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31/01/2002
alain
Chronique Livres

L'essentiel d'un livre
Buchi Emecheta et le combat des femmes


(MFI) Dans le sillage de ses glorieux aînés et contemporains, Chinua Achebe, le plus diffusé des écrivains anglophones africains, Wole Soyinka (Nobel de littérature 1986), et plus récemment, Ben Okri, également résidant à Londres, la romancière Buchi Emecheta bâtit une oeuvre qui fait alterner les textes enracinés au Nigeria où elle est née en 1944 et ceux qui disent les douleurs et les amertumes de l’exil européen.


Ainsi une voix féminine offre un point de vue original que les éditions Gaïa ont entrepris de publier dans sa quasi intégralité, soit à ce jour, six romans traduits.
Avec Citoyen de seconde zone la romancière contait les mésaventures d’Adah venue retrouver son mari dans le « pays rêvé » et qui doit affronter seule les vicissitudes de l’exil après avoir assuré les revenus du ménage grâce à son emploi de bibliothécaire. Dans Gwendolen, ce sont les douleurs de l’enfance en Jamaïque, la séparation d’avec les parents et les abus de l’oncle avant de rejoindre Londres pour d’autres raisons de désespérer. Une douleur que la romancière déclinera dans La Cité de la dèche où sont mises en scène les exclues du système, condamnées au chômage et à la misère.
Alternant avec ses romans « londoniens », Buchi Emecheta, qui vit dans la capitale britannique depuis plus de trente ans, continue d’explorer les méandres de ses souvenirs pour créer une partie de son oeuvre dans son Nigeria natal. Les Enfants sont une bénédiction et La Dot qui explorent le rôle contraignant de la famille et le poids de la tradition, appartiennent à cette veine, tout comme cette dernière parution, Le double joug, traduit comme les précédentes par Maurice Pagnoux.
Dans Le double joug, Buchi Emecheta s’attache, pour l’essentiel, aux personnalités d’un quatuor d’étudiants que la romancière va suivre dans leurs trajectoires universitaires, dans leurs rapports avec la hiérarchie de l’établissement, dans leur dépendance vis-à-vis de leurs familles, mais aussi et surtout, dans leurs relations amoureuses. Au centre de ce roman, le couple constitué par Ete Kamba, fils d’un fermier, qui rencontre à l’université, Nko, une jeune fille déchirée entre ses études et son attachement à sa famille.
Buchi Emecheta s’applique à mettre en lumière les « jougs » qui oppriment la femme nigériane, que ceux-ci relèvent de son éducation, de sa famille, du très masculin appareil universitaire ou, bien sûr et en premier lieu, de l’attitude de ses compagnons enfermés dans leurs stéréotypes et préjugés machistes.
Dans la lignée de ses précédents romans, Buchi Emecheta offre un récit très didactique, parfois à la limite du stéréotype et sensiblement moins efficace que ses écrits sur les affres de l’exil. Les situations conflictuelles de ses personnages n’ont pas la force émotionnelle de la détresse de ses précédentes héroïnes confrontées à la violence de leur exil. Les débats et les références à la religion et à la politique, souvent proches de la caricature, méritaient un plus large développement et auraient pu prendre la place des atermoiements, des doutes, des jalousies et des insistantes questions du jeune homme. Toutefois l’enjeu est ailleurs et ce roman vaut surtout par sa dénonciation des oppressions dont sont victimes les femmes – au-delà même de l’émancipation que les études sont supposées apporter – et dans sa volonté militante de dire que les jeunes générations se doivent d’affirmer et d’assurer par elles seules leur indépendance. Un vaste programme qu’il convient sans nul doute de marteler.

