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Antilles

Martinique et Guadeloupe «empoisonnées» au chlordécone

par Dominique Raizon

Article publié le 17/09/2007 Dernière mise à jour le 06/02/2008 à 14:15 TU

Arbre à bananes.(Photo : GNU Free Documentation License)

Arbre à bananes.
(Photo : GNU Free Documentation License)

Un rapport explosif doit être présenté le 18 septembre 2007 à l'Assemblée nationale concernant l’«empoisonnement de la Martinique et de la Guadeloupe» par le chlordécone, un pesticide extrêmement toxique. Le cancérologue Dominique Belpomme dénonce un «désastre sanitaire», tout en confirmant la justesse des déclarations des producteurs de bananes, selon lesquels leurs fruits sont «sains». «La contamination s'arrête au niveau de la peau», précise le cancérologue. Le ministre français de l'Environnement, Jean-Louis Borloo, et celui de l’Agriculture, Michel Barnier, qualifient quant à eux la situation de «très grave».  

Toxique et cancérigène de catégorie 3, aujourd’hui le chlordécone est assorti d’une tête de mort et d’une croix rouge. Bien qu’interdit d’utilisation en métropole en 1990, ce pesticide a été utilisé aux Antilles, officiellement jusqu’en 1993 et clandestinement jusqu’en 2002, selon des révélations parues dans le quotidien Le Parisien. Aujourd’hui l’heure est venue de faire les comptes et le constat est accablant : un quart de la surface agricole de Guadeloupe est très polluée les nappes souterraines et les rivières sont souillées et, des abeilles aux fruits et aux légumes racines, toute la chaîne alimentaire est touchée.

L’homme n’est pas épargné : selon le cancérologue très engagé dans la cause écologique, le professeur Dominique Belpomme, il s’agit véritablement dune « bombe à retardement ».

Le professeur est formel : « C’est toute une population qui a été empoisonnée : celle qui vit aujourd’hui, mais aussi les générations futures. Du fait de leurs molécules CMR, (cancérigène-mutagène-reprotoxique), explique-t-il, les pesticides sont impliqués dans la genèse de certains cancers (…). Le taux de cancer de la prostate y est majeur : les Antilles sont au deuxième rang mondial. Les extrapolations montrent que pratiquement un homme sur deux aura dans sa vie un risque de développer un cancer de la prostate. En outre, le taux des malformations congénitales augmente dans les îles ».

Interrogé en août dernier à RFI, le Dr Luc Multignier, chercheur à l’Inserm, déclarait pour sa part avec prudence que les scientifiques ne disposaient encore d’aucune certitude sur les effets du chlordécone sur la santé. Il précisait toutefois à Elvire Berahya : « Le chlordécone est une molécule dangereuse, nous le savons bien suite à un accident dans une usine aux Etats-Unis au milieu des années 1970. Après une exposition accidentelle à ce pesticide, les ouvriers ont développé un certains nombre de troubles. Aux Antilles, il faut tenir compte des expositions subies par la population… C’est à peu près mille fois moins que celle des ouvrier américains.. Mais cela ne nous empêche pas de nous interroger sur les conséquences de ces expositions. »

Une affaire comparée à celle du sang contaminé

Aujourd’hui peut-on décontaminer les sols ? Selon Yves-Marie Cabidoche, chercheur à l’Institut national de recherche agronomique, cela est techniquement irréalisable. « Dans de nombreuses exploitations, les labours ont été beaucoup trop profonds pour que l’on puisse décaper car ces labours ont dilué la molécule sur une grande épaisseur de 70 à 80 centimètres. Le faire reviendrait donc à stériliser les sols, et cela représenterait des volumes de déblai ingérables. Ce n’est pas réalisable. Pour l’instant, nous ne disposons pas de solution d’extraction par une plante miracle, ni par une bactérie, donc il faut faire avec. » Il faudra  plusieurs décennies, voire plus d’un siècle, pour que la molécule active disparaisse des sols aux Antilles.

Le 2 août dernier, la Cour d’appel de la Guadeloupe a déclaré « recevable » une plainte pour empoisonnement déposée par une association de consommateur et un syndicat d’agriculteurs. Une affaire pour l’instant peu connue du grand public, mais que certains comparent déjà avec celle du sang contaminé.