définir une autre politique, en regard de ses multiples expériences hors de son pays. Il lui faudra convaincre ceux qui, en coulisses, s’accrochent fermement à leur place pour tout ce qu’elle leur apporte d’avantages et de privilèges. Le football fait vivre du monde, de manière pas toujours très transparente ; des gens plus mus par leur intérêt personnel que par celui du plus grand nombre. Or, ce sont ceux-là qui votent, qui font et défont les présidents. Certains sont depuis longtemps membres de la fédération et n’entendent pas céder leur place sans combattre, même si le chef de l’Etat a formulé un vœu. Pour Abedi Pelé, le premier obstacle est de taille. Joueur il faisait l’unanimité, dirigeant il risque de déranger. On peut regarder un peu partout en Afrique, les anciens joueurs professionnels qui ont une forte expérience du football à l’étranger, n’ont jamais exercé de poste à responsabilité, à une poignée d’exceptions près. Très peu se sont vus confier la direction de leur équipe nationale ; encore moins celle de leur fédération. Non pas qu’on doute de leur compétence. Au contraire, parce que, forts de leur acquis et de leur connaissance du milieu, on redoute qu’ils procèdent à de profonds bouleversements. Changer les méthodes de travail, à la limite, on s’en accommoderait ; changer les hommes, du point de vue des opposants, c’est tout simplement impensable.
Le Ghana sous haute surveillance
Récemment, l’entraîneur des Black Stars, Cecil Jones Attuquayefio, qui a, depuis, été limogé, avait décidé lors d’un match de Coupe du Monde contre le Nigeria, de ne pas rappeler les joueurs professionnels. Avec succès puisque le résultat nul obtenu à Accra avait été perçu comme une victoire, le point de départ de quelque chose de nouveau. Lors du match suivant, quinze jours plus tard, en République Démocratique du Congo, il n’y en avait qu’un seul. L’important c’est qu’Attuqayefio, auréolé de son titre de champion d’Afrique avec les Hearts of Oak, a osé l’impossible : mettre sur la touche les stars. Ce que d’autres pays, à l’image du Nigeria, ont imité, considérant que le rappel massif quand il n’était pas exclusif des pros n’était peut-être pas la panacée. Dans ce domaine, le Ghana a initié une stratégie qui durera ce qu’elle durera. De toute évidence, c’est un avertissement à tous ceux qui se considèrent, parce qu’ils jouent à l’étranger, comme des titulaires indiscutables. Si Abedi Pelé devient président de la fédération, il y a gros à parier que d’autres pays suivront l’exemple du Ghana. En ce sens, son destin présidentiel ne peut pas ne pas intéresser l’ensemble du football africain.
Gérard Dreyfus