Buchi Emecheta : Le double joug. Éditions Gaïa, 222 p., 18 €.
Bernard Magnier


Souâd Belhaddad entre possible et interdit


(MFI) « La vie ne peut être qu’une inépuisable nostalgie ou une inépuisable frustration. L’écriture seule comble l’une et l’autre »... Sans doute l’une des phrases clés du livre de Souâd Belhaddad, Entre-deux je (Editions Mango documents). Un livre qui porte en sous-titre cette interrogation, existentielle et première pour l’auteur : « Algérienne ? Française ? Comment choisir...? ».
Dans cet essai, agréablement écrit, tout à la fois simple comme un témoignage, teinté d’humour et criant de vérité, la journaliste, née en Algérie et qui a grandi en France, traque les interstices de sa double identité dont elle voudrait conserver les deux tenants et ne pas être contrainte de refuser l’une pour endosser l’autre.
Souâd Belhaddad creuse dans les plis de sa mémoire, retrace le passé de sa mère, mariée par ses parents, mère de six enfants à l’âge où l’auteur écrit ce livre, et guette les témoignages de ses semblables. Elle constate que le pays, lui aussi, vit une « véritable schizophrénie » et elle ne cesse de tenter de dire (et donc de dépasser) son double et terrible fardeau : « Je n’en peux plus de porter deux mondes, le dedans et le dehors. La honte dedans, la frime dehors. Le possible et l’interdit. Le poison qui gangrène dedans et la grande gueule dehors. D’aimer l’Algérie et la France à la fois, et me sentir nulle part ».
Souâd Belhaddad conte ses amours contrariées et ses détournements stratégiques. Ainsi lorsque sa mère lui dit « pas de Français » ce qui signifiait « pas de non-musulman », et que, obéissante à la lettre, elle choisit... un juif toscan ! L'Italie, « la balance idéale entre ses deux cultures »... Ainsi lorsqu’elle raconte toutes ces bribes de vie entraperçues, telle celle de Nadia partagée entre sa « dette » envers ses parents (sa virginité) et son amour français.
Souâd Belhaddad paraît semblable au héros du Sénégalais Cheikh Hamidou Kane qui, à la fin de son « aventure ambiguë », déclarait avoir « mal de n’être pas deux »... Mais si, à l’ultime ligne du livre, la douleur n’est pas muette, il est incontestable que la thérapie de l’écriture a joué son rôle et que, peut-être, ce livre deviendra le premier maillon d’un engrenage salutaire et utile pour son auteur mais aussi pour tous ses autres doubles demeurés silencieux.

Souâd Belhaddad : Entre-deux je. Editions Mango documents, 164 p., 11 €.
B.M.


Philippe Djian salue ses maîtres


(MFI) L’écrivain français Philippe Djian, 52 ans, s’était fait connaître du grand public avec son roman 37°2 le matin, porté à l’écran par Jean-Jacques Beineix. Il est aussi l’auteur de Bleu comme l’enfer, adapté par Yves Boisset, Lent dehors, Sotos, d’une trilogie composée d’Assassins, Criminels et Sainte-Bob, et de Vers chez les blancs, histoire d’un écrivain mûr en perte de vitesse qui vient de paraître en Livre de poche. Dans Ardoise, il nous entretient avec fougue et sensibilité de la dizaine d’écrivains qui ont bouleversé sa vie.
Mis à part Céline, Cendrars et Lao-Tseu, ils sont tous américains. A travers ces évocations, Djian pose la question cruciale : à quoi sert un roman ? à quoi sert la littérature ? Sa réponse n’est pas du côté du « contenu », que l’on peut acquérir dans la vie ou par l’apprentissage, mais de la vibration, voire de l’ouragan intime. A dix-sept ans, « je pensais que les livres étaient une source de savoir. Je ne savais pas encore (…) que certains livres n’étaient pas des livres mais de purs moments d’émotion qui vous élevaient vers les cimes. » Et il nous décrit les effets physiques -sueurs, tremblements, souffle court, maux de ventre ou vertiges- de ces lectures. A commencer par L’Attrape-Cœurs, de J. D. Salinger : le héros adolescent lui parlait certes « d’une souffrance, d’une lassitude, d’une colère » qu’il connaissait bien, mais c’est surtout l’écriture « si originale et en même temps si évidente » qui a été « une révélation ». « Si j’accorde aujourd’hui ma préférence aux écrivains qui effectuent avant tout (je devrais dire par-dessus tout) un travail sur la langue, c’est à Salinger que je le dois. Il n’y a pas de tâche plus difficile qu’un écrivain puisse s’imposer. » Le style étant « à la fois une musique et une manière de regarder les choses, une attitude, un point de vue dans le sens où il s’agit de choisir la place, l’emplacement à partir duquel on observera le monde ».
Puis il y a eu Mort à crédit de Céline, « le styliste absolu ». « Céline avait empoigné notre vénérable langue à la gorge et l’avait transfigurée. Une sorte de déclaration d’amour en forme de cassage de gueule ». Blaise Cendrars, « l’homme libre par excellence, l’homme lucide aussi », un poète amoureux du monde, toujours en partance, en voyage. Sur la route de Jack Kerouac : « Une écriture qui commence par vous étouffer, puis relâche son étreinte pour vous accorder à son propre rythme ». Moby Dick de Herman Melville lui révèle un goût pour l’épique, La Crucifixion en rose (Sexus, Plexus, Nexus) d’Henry Miller celui de la luxuriance et de la sexualité en tant que force qui meut le monde. Il y a encore William Faulkner, l’homme lent du Sud « qui agit sur le lecteur par envoûtement », Hemingway, Brautigan, Carver.
Tous ces « types », comme l’écrit Djian (aucune femme parmi eux), sont des monuments, des maîtres. A chaque lecteur de composer sa galerie. Sachant qu’« un auteur n’a d’intérêt que dans la mesure où il révèle ce qu’il y a de meilleur et de plus subtil en nous. »

