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Mythe et Histoire

Tissages de gloire aux Gobelins

par Danielle Birck

Article publié le 19/09/2008 Dernière mise à jour le 06/01/2009 à 11:51 TU

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Alexandre et Louis XIV, tissages de gloire : sous ce titre, la Galerie des Gobelins expose jusqu’en mars 2009 une centaines d’œuvres et notamment les tapisseries monumentales réalisées à la gloire d’un roi conquérant qui se voyait comme un nouvel Alexandre. Evocation mythique ou historique, les tapisseries et tentures réunies pour l’exposition, célèbrent à la fois la renommée d’un roi et la somptuosité des créations des manufactures royales au Grand siècle. Le tout mis en valeur par les volumes du lieu et la scénographie, tous deux remarquables.

Réaliser une « exposition entre le scientifique et la décoration » et non de « faire de la muséologie » : tel a été l’objectif des organisateurs de Alexandre et Louis XIV, Tissages de gloire comme tient à le préciser d’emblée  son commissaire, Jean Vittet. C’est pourquoi, aux côtés des deux séries de tentures, l’Histoire du Roi et l’ Histoire d’Alexandre, figurent aussi des pièces de mobilier.

Les trésors du mobilier National

Cabinet en marqueterie (Photo : Isabelle Bideau/ Mobilier national)

Cabinet en marqueterie
(Photo : Isabelle Bideau/ Mobilier national)

Car depuis la réouverture de la Galerie des Gobelins en 2007, chaque exposition est « l’occasion, pour le Mobilier national de faire découvrir ses collections ». Avec des pièces qui pour certaines n’ont jamais été montrées, comme ce très beau « cabinet » d’ébène avec incrustations d’écaille rouge, d’étain et de cuivre,  restauré spécialement pour l’exposition. Si les historiens divergent sur son origine (flamande, italienne… ) aucun doute sur l’époque, c’est bien celle de Louis XIV, « période de sommet de la marqueterie », souligne Jean Vittet, qui attire aussi notre attention sur le fait que ce « cabinet » , constitue en quelque sorte « le point de convergence de la scénographie de Jacques Garcia », dans cette première partie de l’exposition,  au rez-de-chaussée de la Galerie des Gobelins.

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Une scénographie qui met à l’honneur également les hautes portes du Trésor du Garde-meuble royal. Jamais vendues, jamais montrées, elles sont parvenues jusqu’à nous, dans leur état initial,  hormis certains emblèmes royaux ôtés lors de la Révolution. Et c’est ainsi, sans décapage ni restauration, avec leurs marques d’usage et d’usure,  que Jacques Garcia a voulu les montrer au visiteur. Ce qui n’enlève rien au côté « arc de triomphe » que suggère leur disposition en enfilade, et que renforce le plafond miroir.  

 

Du hors-d’œuvre …

Dans cette « ambiance intérieure » suggérée au rez-de-chaussée  par les portes, les pièces de mobilier et la couleur rouge choisi pour les murs et les rideaux, se trouvent deux tentures du « Passage du Rhin », des tentures de soie peintes qui évoquent deux épisodes de la campagne menée par Louis XIV contre les Provinces-unies, réalisées aux Gobelins à partir des cartons de Van der Meulen, le peintre des batailles du Roi Soleil. Ces deux pièces, sur quatre au total,  « témoignent de la variété des œuvres sorties des ateliers de la  manufacture, dans tous les domaines : tissage, peinture, mobilier, orfèvrerie… », souligne Jean Vittet, qui parlera un peu plus tard de  « tour de Babel » en évoquant les artistes flamands ou italiens, alors « en résidence », comme on dirait maintenant, à la manufacture des Gobelins…

Dessin, Colbert de Villacerf visitant les Gobelins, de Sébastien Leclerc, XVIIe siècle.(Photo : Philippe Sébert)

Dessin, Colbert de Villacerf visitant les Gobelins, de Sébastien Leclerc, XVIIe siècle.
(Photo : Philippe Sébert)

