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04/01/2001

Chronique Livres

L'essentiel d'un livre
Zoë Wicomb dans les décombres de l’apartheid

(MFI) Nouvelliste et romancière sud-africaine, Zoë Wicomb vit en Ecosse, mais sa fiction se nourrit de nostalgie et de souvenirs du pays natal. Son premier recueil de nouvelles vient d’être traduit en français (Ed. Serpent à plumes).

Auteur d’un recueil de nouvelles paru à la fin des années 80 et aussi d’un roman non encore traduit (David’s Story, décembre 2000, Kwala Books), Zoë Wicomb est une voix majeure de la nouvelle littérature sud-africaine qui émerge des décombres de l’apartheid. Ses nouvelles semi-autobiographiques révèlent la richesse d’une écriture tout en nuances, lyrique et puissante à la fois. Composé de dix nouvelles racontées à la première personne par une narratrice unique, ce recueil se lit comme un roman. Un roman d’apprentissage du monde dont les péripéties se déroulent tant dans la province déshéritée du Namaqualand que dans les rues lumineuses du Cap. La voix, fluette, est celle de Frieda Shenton, métisse comme l’auteur, tiraillée entre les aspirations à la respectabilité de sa communauté et la tentation de révolte contre la ségrégation raciale.
Sans sentimentalisme aucun, à travers des épisodes à la fois cocasses et graves, Frieda retrace la précarité d’une existence guettée par les béances d’une société autoritaire fondée sur des valeurs absurdes, aliénantes. C’est cette absurdité qui est mise en scène dans le texte intitulé « A l’arrivée du train » où Frieda attend le train dans la partie non-pavée de la gare réservée aux gens de couleur: « Je sors un mouchoir en papier et j’essuie la poussière de mes chaussures cirées, ce qui est tout à fait superflu puisque la bande sans pavés, pour laquelle il n’y a pas d’autre mot que celui impropre de quai, n’est que poussière ». L’absurdité conduit au reniement de soi et à l’aliénation dans la nouvelle intitulée ironiquement « Tu ne peux pas te perdre au Cap », où Frieda se retrouve dans une clinique pour se faire avorter du fruit de sa liaison « criminelle » avec un camarade d’université blanc, un blond aux yeux bleus: « Vous n’êtes pas métisse, n’est-ce pas? » C’est une question absurde. Je regarde mes bras foncés que j’ai gardés croisés sur la poitrine et j’y vois se former la chair de poule. Son regard est fixé sur moi. (...) Je dis: « Non » et j’attends que tous les coqs du Cap se mettent à chanter. (...) « C’est bien. » La femme sourit, laissant voir des dents jaunes.»
Le génie métis s’est affirmé dans les lettres sud-africaines dès le début des années 60 avec des écrivains militants comme Peter Abrahams, Dennis Brutus et Alex La Guma. Mais contrairement à ses aînés qui avaient uni leurs voix avec celles des Noirs pour dénoncer la ségrégation, Zoë Wicomb a fait de la condition problématique de sa communauté cantonnée dans une zone crépusculaire, le matériau même de sa fiction. Ainsi, l’initiation au monde de Frieda passe par l’expérience d’un double rejet. D’une part, elle est rejetée par les Blancs à qui elle a voulu ressembler en tentant d’éclaircir sa peau et de décrêper ses cheveux, et méprisée, d’autre part, par les Noirs qui lui reprochent de fréquenter l’école des Blancs. Pour échapper à cette absence de statut, Frieda s’enfuit en Angleterre avant de revenir au pays natal, après dix ans d’exil, toujours taraudée par des angoisses identitaires. La dernière nouvelle est un joyau où se dessinent à travers la topographie réelle et fantasmée du pays retrouvé, la promesse de réconciliation avec soi et avec les siens.
Participant à la réflexion théorique sur l’avenir de la littérature sud-africaine, Zoé Wicomb aime se définir en tant qu’écrivain engagée et féministe. Ecrites sur un mode ironique, les dix nouvelles d’Une clairière dans le bush cherchent tant dans le racisme que dans le regard machiste l’origine des maux dont souffre la société sud-africaine.

Zoë Wicomb : Une clairière dans le bush. Traduit de l’anglais (Afrique du sud) par Lise Brossard. 242 p., 129 FF.