Philippe Djian : Ardoise. Ed. Julliard, 128 p., 15,10 €.
Vers chez les blancs. Le livre de poche.
Henriette Sarraseca


Les trésors secrets du Quai d’Orsay


(MFI) Collection des grands moments de l’histoire du monde, les archives du Quai d’Orsay ont ouvert leurs portes à l’académicien Pierre-Jean Rémy. Cette gigantesque masse de documents qui illustre les relations de la France avec l’étranger va des correspondances de Stendhal, consul de France en Italie, au récit de la Nuit de cristal en 1938 par les consuls de France en Allemagne, en passant par les négociations secrètes des traités. Mais on y trouve également les intrigues d’espions, qu’il s’agisse de Beaumarchais ou d’innombrables anonymes.
C’est seulement à la fin du XVIe siècle qu’est décidée la conservation officielle de ce genre de documents. Elle s’effectue alors dans ce qu’on appelle « les coffres du roi ». Mais ce n’est qu’au XVIIe siècle que les archives diplomatiques commencent à être systématiquement organisées. Elles constituent aujourd’hui un ensemble passionnant pour qui a le courage de s’y plonger. Ce livre en parcourt l’essentiel : fonds géographiques, traités, correspondances, photographies, dépêches et télégrammes, dont il extrait le plus significatif ou le plus amusant. On y découvre que les diplomates aux aguets des moindres propos entendus se trompaient parfois sur ce qu’ils signifiaient. Et on s’y promène avec délectation du récit de l’exhumation des restes de Napoléon à Sainte Hélène à la description des problèmes posés par un dîner offert en 1908 au roi de Norvège, en passant par l’arrivée du Marquis de La Fayette en Amérique ou le récit du coup d’éventail donné au consul de France, en 1827, par le dey d’Alger.

Pierre-Jean Remy : Trésors et secrets du Quai d’Orsay. Editions J-C. Lattès, 1 067 p., 26,68 €.
Möïra Sauvage


Comment fut sauvée la médecine tibétaine


(MFI) Destin exceptionnel que celui de Tendzin Tcheudrak, disparu il y a peu. Médecin du Dalaï-Lama, il passa plus d’un quart de siècle dans l’enfer des camps chinois après l’invasion du Tibet. Son autobiographie revient sur sa vocation précoce, son entrée dans un monastère et l’apprentissage de la médecine dès l’adolescence, comme cela se pratiquait dans son pays. De 1950 au milieu des années 70, il survit dans des camps où la plupart meurent de sous-alimentation et des suites des séances systématiques de critique, de « rééducation » et de torture. Plusieurs fois battu à mort, il réussit pourtant à s’en sortir grâce à sa science, sa connaissance des plantes (des herbes, des racines sauvages) et une forme particulière de méditation utilisée par les ermites tibétains qui « permet de se passer de nourriture pendant un certain nombre de jours en produisant une chaleur spécifique dans l’estomac et le reste du corps qui apaise la faim ». Vers la fin de sa détention, des geôliers et officiers chinois se font soigner par lui. Mais le plus intéressant dans ce livre est le récit du sauvetage de la très ancienne médecine tibétaine : après sa libération, Tendzin Tcheudrak se procure les rares traités qui n’ont pas été détruits par les Chinois, reconstitue les formules des « pilules précieuses » et autres médicaments tibétains pour lesquels il faut des centaines de plantes et ingrédients divers, de même qu’un irremplaçable savoir-faire - notamment pour fondre les métaux précieux ou rendre le mercure assimilable et bénéfique pour le corps. En 1980, il retrouve le Dalaï-Lama dans son exil de Dharamsala en Inde, redevient son médecin personnel, fonde et dirige une école de médecine où des jeunes praticiens sont formés depuis lors.

