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31/10/2001
La chronique de Gérard Dreyfus : Ejectez-le !

(MFI) A quoi reconnaît-on un bon entraîneur ? Au nombre de victoires qu’il remporte. A quoi reconnaît-on un mauvais entraîneur ? Au nombre de défaites dont il est responsable.

C’est tellement évident que ceux qui s’assoient sur le banc répugnent de plus en plus à le faire –préférant la station debout- sachant pertinemment qu’il s’agit d’un siège éjectable dont la commande est entre les mains du président de la fédération, quand ce ne sont pas celles du ministre. Par simple curiosité, consultez donc la liste de ceux qui ont participé à la dernière CAN, celle du Ghana et du Nigeria. Vous aurez beau chercher et rechercher, vous n’en retrouverez aucun parmi ceux qui s’apprêtent à aller au Mali. Non, dans la liste des quatorze équipes présentes aux deux éditions, aucune n’a gardé son entraîneur. L’Afrique a la bougeotte. Elle n’est adepte ni de la continuité dans le changement, ni du changement dans la continuité. Il lui faut plus simplement le changement pour le changement. Personne n’y échappe.
Avant chaque échéance importante, c’est le même scénario : et si on prenait un autre entraîneur. Qu’à cela ne tienne. Aussitôt susurré, aussitôt suggéré, et, en un tour de passe-passe, l’affaire est dans le sac. Incompatibilité d’humeur, caractère trop affirmé, incompétence, tous les prétextes possibles sont passés en revue. Ou encore, il est trop jeune, il est trop vieux, il ne parle pas beaucoup, il est réfugié dans son hôtel, il vit en reclus, on ne le voit pas en dehors du terrain, il est du côté des joueurs, le courant ne passe pas entre les joueurs et lui, il est toujours d’un avis contraire à celui des dirigeants, il devrait savoir qui sont ses employeurs, il n’a finalement pas le profil, éjectez-le ! On pourrait continuer à l’envie. Sans oublier la signature de contrats réduits à quelques mois. Ah si on pouvait payer l’entraîneur, comme certains joueurs en Angleterre, à la semaine, on serait plus heureux…

Taillables et corvéables

On touche du doigt l’un des obstacles majeurs au développement du football africain : l’instabilité chronique, érigée en force de loi, des entraîneurs. S’y ajoute la préférence marquée pour ceux qui viennent de loin et qui n’ont parfois strictement aucune connaissance du pays avec lequel ils signent leur contrat. Les entraîneurs locaux continuent d’être taillables et corvéables à merci. Pour nombre d’entre eux, ils ont un statut de fonctionnaires et peuvent être à tout moment mis à la disposition de l’équipe nationale, de manière le plus souvent ponctuelle, et l’obtention de résultats positifs ne leur garantit en rien une quelconque reconnaissance. Dès que la grande compétition approche, on va chercher ailleurs. En vérité, les entraîneurs locaux sont dans la même position que les joueurs. Ils sont compétents pour les éliminatoires ; pour les phases finales, ils ne font plus l’affaire. Il y a aussi un aspect économique : on est prêt à faire un effort pendant quelques mois pour rétribuer à un salaire mensuel minimum de quatre millions de francs CFA un expatrié, mais le sacrifice n’est pas tenable bien longtemps. Alors on improvise, on ajuste, on réajuste avant de chercher l’oiseau rare à la veille du grand rendez-vous de la CAN. Quand la bourse est désespérément vide, on se contente de faire avec celui qu’on a sous la main.
Le football africain fait fausse route. Les hommes providentiels sont rares. Et de toute façon, les meilleurs sont très chers, inaccessibles pour la plupart des fédérations nationales. Compte tenu des salaires pratiqués en Europe ou en Amérique Latine, aucun pays n’est en mesure de s’attacher les services de l’élite. Elite qui ne viendra que pour aller disputer une Coupe du Monde, pas une Coupe d’Afrique. Par conséquent, il conviendrait dès à présent de faire confiance aux entraîneurs nationaux, ceux qui ont la meilleure connaissance possible des joueurs. Il est incroyable de voir des entraîneurs se distinguer dans des championnats du monde des juniors ou des cadets, ou encore aux Jeux Olympiques, et ne pas pouvoir prolonger leur action avec l’équipe A. On a le sentiment d’un énorme gâchis. Il faut donc leur assurer la meilleure formation possible et leur offrir la chance de se recycler au moins une fois par an. En allant passer un minimum de quinze jours chaque année dans un grand club européen ou latino-américain et lors d’un stage de préparation d’une équipe nationale afin de se tenir au courant des grandes évolutions en matière de préparation d’une équipe. Les accords signés entre l’UEFA et la CAF devraient servir de cadre à cette coopération au service des entraîneurs. Elle est devenue indispensable. Il est grand temps de mettre un terme à des solutions bâtardes car elles ne sont jamais faites pour durer, or c'est précisément dans la durée que se réalise une équipe nationale. Comme le disait le poète², il faut savoir donner du temps au temps. Et travailler sans relâche avec des objectifs à moyens et longs termes. Il n’en demeure pas moins tout aussi vrai qu’un regard, une compétence extérieurs sont parfois nécessaires. Peut-être faudrait-il faire la séparation entre directeur technique national et entraîneur national. Les deux fonctions ne sont pas les mêmes. Elles sont trop souvent confondues au détriment de la première. Un peu à l’image des ministres des Sports, plus ministres du football que de autres disciplines. Et s’il fallait, à notre avis, faire un choix, il serait plus opportun de confier la DTN que l’équipe nationale à un expatrié.
Dans quelques semaines sera donné à Bamako le coup d’envoi de la vingt-troisième Coupe d’Afrique des Nations. Tous les entraîneurs ne sont pas encore en poste. Deux ou trois pays sont encore à la recherche de l’homme qui leur fera gagner la CAN, d’autres viennent à peine de faire signer un nouvel entraîneur, d’autres encore hésitent à garder celui qui est en place (il s’agit, bien sûr, d’un entraîneur national). Ce qui est acquis, c’est que les entraîneurs africains seront, cette année encore, largement minoritaires. De toute façon, on ne pourra pas indéfiniment faire l’économie d’une réflexion sur l’encadrement technique du football en Afrique. Ce n’est pas en continuant de les éjecter, les uns après les autres, africains ou non-africains, que les résultats seront meilleurs. La seule stratégie qui vaut, c’est celle qui s’accomplit sur une période de trois ou quatre ans. La France, championne du monde en titre, en est un exemple criant.

Gérard Dreyfus





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