Tirthankar Chanda



Abdoul Ali War : Du cri au chant

(MFI) Le roman d’Abdoul Ali War commence par un cri: « La rage lui mordit les entrailles et son cri du plus profond de lui-même, perça tout seul. (...) Ce cri, une fois évacué, balaya l’espace, se répercuta dans toutes les directions, s’y balança, et alla chatouiller les oreilles de ceux qui dormaient encore à côté, et qui n’avaient répondu ni à l’appel du muezzin pour la prière du fajr, ni même aux gargouillis de leurs ventres affamés... » Sortant du mutisme dans lequel les drames de sa vie l’avaient enfermé, Hartani crie pour dire le mal, pour dire sa révolte contre l’opportunisme, la corruption, la haine qui ont mis à sac tout un pays et l’ont conduit au bord du précipice. Ce précipice est la mort, représentée ici par la mère d’Hartani qui agonise. Le cri d’Hartani saura-t-il réveiller la conscience endormie des enfants réunis au chevet de la mère ? La vie saura-t-elle l’emporter sur la mort et transformer le cri en un chant des retrouvailles et des victoires à venir ? C’est ce passage de la mort à la vie que raconte Le cri du muet du Mauritanien Abdoul Ali War. Organisé comme une pièce de théâtre, chaque chapitre étant nommé d’après l’un des protagonistes, ce roman nous touche par les problèmes sociologiques qu’il évoque, mais aussi par son écriture très visuelle. Homme de théâtre et de cinéma avant d’être romancier, War signe ici un premier roman tout à fait prometteur. On en doit la découverte à Jacques Chevrier qui l’a publié dans sa toute nouvelle collection africaine joliment baptisée « Archipels littéraires ».

Abdoul Ali War : Le cri du muet. Collection « Archipels littéraires », Editions Moreux. 79 FF.

T. C.



Indispensable mémoire des peuples

(MFI) A quoi sert la mémoire d’une société ? Pourquoi ne pas oublier les guerres, leurs horreurs et les hontes du passé? Réunis par Elie Wiesel et Jorge Semprun lors d’un colloque de l’Académie Universelle des Cultures, des historiens, des biologistes et des philosophes se sont interrogés sur le travail nécessaire de mémoire. Face à la Shoah, aux génocides du Rwanda ou du Cambodge, rien n’est pire à leurs yeux que l’oubli. De même que tout être humain vit grâce à son histoire personnelle, la mémoire des peuples leur est nécessaire pour aller de l’avant. La négation, le refoulement de ce qui blesse est mauvaise au niveau individuel mais aussi pour la civilisation toute entière. En ces temps de vitesse de la communication et de science omniprésente, le travail de mémoire devient d’autant plus essentiel : sur lui seul pourra se construire l’avenir.

Pourquoi se souvenir ?, colloque de l’Académie Universelle des Cultures, éditions Grasset, 315 p., 135 FF.

Moïra Sauvage



Ces journalistes qui résistent

(MFI) Autour de l’histoire d’une trentaine de medias, l’ouvrage Media Résistance écrit à l’initiative du COTA, une ONG belge, a choisi de mettre l’accent sur l’admirable travail d’information réalisé par des journalistes d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine et d’Europe de l’Est. Indépendance de ton, capacité à résister à un pouvoir autoritaire, à renforcer la société civile et à créer des réseaux d’information , telles sont les qualités mises en lumière par cet hymne à la liberté d’expression. A la fois vivante et instructive, cette étude constitue une fascinante leçon de démocratie. L’Afrique y est bien sûr à l’honneur avec une dizaine de media représentés. On y lit avec passion l’histoire de l’Indépendant, ce quotidien burkinabé dont le directeur Norbert Zongo fut assassiné en 1998 mais qui continue contre vents et marées d’exister. Moins connues sont les tribulations du News au Nigeria qui a eu le courage de se dresser contre le pouvoir des militaires ou celles du Post en Zambie mettant à jour des affaires compromettant le président Kenneth Kaunda et le président de l’Assemblée nationale. Edifiante également l’initiative du studio Ijambo au Burundi dans lequel travaillent côte à côte journalistes hutus et tutsis, antithèse de la sinistre Radio Mille Collines du Rwanda.
Face à la répression souvent féroce dont elles sont l’objet, les medias font souvent preuve d’ingéniosité comme la radio haïtienne Enguerillo dont les journalistes chantaient le journal pour contourner la censure. On s’émeut également à la lecture de l’histoire des reporters du journal féminin iranien Zanan défiant les mollahs ou de celle de l’Alternative Information Center, une agence de presse où journalistes israéliens et palestiniens tentent de briser les barrières de la haine.

Media Résistance, par Serge Bailly et Didier Beaufort, Ed. Khartala.