Avant de monter à l’étage, où, parait-il nous attend « une véritable surprise », on s’arrête devant deux tapisseries de la tenture « L’Histoire du Roi », qui en compte 14, destinée à illustrer les hauts faits civils et militaires du monarque. L’une évoque le siège de Douai, l’autre de Tournai, et toute deux, au-delà de la richesse de l’exécution, se caractérisent par un certain réalisme de la représentation. « Une des caractéristiques assez étonnantes de cette tenture est qu’elle décrit des faits d’actualité »  précise Jean Vittet. Une vision que Louis XIV impose à Charles Le Brun,  Premier peintre du Roi et directeur des Gobelins, pour qui « la grande peinture est mythologique ». Mais pour le « roi communicant » qu’est Louis XIV, il faut donner à voir au commun des mortels « des scènes plus compréhensibles que la mythologie », d’où également,  des titres ou légendes en français et non en latin… Louis XIV « inventeur de la communication moderne » ?

… Au plat de résistance

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Avec « la grande surprise du 1er étage »… Effectivement, d’intérieure au rez-de-chaussée, l’ambiance  devient « extérieure », une fois gravi le grand escalier double en haut duquel on est accueilli par deux buis taillés (des topiaires, en langage technique). Pas de risque d’anachronisme, puisque c’est le grand jardinier de Versailles, Le Nôtre, qui avait mis au goût du jour cet art de discipliner la nature en donnant des formes architecturés aux arbres, arbustes et buissons… « On pourrait dire qu’au rez-de-chaussée c’est le hors d’œuvre, et au premier le plat de résistance », ose le commissaire de l’exposition… 

Il faut dire que l’effet est assez saisissant : c’est au milieu d’une allée de buis (artificiels) taillés, aux formes les plus étonnantes, certains surmontés de vases de Sèvres, dont le bleu vif contraste avec le vert des buis, que l’on déambule pour admirer de part d’autre les fameuses  tapisseries de la tenture L’Histoire d’Alexandre, l’épopée du roi de Macédoine, qui maître de la Grèce, partit à la conquête de la Perse et de l’Inde. Le conquérant du passé pour illustrer la gloire du conquérant du Grand siècle…

Tapisserie des Gobelins, Tenture de <em>L'Histoire d'Alexandre</em>, d'après Charles Le Brun, La famille de Darius aux pieds d’Alexandre, XVIIe siècle.(Photo : Philippe Sébert)

Tapisserie des Gobelins, Tenture de L'Histoire d'Alexandre, d'après Charles Le Brun, La famille de Darius aux pieds d’Alexandre, XVIIe siècle.
(Photo : Philippe Sébert)

 

Décors éphémères

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

il faut dire aussi que cette suite de tapisseries occupe une place particulière  parmi les  productions des Gobelins, puisqu’elle a été le premier chantier entrepris à la manufacture royale, aussitôt après sa fondation en 1662, sur des modèles originaux, tous de la main de Le Brun qui y a travaillé pendant une dizaine d’années, avec une minutie dans le traitement du détail et des expressions des personnages dans les grandes scènes  épiques dont témoignent quelques études prêtées par le département des arts graphique du Louvre.

Et puis, grâce au parti pris scénographique de laisser en évidence le dispositif de cordages permettant de hisser, maintenir et descendre les immenses tapisseries, on tord le cou à une idée reçue, selon laquelle les tapisseries seraient un décor d’intérieur relativement fixe. « En réalité, c’est au XIXe siècle qu’on a ‘sédentarisé’ les tapisseries de la couronne », explique Jean Vittet, qui précise : « Cette tenture d’Alexandre a été vue pour la première fois par le public lors de la Fête-dieu de l’été 1677 où les tapisseries ont été tendues sur les murs du château (…) En fait, les tapisseries sont des décors éphémères »...

… Mais une tradition et un savoir faire qui se perpétuent : en témoignent les très belles photographies de Sophie Zénon, présentées sur la façade de la Galerie des Gobelins.

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

(Photo : Danielle Birck/ RFI)