Tendzin Tcheudrak : Le Palais des arcs-en-ciel. Albin Michel (coll. Espaces libres), 390 pages.
H.S.


Encadré : Un auteur à découvrir
Atiq Rahimi, jeune espoir de la vieille littérature afghane


(MFI) Réfugié en France, Atiq Rahimi s’est fait connaître en publiant un premier roman intense et violent sur le destin tragique de son pays : Terre et cendres.



Que savons-nous de la littérature afghane ? Malheureusement, pas grand’chose ! Peu d’entre nous seraient capables de citer un nom d’écrivain ou de livre afghan. Pourtant la littérature de langue persane dont les écrivains afghans sont aussi les héritiers, est une des plus vieilles du monde puisque ses premières traces remontent au Ve siècle av. J.-C. ! Bien que traduite en anglais et en français depuis le XVIIIe siècle, la grande poésie persane (celle de Saadi, d’Omar Khayyam ou de Roumi) reste largement méconnue. Même constat pour la littérature afghane moderne qui est pourtant proche de nous tant par son inspiration laïque que par les formes qu’elle met en oeuvre. Le roman du jeune Atiq Rahimi –publié il y a un an dans l’indifférence générale mais qui connaît aujourd’hui un succès international, grâce en partie à la guerre d’Afghanistan –, illustre bien les tendances de la modernité littéraire afghane.
Agé de 39 ans, Atiq Rahimi est cinéaste de métier. Il est arrivé en France en 1985 fuyant la censure communiste. Lorsque les Talibans prennent le pouvoir à Kaboul en 1996 il écrit Terre et cendres pour protester contre le complot de silence dont son pays est victime. L’action de cette novella de 93 pages serrées, se déroule pendant l’occupation soviétique. Au bord d’une route poussiéreuse, un vieillard et son petit-fils attendent une voiture qui les emmènera vers la mine de charbon où travaille Mourad, le fils du vieux. Seuls rescapés du bombardement de leur village par les Russes, ils se remémorent les horreurs vécues. Yassin que le bombardement a rendu sourd, imagine que les tanks ont pris la voix des gens et s’étonne du silence. Le grand-père, peste contre le destin qui l’a condamné à être le témoin impuissant de l’anéantissement des siens: « Je courais vers la maison dans un nuage de flammes et de fumée. En chemin, j’ai vu la mère de Yassin. Elle courait entièrement nue... Elle ne criait pas, elle riait. On aurait dit une folle courant dans tous les sens. (...) J’ai voulu la rattraper mais elle a disparu dans les flammes. Je ne sais pas comment j’ai retrouvé la maison. Il ne restait plus rien... Elle s’était transformée en tombeau pour ma femme, mon autre fils, sa femme et leurs enfants... ». Et de se demander comment il va pouvoir annoncer à son fils cette terrible nouvelle qui peut-être le détruira...
Publié en français en 2000 et réédité à plusieurs reprises, Terre et cendres est un récit intense et puissant. A travers les trois générations d’Afghans qu’il met en scène – Dastaguir, Mourad et Yassin – Atiq Rahimi montre comment les guerres détruisent les sociétés, balayant le passé, radicalisant le présent et réduisant au silence les forces de l’avenir. Mais ce qui fascine dans ce roman, c’est son écriture expurgée à l’extrême, le huis clos entre soi et soi qu’évoque l’usage de la deuxième personne - une technique empruntée à Michel Butor.
Pur produit du lycée franco-afghan de Kaboul où il est entré à l’âge de douze ans, Atiq Rahimi a subi très tôt l’influence de la littérature française. Admirateur des nouveaux romanciers et notamment de Marguerite Duras, il ne cache pas sa satisfaction d’être publié par P.O.L. qui édita l’auteur de l’Amant. C’est aux éditions P.O.L. d’ailleurs que sortira en mars prochain le deuxième roman de Rahimi: Les Beaux Petits Moments de la Terreur. Un titre durassien, non ?

Atiq Rahimi : Terre et cendres. Traduit du persan (Afghanistan) par Sabrina Nouri. Editions P.O.L., 93 p., 8,99 €.
Tirthankar Chanda




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