Sylvie Clerfeuille



Beaux livres : Histoires du temps et du monde

(MFI) Ces beaux livres sont bien plus que cela, même si leur iconographie est soignée et variée, car ce sont aussi des livres d'auteur. Préfacée par Umberto Eco, L'Histoire du temps de Kristen Lippincott commence par expliquer la manière dont les différentes civilisations ont conçu le temps : linéaire pour les héritiers du judaïsme, du christianisme et de l'islam, cyclique pour beaucoup d'autres. Construction mentale, le temps est aussi une expérience concrète : il va de la naissance à la mort (horloge du vieillissement), mais il rythme aussi les saisons, les jours (et les nuits) et avant tout notre existence puisque plus de mille rythmes circadiens (journaliers) ont été découverts dans le corps humain. L'histoire de toute civilisation, de toute religion n'est-elle pas enfin une tentative d'échapper au temps par la croyance en une vie après la mort : le corps meurt, mais non l'âme; on pense continuer de vivre aussi à travers ses enfants, ou alors grâce à des œuvres pour les artistes.
Deuxième beau livre (en deux tomes) signé par l'historien britannique et professeur à Oxford John M. Roberts : une Histoire illustrée du monde (Monde ancien, Monde moderne), qui va des origines de l'homme jusqu'aux récents bouleversements en Afrique et dans l'ex-Yougoslavie. Le but de l'auteur, qui traite autant des cultures, des sciences, des civilisations, que des conflits majeurs ou des grandes figures, est de mieux faire comprendre les grands tournants de l'histoire mondiale plutôt que de dérouler une chronologie.

Kristen Lippincott : L'Histoire du temps. Ed. Larousse. 304 p., 350 FF.
John M. Roberts : Histoire illustrée du monde (2 tomes, même éditeur). 910 p. et 390 FF le tome.

Henriette Sarraseca



Elle aime Mandela, Kenzaburo Oe, Gunter Grass

(MFI) Tout au long de sa longue carrière littéraire, la Sud-Africaine Nadine Gordimer, prix Nobel de littérature 1991, n’a cessé de réfléchir sur le sens de l’écriture et sur les rapports étroits que l’écrivain entretient avec la société. Les nombreux essais qu’elle a publiés dans des journaux et des magazines du monde entier témoignent de la richesse et la fécondité de cette réflexion. Le geste essentiel et L’écriture et l’existence publiés dans les années 70 et 80 respectivement réunissent un certain nombre de ces textes. Vivre dans l’espoir et dans l’Histoire est le troisième volet de cette réflexion, paru cet automne en français.
Cet ouvrage rassemble des essais anciens tels le discours sur la nature perverse du régime d’apartheid que prononçait la jeune Nadine Gordimer en 1959 dans le cadre d’un symposium sur l’Afrique, mais aussi des textes plus récents comme son éloge de Mandela, sa correspondance avec le grand écrivain japonais Kenzaburo Oe, ou sa célébration du 70e anniversaire de l’Allemand Günter Grass. A travers ces différents articles et discours, la pasionaria de la littérature sud-africaine évoque les thèmes qui lui sont chers: de la discrimination raciale aux perspectives d’avenir de la littérature en Afrique en passant par la difficile naissance d’une société sud-africaine multiculturelle basée sur la démocratie, l’égalité des chances et les droits de l’Homme.
L’ouvrage est aussi riche en expériences personnelles et en anecdotes comme celle-ci qui se déroule dans une Afrique du Sud en guerre contre l’Allemagne nazie: « Enrôlée dans la Croix-Rouge alors que j’avais dix-sept ans, je fus envoyée dans le dispensaire d’une mine d’or de la ville où je vivais. Là, j’ai vu l’infirmier blanc mettre des agrafes, sans anesthésie, pour recoudre les plaies béantes de mineurs noirs causées par la chute de rocs dans les galeries de la mine. il ricana en me disant: “Ils ne sentent pas la douleur comme nous” ».
Le recueil se termine par un bilan du XXe siècle, intitulé simplement « Notre siècle ». L’auteur y retrace avec brio les avancées et les défaites de l’esprit humain au cours de ce siècle finissant qu’elle qualifie, en citant l’historien anglais Eric Hobsbawm, de « sans aucun doute le plus meurtrier, à la fois par l’ampleur, la fréquence et la durée des guerres qui l’ont rempli, cessant à peine un moment dans les années 1920, mais aussi par l’ampleur, la fréquence et la durée sans précédent des catastrophes humaines qu’il a produites, depuis les plus grandes famines de l’Histoire jusqu’au génocide systématique ».

Vivre dans l’espoir et dans l’Histoire. Notes sur notre siècle, par Nadine Gordimer. Traduit de l’anglais par Claude Wauthier et Fabienne Teisseire. Editions Plon. 246 p., 120 FF.

T. C.





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